Crise à Bahrain, dilemme pour Moby Dick

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La situation à Bahrain, certes, ne s’améliore pas. D’une façon très caractéristique, cette situation inquiète beaucoup le Pentagone, en un sens bien plus que la situation égyptienne qui inquiétait plutôt le département d’Etat. Bahrain, c’est une pièce stratégique essentielle dans le dispositif du Pentagone, directement avec le quartier-général et le port d’attache de la 5ème Flotte de l’U.S. Navy, indirectement avec divers prolongements stratégiques.

Comme toujours dans le processus américaniste, il y a deux façons de présenter l’enjeu dans le début d’une crise qui peut s’avérer gravissime. L’une est rassurante, à partir des systèmes de communication directs du Pentagone, et elle est destinée à montrer une position officielle de pérennité de la puissance US, d’engagement intangible des partenaires. C’est par exemple l’écho que nous en donne l’article du Guardian du 17 février 2010.

«US navy officials have said there is no sign that crowds intend to direct their hostility toward the roughly 4,200 service members who live and work there. “The protests are not directed at the US military presence,” Jennifer Stride, a spokeswoman for US Naval Support Activity (NSA) Bahrain, told the Stars and Stripes, the official paper of the US armed forces. The protests were not taking place in the vicinity of the naval base, she said.

»NSA Bahrain occupies 24 hectares (60 acres) in the centre of Manama, the capital. It has 2,250 personnel and civilians who live off the base. There are no plans to withdraw them to the base.»

L’article de Stars & Stripes (17 février 2011) que cite le Guardian confirme évidemment cette évaluation officielle de type “business as usual”, retranscrivant les indications dans ce sens de la porte-parole de la base qui abrite les installations de la 5ème Flotte : «“Our Sailors, civilian personnel and family members have been advised to avoid sites where the protests are occurring,” Stride said in an e-mail to Stars and Stripes. “There is no indication that providing any refuge on base is necessary.” “We do not have any information at this time that suggests that planned protests are likely to cause significant disruptions,” Stride said. “We will continue to monitor the situation.”»

L’autre façon de présenter l’enjeu est nettement plus alarmiste. Elle utilise en général les services d’un expert, en général proche du Pentagone, qui exprime pour son compte propre les inquiétudes du Pentagone, non-dites par le Pentagone ; le tout est assorti d’avertissements voilés, concernant ce que peut et ce que peut pas tolérer le Pentagone... On trouve ce processus de communication dans le texte de CBS.News du 17 février 2011, où l’essentiel du “message” est confié à l’expert et ancien ambassadeur David Mack.

«“This whole area depends upon the ability to maintain naval and air forces in the region,” said David Mack, a scholar at the Middle East Institute who once served as U.S. ambassador to the United Arab Emirates.

»And it's not just Bahrain. It's Kuwait, which is the staging area for operations in Iraq. It's Qatar, where the headquarters for U.S. military operations throughout the Middle East is located along with an air base used by bombers flying strikes in Afghanistan. It's all part of a deal that's been in effect for 60 years. The U.S. provides the shield behind which the Gulf states pump oil.

»“The one thing that the U.S. and its allies cannot tolerate in this part of the world would be interruption of oil shipments from the region,” Mack said. That means preventing Iran from ever making good on its threats to close the Strait of Hormuz, through which 20 percent of the world's oil moves. And it means keeping Osama bin Laden from ever realizing his dream of taking back the holy sites of Saudi Arabia. “Destabilization is their game plan,” said Mack. “It weakens the ability of the United States to maintain itself in the area and prosecute efforts against al Qaeda.”

La dernière phrase de ce court article consacré à l’alarme extrême où les événements de Bahrain plongent le Pentagone nous informe qu’“il est difficile de trouver un événement qui pourrait causer plus de dommages aux intérêts américains que le chaos dans le Golfe Persique”. Cette alarme extrême trouve un curieux contrepoids dans les déclarations successives et embarrassées d’Hillary Clinton, demandant aux dirigeants de Bahrain de modérer leur action contre “des manifestants pacifiques” et de poursuivre ceux qui interviennent effectivement avec brutalité contre ces manifestants (5 morts et 230 blessés hier). C’est une évolution difficile pour Hillary, qui définissait Bahrain comme un “partenaire modèle” lors d’une visite à Manama, en décembre 2010, marquée par des envolées fleuries et enthousiastes («I am impressed by the commitment that the government has to the democratic path that Bahrain is walking on. It takes time; we know that from our own experience. There are obstacles and difficulties along the way. But America will continue working with you to promote a vigorous civil society and to ensure that democracy, human rights and civil liberties are protected by the rule of law»).

Avec Bahrain, l’administration Obama se trouve devant une très grande difficulté. Certes, il s’agit de déterminer comment concilier l’allure résolument pro-“démocratisation” prise par cette administration, après la chute de Moubarak, dans les crises successives du Moyen-Orient, avec les intérêts directs du Système, dans le chef d’un de ses plus fidèles composants et certainement le plus puissant, le Pentagone lui-même. Bahrain présente, de ce point de vue, un cas différent de l’Egypte. Avec la crise égyptienne, les intérêts stratégiques US sont en cause, mais ils le sont d’une façon complexe et indirecte, et la dialectique et l’argumentation peuvent trouver leur place. L’Egypte est une place-forte de l’influence US, un “pays-satellite” de premier plan. Mais il n’y a pas des engagements stratégiques directs, installés sur la terre égyptienne elle-même, sous la forme d’un complexe de bases stratégiques d’une importance et d’une puissance fondamentales. En Egypte, l’influence US est formidable, mais il ne s’agit que d’un facteur indirect, et l’on peut toujours espérer, – les experts américanistes sont les maîtres de cette sorte de prévision optimiste, – que l’on parviendra à y soumettre n’importe quel futur président, n’importe quel futur gouvernement, avec divers arguments qui vont des pressions brutales à des dotations financières confortables. Bahrain, c’est une autre affaire. Selon l’appréciation psychologique habituelle de l’américanisme, le complexe qui dirige, contrôle et accueille la 5ème Flotte est une sorte d’enclave US, un véritable territoire américaniste stratégique implanté au cœur du Golfe, – ainsi la psychologie américaniste apprécie-t-elle la chose, avec son peu d’intérêt pour la souveraineté des autres. Dans cette occurrence extrêmement concrète, qui dépend littéralement de la matière des choses, le Système réclame un engagement sans la moindre nuance du vassal qui accueille l’enclave américaniste. Il y a fort peu de place pour le compromis, ni pour des arguments dialectiques qui ne soient pas solidement soutenus par un port d’attache en bonne et due forme.

Cela considéré, nous n’avons que plus forte la sensation d’un dilemme très difficile, d’une crise qui peut se révéler, à son extrême, comme une impasse insupportable et explosive. L’équation est assez simple, puisqu’il s’agit de l’hypothèse d’un processus conduisant à la chute du pouvoir actuel à Bahrain, pour une raison ou l’autre et par un moyen ou l’autre, avec l’installation d’une situation incontrôlable. “Il est difficile de trouver un événement qui pourrait causer plus de dommages aux intérêts américains que le chaos dans le Golfe Persique”, nous dit notre expert ; et, bien entendu, le chaos à Bahrain, c’est cet événement-là parce que c'est déjà le chaos au cœur du Golfe. Le Pentagone prépare donc ses plans, en cas de malheur.


Mis en ligne le 18 février 2011 à 11H41

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