Avertissement “nucléaire” de la Russie au G8

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Avertissement “nucléaire” de la Russie au G8

18 mai 2012 – Il y a eu une intervention remarquable de l’ex président, et nouveau Premier ministre de la Russie, Dmitri Medvedev, lors du second International Legal Forum de Saint-Pétersbourg, hier 17 mai. Le secrétaire US à la justice assistait, comme invité d’honneur, à ce Forum, et cette présence n’était certainement pas indifférente. Les deux faits indiquent que l’avertissement solennel de Medvedev se place dans le cadre des lois et principes régissant les relations internationales (International Legal Forum) et s’adresse notamment et principalement aux USA (présence du ministre).

…Car il s’agit bien d’un “avertissement”, et si nous le qualifions de “nucléaire“ c’est en raison du thème traité lui-même, comme en raison de la force sans précédent de cet avertissement. Reuters, notamment, fait le rapport de cette intervention, le 17 mai 2012, qui doit être notamment considérée, du point de vue russe, comme un prélude au sommet du G8 de Camp David (aujourd'hui et demain), – par conséquent, “avertissement” pour le G8 également.

«Russian Prime Minister Dmitry Medvedev warned on Thursday that military action against sovereign states could lead to a regional nuclear war, starkly voicing Moscow's opposition to Western intervention ahead of a G8 summit at which Syria and Iran will be discussed.

»“Hasty military operations in foreign states usually bring radicals to power,” Medvedev […] told a conference in St. Petersburg… […] “At some point such actions which undermine state sovereignty may lead to a full-scale regional war, even, although I do not want to frighten anyone, with the use of nuclear weapons,” Medvedev said. “Everyone should bear this in mind.”

»Medvedev gave no further explanation. Nuclear-armed Russia has said publicly that it is under no obligation to protect Syria if it is attacked, and analysts and diplomats say Russia would not get involved in military action if Iran were attacked. […] Putin said previously that threats will only encourage Iran to develop nuclear weapons. Analysts have said that Medvedev also meant that regional nuclear powers such as Israel, Pakistan and India could get involved into a conflict.»

Cette intervention de Medvedev est complétée, dans le rapport de Reuters, par des déclarations d’Arkady Dvorkovich, qui est le contact de la direction russe avec le G8  ; et lorsque nous disons “complétée”, il s’agit bien d’un complément exprimant la traduction opérationnelle, pour le G8, des propos de Medvedev. Dvorkovich insiste sur la volonté des Russes de peser sur l’orientation du G8 par rapport aux crises syrienne et iranienne. Le but des Russes est d’obtenir, comme en 2011, que le communiqué ne donne pas une position type-bloc BAO, notamment sur l’affaire syrienne. Il est loin d’être acquis qu’ils y réussiront, comme il est loin d’être assuré qu’il n’y aura pas des incidents visibles à ce propos (la possibilité que les Russes refusent de signer le communiqué, ou refusent d’endosser telle ou telle partie du communiqué).

«Russia's G8 liaison Arkady Dvorkovich said Russia will try to influence the final version of the G8 statement at a summit in Camp David this weekend to avoid a “one-sided” approach that would favor the Syrian opposition. “In the G8 final statement we would like to avoid the recommendations similar to those which were forced upon during the preparations of the U.N. Security Council resolutions,“ Dvorkovich said. “A one-sided signal is not acceptable for us.” […] “We believe that the United Nations is the main venue to discussing such issues,” Dvorkovich said.»

Une autre partie du rapport de Reuters est intéressante, qui examine la position respective de Medvedev et de Poutine par rapport à ces divers problèmes. Y sont rappelés et appréciés les rapports des deux hommes l’année dernière, lors de l’affaire libyenne.

«As president, Medvedev instructed Russia to abstain in a U.N. Security Council vote on a resolution that authorized NATO intervention in Libya, a decision Putin implicitly criticized when he likened the resolution to “medieval calls for crusades”. Medvedev rebuked Putin for the remark, and some Kremlin insiders have said the confrontation over Libya was a factor in Putin's decision to return to the presidency this year instead of letting his junior partner seek a second term.

»Russia has since accused NATO of overstepping its mandate under the resolution to help rebels oust long-time leader Muammar Gaddafi, and has warned it will not let anything similar happen in Syria. Since Putin announced plans last September to seek a third presidential term and make Medvedev prime minister, Russia has vetoed two Security Council resolutions condemning Assad's government, one of which would have called on him to cede power.»

Il est vrai qu’il y a eu un accrochage sévère entre Poutine et Medvedev, en mars 2011, après l’intervention en Libye de l’OTAN, suivant le vote de l’ONU au cours duquel la Russie s’était abstenue. Cet affrontement entre les deux dirigeants, plus qu’un affrontement fondamental de personnes, marquait surtout le désarroi et l’incertitude de la politique extérieure de la Russie au terme d’une incurvation majeure qui avait accompagné l’arrivée de Barack Obama et l’espoir que la politique US, et du bloc BAO en général, se modifierait d’une façon acceptable et permettrait une certaine intégration de la Russie. La crise libyenne a montré l’erreur de cette analyse, qui était commune à l’origine à Medvedev et à Poutine ; elle constitua le facteur déclenchant d’une révision déchirante à cet égard, et l’affrontement entre Medvedev et Poutine, qui portait surtout sur un le décalage d’une même réalisation de l’erreur, en fut le signe public le plus évident.

Le rétablissement de la politique extérieure russe dans sa ligne habituelle, mais dramatiquement renforcée, avec la confirmation que la politique du bloc BAO s’avérait finalement de plus en plus déstabilisante et déstructurante, était effective en août 2011. L’intervention de Medvedev à Saint-Petesbourg montre que l’ancien président devenu Premier ministre est lui-même désormais complètement intégré dans cette ligne et que la politique russe est désormais extrêmement cohérente et intégrée dans sa ligne propre, qui se marque par une hostilité de principe, résolue et intangible, sinon offensive, à la politique générale de déstabilisation et de déstructuration en cours, qui se trouve être celle du bloc BAO

Le paradoxe est qu’au même moment où apparaissent ces signes confirmant l’unification et le renforcement de la politique russe, un message venu de Washington montre que le président US, lui, espère plus que jamais retrouver un niveau acceptable de coopération avec la Russie, et plus précisément avec son nouveau président. Il s’agit d’une déclaration très explicite, très appuyée, du porte-parole de la Maison-Blanche Jay Carney, faite hier et répercutée ce 18 mai 2012 par Novosti. On remarque la formulation de cette déclaration, et l’“impatience” du président Obama à l’idée de tout de même rencontrer Poutine, non pas à l’occasion de ce G8, mais à l’occasion du G20 de Mexico :

«“Le président Poutine est actuellement occupé à former le gouvernement. Il envoie au sommet du G8 son premier ministre Dmitri Medvedev. Mais le président Obama rencontrera le président Poutine très prochainement, ils en ont convenu par téléphone. Le président Obama attend avec impatience de rencontrer le président Poutine d'ici un mois, au Mexique”, a indiqué le porte-parole lors d'un point de presse à Washington. […] “Notre approche reste inchangée : nous coopérons avec la Russie, travaillons avec le gouvernement russe sur les problèmes d'intérêt réciproque et déclarons ouvertement notre désaccord sur tel ou tel problème. Nous œuvrons à la résolution des litiges, dont, par exemple celui du bouclier antimissile, mais continuons parallèlement à coopérer dans d'autres domaines”…»

Le message d’Obama est particulièrement clair : malgré les désaccords, il juge essentiel de “poursuivre” la coopération avec la Russie, – ce qui revient à dire, en réalité, en tenant compte des évènements de ces derniers mois, qu’il juge essentiel de “relancer” cette coopération. L’état d’esprit ainsi manifesté est particulièrement ouvert, et particulièrement “demandeur”, si l’on tient compte du fait que le désistement de Poutine pour le G8 a réellement été une manifestation d’une réelle insatisfaction du président russe. L’affirmation d’Obama est impressionnante si on place ce message en parallèle avec l’intervention de Medvedev à Saint-Pétersbourg, qui peut difficilement être prise pour une manifestation d’approbation de la politique du bloc BAO, et des USA par conséquent, de la part de la Russie. Elle est encore plus impressionnante si l’on a à l’esprit qu’Obama est en campagne électorale et qu’il doit songer à ne pas prêter le flanc à des accusations républicaines de “mollesse” vis-à-vis des Russes. Elle marque par conséquent un état d’esprit très particulier, très spécifique de la part du président des USA.

Une cure de désintoxication est-elle possible ?

Il ne faut pas négliger le fait que Medvedev parlait à une réunion sur la “légalité internationale”, et à cette lumière apprécier son discours qui ne menace personne en particulier, ni ne désigne une culpabilité précise, mais avertit d’une conséquence possible des conflits en cours ou en préparation. Bien entendu, on comprend qu’à partir de là la responsabilité de certains est mise en cause, celles des pays particulièrement activistes dans ces conflits, pour les alimenter et les aggraver, – celle des pays du bloc BAO par conséquent, et leurs alliés arabes déchaînés dans leur irresponsabilité paniquées (Arabie et Qatar, pour faire vite). Mais la mise en cause n’est pas véritablement directe, et elle porte moins sur les buts et sur les intentions que sur la méthode et les effets, ceci et cela souvent involontaires, comme s’il y avait l’affirmation implicite qu’il s’agit d’une politique qui vit de sa propre vie, qui dépasse ceux qui la suscitent, lesquels en sont plus les prisonniers que les bénéficiaires.

Cette approche est d’ailleurs celle de Poutine. Même lorsqu’il met en cause la politique US (du bloc BAO), Poutine l’accuse moins d’être hégémonique et offensive, donc parfaitement contrôlée et porteuse d’une intention prédatrice, que d’être erratique, incontrôlable et dispensatrice de désordre, et pire encore… (voir le 5 mars 2012 : «The Russian PM pointed out that US foreign policy, including that in the Middle East, was expensive, inefficient and largely unpredictable. Putin also added that, among other things, it may eventually disserve Israel. “They changed regimes in North Africa. What will they do next? In the end, Israel may find itself between the devil and the deep blue sea” he said.») De ce point de vue absolument fondamental de l’identification de la politique, les deux hommes, Poutine et Medvedev, sont complètement d’accord, et d’ailleurs ils expriment un sentiment absolument unanime de la direction russe. La Russie a aujourd’hui une conscience aigue de ce que nous nommons également l’“eschatologisation” de la politique extérieure et des relations internationales, cette “eschatologisation” qui fut d’ailleurs l’une des réalisations centrales faites par les Russes à l’occasion du conflit libyen, et qui provoqua la crise à l’intérieur de leur direction évoquée plus haut. Lorsque l’on sait, au reste, la façon dont est élaborée (ou plutôt “non-élaborée”) une politique aussi folle et dangereuse que la politique iranienne du bloc BAO (de l’Europe), on comprend combien la direction russe est dans le vrai avec un tel jugement.

En d’autres termes, lorsque Medvedev dit qu’on se trouve dans une situation extrêmement dangereuse, qui peut aboutir à un conflit nucléaire à partir d’une crise ou d’un conflit régional, il fait moins le procès de ceux qui sont impliqués, même s’il le fait accessoirement et évidemment à partir de ce qu’on sait des actes et des situations des uns et des autres, qu’il ne met en évidence une dynamique extérieure à tous les acteurs, et supérieure à eux, qui pourrait conduire à de telles catastrophes. Enfin, il met aisément en évidence la marque même de cette dynamique (plutôt qu’une “politique”, certes) de déstructuration et de dissolution pouvant conduire à une catastrophe, qui est purement et simplement l’ignorance du Principe en général, dans ce cas le principe de la souveraineté nationale, qui est la structure essentielle dans ces mêmes relations internationales, comme “le principe d’un Principe” est le fondement de tout ordre général. L’attaque de déstructuration et de dissolution passe par l’attaque contre le Principe, c’est-à-dire la violation de la souveraineté nationale, et le résultat pourrait être un affrontement nucléaire compte tenu des enjeux, de la disparité et de l’irresponsabilité des acteurs réagissant à cette déstabilisation dont ils sont les jouets inconscients alors qu’ils croient en être les instigateurs. Si le Premier ministre ne décrit pas, là aussi accessoirement et évidemment, une démence en fait de politique, et plus précisément un épisode hypomaniaque poussé à son extrême, cela y ressemble tant on se croirait analogiquement dans le cours d’un exposé psychiatrique. Que Medvedev tienne un tel discours est particulièrement impressionnant, selon ce qu’il nous dit, selon ce qu’il fait apparaître chez lui de la force de son ralliement à la ligne centrale de la politique russe, et selon la force de cohésion et d’inspiration de cette ligne centrale qui transparaît ainsi.

Que, là-dessus, comme une coïncidence chronologique dont on a du mal à croire qu’elle en soit une fondamentalement du point de vue métahistorique, vienne le message d’Obama par l’intermédiaire de son porte-parole, cela constitue une circonstance qui dramatise encore le discours de Medvedev et nous en dit long sur la position du président US, à cet instant de son destin et quelles que soient toutes les réserves qu’on peut émettre à son encontre. Il faut considérer qu’Obama intervient dans le sens que l’on voit après avoir essuyé ce que tout le monde a considéré finalement comme une rebuffade sévère de la part de Poutine, et qui le fut effectivement… Mais n’était-ce pas, tout aussi effectivement, une rebuffade adressée à une politique dont Obama serait plus le prisonnier que l’instigateur et le machinateur ? Dans ce cas, l’intervention d’Obama, renouvelant son “impatience” de voir Poutine, pourrait aussi bien s’interpréter comme une sorte d’appel à l’aide du président à son collègue russe, et un appel à l’aide qui serait d’autant plus urgent qu’il en arrive à faire oublier au président US les prudences tactiques que nécessite une campagne électorale… Cela signifie-t-il qu’Obama se trouve de plus en plus “encerclé”, contraint, pressé, par les différentes forces qui s’exercent en faveur, par exemple, d’une attaque de l’Iran ? (Et là aussi et encore, et avec d’autant plus de force, nous parlons plus d’une dynamique supérieure, dont la source est difficilement identifiable justement parce qu’elle dépasse le cadre humain, bien plus que de l’habituelle et sempiternelle maximalisme diversifié continuellement en action, notamment israélien avec ses diverses courroies de transmission, qui se trouve lui aussi emporté par son aveuglement, son étroitesse d’esprit et sa psychologie emprisonné dans l’hystérie.)

Le discours de Medvedev situe bien la hauteur catastrophique des enjeux. La catastrophe nucléaire est effectivement, dans tous les cas dans la théorie de cette trajectoire de chute, comme une sorte d’aboutissement tragiquement logique d’une telle transmutation de la politique internationale en une dynamique incontrôlable et incompréhensible. Les pays du bloc BAO, vertueux et principaux représentants d’une contre-civilisation aux abois dans sa logique de surpuissance devenue autodestruction ultime, sont évidemment les premiers concernés. Ils sont addicted, comme l’on dit d’un drogué, à une dynamique de la destruction, – désormais bien plus “de la destruction” que “du désordre” ou “du chaos”, parce qu’au bout du désordre et du chaos se trouve la destruction catastrophique, – selon le message de Medvedev. Il reste bien peu de temps pour une cure de désintoxication, si seulement il en est question.