Eloge du mensonge, par l’expert BHO

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Lors de son passage au Royaume-Uni, le président des USA, qui est démocrate et par conséquent “progressiste” selon le catéchisme, n’a pas manqué à la tradition des présidents de cette sorte. Il a rencontré les dirigeants britanniques du parti travailliste “et par conséquent ‘progressiste’ selon le catéchisme”, et rencontré effectivement une pratique courante des “special relationships”. Les dirigeants du parti travailliste ont recueilli avec reconnaissance le fruit resplendissant de la parole présidentielle : pour être élu, il faut dire que tout va bien et que tout ira encore mieux.

The Independent s’est fait le messager empressé de l’âme de la rencontre entre les deux camps “progressistes” transatlantiques, ce 29 mai 2011. L’article nous précise au reste que le Système, à Washington, devrait considérer l’option travailliste à Londres, dans la mesure où la direction travailliste semblerait donner toute satisfaction à ce Système, dans l’esprit de la période Blair-Brown, qu’a parfaitement restitué le film de Roman Polanski The Ghostwriter. Notamment, le “ministre des affaires étrangères” du shadow cabinet des travaillistes, Douglas Alexander, un “homme de Blair” qui fit divers stages fructueux aux USA et fit partie de l’équipe électorale du candidat démocrate US Dukakis aux présidentielles de 1988, apparaît comme un “homme sûr” pour les services d’influence US, qui pourrait pousser Washington à soutenir les travaillistes d’une façon plus affirmée. (On ajoutera, comme on fait d’un détail révélateur, sinon significatif, qu’Alexander fut aussi le speechwriter, autre sorte de ghostwriter, de Gordon Brown, au début des années 1990.)

…Quoi qu’il en soit, voici les “conseils” d’Obama à ses amis de Londres, et diverses remarques autour de cela.

«Barack Obama has warned Ed Miliband that he can only win the next election if Labour embraces a more optimistic vision for Britain's future.

»In talks between the two centre-left leaders last week, the US President set out the blueprint for inspiring British voters at a time of anxiety about the state of the economy. During a 40-minute meeting at Buckingham Palace, President Obama and Mr Miliband discussed the shared challenges facing progressive parties on both sides of the Atlantic. The President in particular stressed the “importance of having an optimistic sense of national mission”. There has been growing unease among some senior Labour figures that, in opposing the coalition's spending cuts, the party risks being seen as relentlessly negative.

»Mr Obama's soaring oratory most famously captured the American mood with his “Yes We Can” slogan, which swept him into the White House in 2008. It was a theme to which he returned in his Westminster Hall speech to MPs and peers on Wednesday, when he spoke of having “faith in the promise of tomorrow”. […]

»In an interview with The Independent on Sunday, Mr Alexander made clear that Tuesday's meeting built on the tradition of Labour and the Democrats working together. “We talked both about how to frame and secure a progressive future in tough economic times, how do you give people the prospect of a better life, productive work, more opportunities, amid all the challenges facing the economies of Britain and America today. The strength of our ties with the Democrats remains strong and is very useful to Labour rebuilding.” […]

»It is not the first time Labour has looked across the Atlantic for inspiration. In the mid-1990s, Gordon Brown and Tony Blair met a young Bill Clinton, to share high-minded ideas on building a progressive politics and exchange more lowly tricks for use in campaigns. Mr Alexander said these included how to establish a war room "so that if your opponents tell lies you can get the truth on the record pretty quickly", and the use of soundbites “to distil down a complex political message in a few seconds”. Such techniques became synonymous with New Labour.»

…Certes, nous pourrions nous attarder à l’état, évidemment délabré, des domaines de l’âme et de l’intelligence, avec effets sur leur politique ou projet politique, des politiciens britanniques, version Labour. L’affaire serait vite expédiée. Ce qui nous attache plus, cette fois, c’est le rôle quasiment pédagogique ostensiblement tenu par le président des USA, 44ème de la liste et glorieusement Africain-Américain, racisme enfin vaincu par les forces des Lumières, sourire éclatant avec un nombre considérable de dents, et, plus encore, avec “Yes, we can” en bandouillère. C’est en effet la substance (“Yes, we can”) de la conversation.

Car, bien entendu, bien peu de choses de substantiel nous est dit à propos de Barack Obama, plutôt du “message” qu’il apporte à ses camarades “progressistes” d’outre-Atlantique. C’est un signe que, de substance il n’y a point parce que, de substance nous n’avons nul besoin. Deux phrases feront l’affaire pour expédier la pensée-Obama, que ce soit «[Labour] can only win the next election if Labour embraces a more optimistic vision for Britain's future.», que ce soit «importance of having an optimistic sense of national mission». A ce point vous vient l’interrogation à propos du degré de dérision, jusqu’au fou-rire nerveux, qu’on trouve dans cet étalage absolument impudique de l’escroquerie de l’intelligence que représentent aujourd’hui, soit le commentaire politique, soit la parole politique d’un dirigeant, soit la substance des conversations politiques entre dirigeants, sur la substance (justement) de cette action. La vacuité du propos est, à cet égard, extrêmement significative quant à la représentation qu’on se fait de la vertu politique ; par conséquent, nous mesurons avec presque un étonnement admiratif la vacuité extrême à laquelle le président des Etats-Unis est parvenu au bout de trois ans de pouvoir… Certes, il s’agit du mensonge pur, ou du mensonge à l’état pur, sans considération d’aucun de ses rapports seulement tactiques avec la réalité, mais la pureté presque parfaite de cette vacuité du mensonge elle-même constitue une surprise. On dirait que l’exercice du pouvoir a privé Obama de sa substance, – quelle que fût cette substance par ailleurs ; ce n’est plus “le pouvoir corrompt” (“le pouvoir absolu corrompt absolument” constituant une hypothèse discutable mais qui n’est pas absurde ni infondée), mais le “pouvoir vide”, “le pouvoir assèche”, “le pouvoir rend impuissant”, “le pouvoir rend infécond”, “le pouvoir rend inexistant”, etc. ; dans ces divers cas, on observera simplement que nous n’avons nul besoin des termes “absolu” et “absolument” (“le pouvoir rend inexistant” vaut bien “le pouvoir absolu rend absolument inexistant”, car “l’inexistence” se suffit à elle-même, comme un concept lui-même absolu : on “n’inexiste” pas à un tiers ou à deux tiers quand on n’existe plus).

L’aspect remarquable de cet article qui pourrait par ailleurs paraître anodin, c’est la discussion en pleine lumière, entre des dirigeants politiques dont l’un est, en exercice, le président des USA, des moyens de fabriquer une réalité faussaire selon le seul critère de l’efficacité démagogique. Le pouvoir des mots pour dissimuler cette réalité d’une discussion sur un tel sujet est à cet égard à mesurer précisément, car il est époustouflant pour des esprits d’une telle pauvreté et d’une telle bassesse. Ainsi vous dit-on (BHO dit-il) qu’il faut avoir “un sens optimiste de sa mission nationale”, phrase dont on cherche à percer le sens ; sens qui est percé à jour, certes, lorsque Obama déclare à ses interlocuteurs qu’il faut “embrasser une vision plus optimiste de l’avenir de la Grande Bretagne”. Il n’est pas question de chercher à distinguer quel est l’avenir de la Grande Bretagne, mais de faire en sorte que l’avenir qu’on distingue pour la Grande Bretagne soit “plus optimiste”… Mensonge ? Est-ce conseiller de transformer d’une façon faussaire, mensongère, sa vision de l’avenir, pour la faire devenir “optimiste” ? Finalement, certes pas… Il apparaît évident que personne, dans ces conversations diverses, n’a de vision de l’avenir, ni ne cherche vraiment à en avoir une. Il s’agit de déterminer ce qui est préférable du point de vue de ce qu’on nommerait “rentabilité électorale” (certains parlent de “démagogie”, comme nous l’avons fait plus haut, mais n’est-ce pas finalement leur faire bien de l’honneur ?). Obama tranche, en maître queue stylé du Système, en assurant qu’il faut qu’elle soit “optimiste”. Une conversation d’égout, de zinc de comptoir ou de conseil d’administration, n’aurait pas plus de tenue.

Plus encore, cet article et ces diverses observations nous conduisent au constat effectivement le plus important de la vacuité intellectuelle et intuitive de ces hommes politiques. Ils sont aujourd’hui, d’une façon totalitaire, des créatures du Système, sans la moindre conscience de l’être (ce pourquoi, à la réflexion, nous écartons la situation de “prisonnier du Système”, que nous sollicitons parfois pour décrire cette catégorie de sapiens, qui implique évidemment la conscience de cette situation). Cela confirme une observation fondamentale, face à une conception souvent exposée selon laquelle le Système est une “machine à décerveler les masses”, à “aliéner le citoyen”, etc. La réalité est, aujourd’hui sans aucun doute, que le Système est une machine à décerveler les dirigeants politiques et à les aliéner complètement, à la manière d’équivalents de robots, et nullement les “citoyens” qui se signalent au contraire, de plus en plus trouvent, par la protestation et la révolte. Le cas d’Obama est vertigineux, et il l’est effectivement parce que cet homme peut et doit être considéré au départ comme intelligent, avec une force rationnelle évidente. Cette force est réduite à néant pour son effet positif et constructif, elle devient un formidable auxiliaire du Système dans sa mission d’anéantissement de l’esprit. C’est la situation d’une totale corruption par la psychologie de la raison humaine, de la raison humaine devenue elle-même la créature du Système, “source de tous les maux” en l’occurrence. Le résultat n’est certes pas à l’avantage du Système, – confirmant en cela la pulsion autodestructrice fondamentale de ce même Système, qui est la marque de sa crise terminale ; ces personnages, aussi vides, aussi absents de la vérité du monde, aussi inconsistants et imprévoyants par conséquent, sont absolument formatés pour prendre les pires décisions possibles pour la survie du Système. Ils s’exécutent.


Mis en ligne le 30 mai 2011 à 07H48