Au Moyen-Orient, qui prend encore au sérieux les USA ?

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C’est un signe des temps de plus en plus convainquant qu’un reporteur de la trempe d’un Robert Fisk, le spécialiste des rapports émotionnels sur les révoltes, les insurrections, les guerres étranges de notre époque déstructurée, consacre de plus en plus de son activité au commentaire politique à partir de ses divers déplacements. C’est un signe du temps crisique que nous vivons, à partir de la chaîne crisique qui s’est développée au Maghreb et au Moyen-Orient : la violence tant technologique que de la communication, conséquence de la manifestation de la puissance qui est la caractéristique quasiment unique de la politique américaniste-occidentaliste, avec l’habillage moral et vertueux qui va avec et auquel plus personne ne prête attention, compte de moins en moins et imprime ses effets également d’une façon radicalement déclinante ; de plus en plus comptent les relations politiques équilibrées, difficiles mais fondées sur la réalité des situations, qui se développent en dehors de cette conception faussaire.

Ainsi en est-il de cet article de Fisk, de ce 30 mai 2011, dans The Independent. (Nous le citons par ailleurs, ce même 30 mai 2011.) Le titre est significatif («Who cares in the Middle East what Obama says?»), le contenu détaille effectivement le désintérêt et le mépris dans lesquels sont aujourd’hui tenus les USA, notamment pour le rôle central ou moteur dans une entreprise de réarrangement et de stabilisation d’une région qu'ils prétendent encore tenir. C’est bien la faiblesse des USA, celle d’Obama lui-même, leur incompréhensible emprisonnement à l’obsession israélienne, qui sont mises en cause.

«This month, in the Middle East, has seen the unmaking of the President of the United States. More than that, it has witnessed the lowest prestige of America in the region since Roosevelt met King Abdul Aziz on the USS Quincy in the Great Bitter Lake in 1945.

»While Barack Obama and Benjamin Netanyahu played out their farce in Washington – Obama grovelling as usual – the Arabs got on with the serious business of changing their world, demonstrating and fighting and dying for freedoms they have never possessed. Obama waffled on about change in the Middle East – and about America's new role in the region. It was pathetic. “What is this ‘role’ thing?” an Egyptian friend asked me at the weekend. “Do they still believe we care about what they think?”

»And it is true. Obama's failure to support the Arab revolutions until they were all but over lost the US most of its surviving credit in the region. Obama was silent on the overthrow of Ben Ali, only joined in the chorus of contempt for Mubarak two days before his flight, condemned the Syrian regime – which has killed more of its people than any other dynasty in this Arab “spring”, save for the frightful Gaddafi – but makes it clear that he would be happy to see Assad survive, waves his puny fist at puny Bahrain's cruelty and remains absolutely, stunningly silent over Saudi Arabia. And he goes on his knees before Israel. Is it any wonder, then, that Arabs are turning their backs on America, not out of fury or anger, nor with threats or violence, but with contempt? It is the Arabs and their fellow Muslims of the Middle East who are themselves now making the decisions.»

Suivent diverses interventions sur divers aspects de la politique sur tout le vaste territoire de la chaîne crisique. Qu’il s’agisse des relations tendues de la Turquie avec la Syrie parce que la Turquie craint un exode des Kurdes de Syrie, de la tension entre la Syrie et le Qatar parce que Aljazeera fait trop de place aux événements en Syrie, des rapports de l’Algérie et de Kadhafi, avec la possible livraison de matériels militaires algériens de soutien, tous ces développements se font sans interférence fondamentale ni réelle influence des USA, ni même, après tout, du bloc américaniste-occidentaliste. La politique et la diplomatie du bloc semblent réduites aux évolutions des avions de combat chargés de bombes et des réunions du G8 où les chefs d’Etat et de gouvernement s’emploient à rouler des mécaniques en expédiant le nième ultimatum à Kadhafi, et à éventuellement aviser le monde d’un prochain heureux événement. Netanyahou peut effectivement tenir le Congrès sous influence, mais qu’importe le Congrès si les choses se poursuivent dans le sens qu’on voit ? Le texte de Fisk montre bien combien ce sentiment, cette perception sont générales, au delà des clivages et des oppositions… Même les pays et dictateurs divers qui cherchent le soutien américaniste-occidentaliste n’entretiennent plus la moindre illusion sur la capacité américaniste-occidentaliste à leur être d’une aide quelconque.

Ainsi se passe l’effondrement du Système, qui se fait beaucoup plus par effritement, comme s’il se faisait, selon une de ces images que nous affectionnons, par l’action des termites. Nos dirigeants eux-mêmes favorisent ce processus par l’accumulation de contradictions et de narrative insipides et insupportables par leur lourdeur, leur fondamentalisme mensonger, leur moralisme grossièrement hypocrite, et tout le reste. Le plus remarquable, dans cette évolution, c’est effectivement l’attitude constamment à contrepied, ou à contresens, des dirigeants américanistes-occidentalistes face à ces événements. Fisk a une analyse à proposer, concernant les pays arabo-musulmans, notamment vis-à-vis du comportement US, mais qui peut être à notre sens étendu à l’ensemble du domaine américaniste-occidentaliste…

«One of the vainest elements of American foreign policy towards the Middle East is the foundational idea that the Arabs are somehow more stupid than the rest of us, certainly than the Israelis, more out of touch with reality than the West, that they don't understand their own history. Thus they have to be preached at, lectured, and cajoled by La Clinton and her ilk – much as their dictators did and do, father figures guiding their children through life. But Arabs are far more literate than they were a generation ago; millions speak perfect English and can understand all too well the political weakness and irrelevance in the president's words. Listening to Obama's 45-minute speech this month – the “kick off” to four whole days of weasel words and puffery by the man who tried to reach out to the Muslim world in Cairo two years ago, and then did nothing – one might have thought that the American President had initiated the Arab revolts, rather than sat on the sidelines in fear.»

D’une façon très caractéristique, Fisk, qui identifie parfaitement l’effondrement de l’influence américaniste-occidentaliste, offre une explication très ambiguë qui contient certaines contradictions révélatrices, ou bien des significations indirectes et cachées également très révélatrices… Ainsi les Arabes seraient-ils beaucoup plus “occidentalisés” en un sens, puisque notamment pratiquant l’anglais avec assiduité, – mais c’est pour mieux entendre Obama et débusquer le mensonge et la vacuité de son discours (Obama, spécialiste incontesté du genre) ; et, finalement mais très rapidement, lui tourner le dos avec un haussement d’épaules. Ainsi Fisk fait-il, d’une façon symbolique, une sorte d’éloge involontaire de la globalisation, comme moyen de débusquer la globalisation. Ainsi retrouvons-nous le même cycle autodestructeur dans le chef du Système, animé par une surpuissance formidable, qui le conduit à imposer ses normes et ses coutumes diverses, mais en apportant de ce fait les outils qui permettent à ses victimes temporaires de mettre à jour son infamie et sa vacuité. Cette évolution, à l’heure où ce même Système se vide de toute sa substance subversive par les crises multiples qu’il suscite en lui-même, de la finance à la technologie, agit à son tour comme un révélateur et un accélérateur de l’affaiblissement de ce même Système. Il semble qu’il n’y ait pas une région du globe où elle (cette évolution) soit plus évidente que le Moyen-Orient et le monde arabo-musulman.

Il n’y a absolument aucune possibilité que ce processus soit modifié de quelque façon que ce soit, tant les directions américanistes-occidentalistes vivent dans une totalité existentielle sans le moindre rapport avec la vérité du monde, entourées de rideaux “de protection” du système de la communication qui interdisent toute modification de la perception. Le Système est fermement amarré sur sa course d’effondrement, comme s'il s'agissait de sa survie, –comme si son effondrement était sa survie... Au Moyen-Orient, tout le monde observe cela et hausse les épaules avec lassitude, avant de tourner le dos pour s’occuper des choses sérieuses.


Mis en ligne le 30 mai 2011 à 11H26

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