A Washington, effondrement subreptice et turbo

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Il ne manque ni d’avis, ni d’analyses, ni d’appréciations pour vous prédire ce qui va survenir à Washington, d’ici le 2 août et après le 2 août, et dans tous les sens possibles. Nous pouvons d’ores et déjà vous dire ce qui survient en ce moment même : le tourbillon du chaos tournant dans tous les sens, et dans le même sens, pour nous signifier l’effondrement subreptice de la puissance US… En mode turbo et, selon la formule consacrée, la surpuissance du Système tournant toujours à fond, mais désormais pour soutenir sa dynamique d’autodestruction. Le Système a le sens de la solidarité.

• Comment choisir entre les dernières nouvelles ? Celle-ci, qui nous annonce, ce 27 juillet 2011 (Reuters), que les dirigeants du Congrès travaille à mettre au point un compromis… «Top Republicans and Democrats worked behind the scenes on Wednesday on a compromise to avert a crippling U.S. default, looking to salvage a last-minute deal from rival debt plans that have little chance of winning congressional approval on their own.» La question qui nous brûle la plume est celle qui est contenue dans le titre de cette analyse : «Lawmakers seek elusive compromise to escape debt debacle.»… Cela signifie-t-il que le compromis est “insaisissable” (élusive) maintenant ou cela signifie-t-il que le compromis qu’ils vont élaborer sera “insaisissable” ? Dans notre grande sagesse, nous conclurions : “les deux, mon colonel”.

• Dans cette immense mêlée où l’on ne sait plus qui est qui et qui est contre qui, surnage aujourd’hui le cas du Speaker (président) de la Chambre des Représentants, le républicain John Boehner. Il est nécessairement l’interlocuteur et l’adversaire directs du président Obama puisque c’est la Chambre qui s’est instituée comme censeur principal des décisions concernant la dette du gouvernement. Boehner, républicain plutôt modéré, est mal à l’aise en représentant d’une majorité républicaine qui est de plus en plus sous l’influence d’une minorité solide, remuante, exigeante et, bien entendu, radicale, – celle de Tea Party. Boehner vient de subir l’embarrassante précision, venue du Congressional Budget Office (CBO), que le plan déjà fort contesté qu’il présentait, souffrait également d’une faute comptable un peu gênante (prévision de réduction de $1.200 milliards sur 10 ans réduite à $850 milliards), ce qui conduit à un nouveau calcul de la proposition alors que la faction Tea Party ne se cache pas de se boucher le nez rien qu’à l’évocation de ce plan. D’où cette interrogation (le 27 juillet 2011, sur Reuters) de James Pethokoukis, de savoir si Boehner ne risque pas sa position… «John Boehner is fighting hard to right Washington’ s finances. But is he also, in effect, fighting to keep his job?»

• D’autres, comme Felix Salmon relayant Ezra Klein (Reuters, le 26 juillet 2011), avancent l’explication que la source de désordre actuel, et du blocage sur la question de la dette, remonte à décembre 2010 et aux démocrates.

«Ezra Klein reckons I’m wrong about the tactical failures among Democrats which led to the current debt-ceiling fiasco and the probable loss of America’s long-prized triple-A credit rating. The big failure, he says, wasn’t at Treasury, and wasn’t at the White House: it was in the Senate. Specifically, this is all the fault of [Democrat majority leader] Harry Reid. […] Here’s Reid on December 8, 2010…»

• D’une façon plus générale, comme le signalait un de nos lecteurs pour le cas du Monde le 27 juillet 2011, la situation washingtonienne commence à montrer de très insistantes réminiscences de la Guerre de Sécession. L’article, qui fait une grande place à l’historien Michael Lind (pas le très bon, pas notre William S. Lind), de la fondation New America, termine notamment sur cette déclaration de Lind : «La branche législative est “tellement paralysée, dit-il, que les parlementaires vont finir par dire eux-mêmes un jour au président : à vous de décider”…» La journaliste qui signe l’article, Corine Lesnes, conclut : «Barack Obama ne s'en plaindrait probablement pas.»

…Ce qui n’est pas du tout notre avis, de croire qu’Obama se réjouirait d’une telle issue qui lui donnerait tous les pouvoirs dans cette affaire de dette, et dans d'autres cas, – hypothèse trop “française”, selon une tradition où le pouvoir exécutif a toujours été perçu comme régalien, c’est-à-dire légitime en lui-même, ce qui n’est certainement pas le fait de l’exécutif américaniste, et de son premier “officier”, le président. (Par ailleurs, hypothèse improbable dans sa prémisse, tant ceux qui auraient à prendre cette initiative, Boehner, Reid et quelques autres, craindraient avec raison de se retrouver privés de toute autorité au Congrès.) Obama se retrouverait comme il s’est révélé depuis qu’il est au pouvoir, aussitôt empressé à rechercher, par une autre voir, un soutien le plus large possible (comprenant les républicains), y compris celui du Congrès par une autre voie, ce qui ne ferait qu’aggraver encore la situation. Mais l’évocation de cette hypothèse ici n’est pas pour sa valeur propre, mais pour illustrer le niveau de chaos atteint par la situation washingtonienne, – également mesurée par les déclarations de Lind autant que par le fait lui-même de l’article du Monde.

Ce qui, éventuellement, ramène aux questions déjà évoquées, – que va-t-il se passer ? Que signifie la situation actuelle ? Et surtout : y a-t-il menace d’un effondrement, d’une façon ou l’autre ? A cette dernière question, qui résume toutes les autres, nous serions tentés de répondre une fois de plus que l’effondrement est en train de se dérouler sous nos yeux, en général un peu aveugles pour cette sorte de reconnaissance. La caractéristique de la situation washingtonienne marque déjà l’effondrement effectivement réalisé de la formule fondamentale du système de l’américanisme, qui est l’architecture, l’équilibre et le fonctionnement équilibré de son pouvoir. Aujourd’hui, le pouvoir est totalement en panne aussi bien du côté d’Obama que du côté des républicains (Boehner et compagnie, menacés d’être mangés tout cru par Tea Party), et surtout en panne dans le fait de ce délicat équilibre qu’il doit être et qu'il n'est plus. L’explication n’est ni politique ni idéologique, bien évidemment, mais structurelle. Le pouvoir US est totalement déstructuré et s’effondre en lambeaux, dans un chaos général. L’effondrement se fait subrepticement, éventuellement avec l’élégance paradoxale de ne pas dire son nom.

A côté de cela, nous oserions écrire que le sort de la dette n’a guère d’importance, non plus que le rafistolage éventuel d’un compromis “insaisissable”, qui rendra encore plus “‘insaisissable” le pouvoir US lui-même. La formule est désormais universelle, puisqu’on retrouve cette impuissance totale, presque organisée avec une sorte de génie systémique, jusque dans le CNT libyen. Dans le cas washingtonien qui nous occupe, reconnaissons pourtant qu’il y a des chances sérieuses que cette affaire de la dette marque un tournant fondamental, encore une fois moins pour la dette elle-même que pour le pouvoir américaniste. Bien entendu, et quoi qu’il se passe d’ailleurs (compromis “insaisissable” ou pas), les remous économiques et financiers seront considérables, comme ils le sont d’ailleurs depuis l’automne 2008, et en gestation active et significative depuis le lancement de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, qui est la formule même de la fin du Système ; mais la question effectivement d'une importance fondamentale est celle du pouvoir washingtonien, parce que c’est le point de contact privilégié, d’échange et de mélange également fondamental, entre l’activité humaine au service du Système et le Système lui-même.

A partir de l’épisode présent, on doit s’attendre à une décadence accélérée, à la Chute pour un pouvoir washingtonien dans une logique et une dynamique de déstructuration complète. Bien sûr, il reste la question supplémentaire de savoir par quel biais s’exprimera fondamentalement cette chute du pouvoir, cet effondrement de système spécifiquement washingtonien. Nous continuerons à penser que son expression la plus évidente et la plus tentante est celle de l’éclatement de type dislocation (“sécession” à la sauce postmoderniste), – déjà largement évoquée sur ce site, – parce que c’est l’option naturelle des USA, qui sont et restent un monstrueux artefact de puissance artificiellement créé pour le service du Système. Encore une fois, la période d’ici à l’élection de 2012, avec des candidatures aussi explosives que celles de Ron Paul et de Bachmann, entretenues par la hargne anti-Obama qui est d’essence culturelle et structurelle, nous semble correspondre parfaitement pour l’expression quasiment constitutionnelle et légitimée d’un tel événement.


Mis en ligne le 28 juillet 2011 à 12H02

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