2012 sera chaud

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L’année 2012 est exceptionnelle pour des événements politiques et constitutionnels inscrits dans le calendrier. (Il y a aussi le calendrier des Mayas, mais cela est une autre histoire, comme disait l’oncle Paul.) Au moins quatre élections présidentielles ont lieu en 2012, dans des pays d’une particulière importance, et toutes dans des conditions incertaines et grosses de surprises ou de troubles, de façons différentes pour les quatre pays. Successivement, les présidentielles auront lieu en Russie, en France, au Mexique et aux Etats-Unis.

On sait déjà, par exemple, que la question se pose de savoir s’il y aura un candidat des “narco-trafiquants” à la présidence mexicaine, dans un pays dévoré par une véritable “narco-guerre” qui touche les USA. On sait déjà, autre exemple, que les élections présidentielles US, présentées de façon très conformiste par la presse-Pravda ou presse-Système, pourraient voir l’intervention d’un candidat en marge du Système bien qu’il soit républicain, et qui bénéficie d’une formidable popularité, – on veut parler de Ron Paul, certes, que certains sondages placent comme le mieux placé du côté républicain pour battre Obama. (Bien entendu, la presse-Système, lorsqu’elle suppute à propos de l’élection de 2012, réussit en général l’exploit de ne pas mentionner ne serait-ce que le nom de Ron Paul, dans une myriade d’éventuels candidats dont certains parfaitement inconnus et sans aucune présence, politique ou statistique, dans la vie nationale. Pour autant, Ron Paul existe et se porte bien.)

Désormais, et d’une façon appuyée et saluée comme sensationnelle, il y a la France qui s’est ménagée son propre suspens déstabilisateur pour 2012. Bien sûr, on veut parler des deux derniers sondages qui placent Marine Le Pen, du Front National, en tête au premier tour. Nous évoquons ici l’événement politique au sens le plus large, si possible hors du strict contexte français, et nullement la circonstance statistique et prospective : valeur des sondages, signification, etc., cette querelle sans fin sur la validité de la chose que le Système s’est fabriquée lui-même en développant les sondages, et qu’il utilise pour nier cette validité lorsque les résultats ne sont pas ce qu’il attend qu’ils soient. C’est le cas, certes, avec le cas Marine…

On citera deux textes intéressants de Marianne2 sur cette affaire de Marine Le Pen en tête dans deux sondages.

• Le premier, de Philippe Cohen, le 7 mars 2011, montrant combien cette perspective concernant les présidentielles de 2012, déjà développée par certains, peut déboucher sur une sorte de bipolarisation dès le premier tour, du type “tous contre Le Pen” … «Une telle occurrence serait un formidable cadeau pour le Front National. Nous avons vécu le “tout sauf Le Pen” au second tour de mai 2007, et nous risquons maintenant d'avoir un “tout sauf Le Pen” au premier tour de mai 2012. Ce magnifique progrès aboutirait à ce que les partis de droite et de gauche disposent ainsi d'un programme commun! Marine Le Pen serait alors très confortable pour, durant toute la campagne, dénoncer “l'UMPS” et démontrer encore plus facilement qu'elle seule incarne la rupture et le changement.»

• Le second, du consultant et spécialiste de la statistique des sondages Philippe Guibert, qui est un collaborateur régulier de Marianne, qui propose, le 8 mars 2011, une analyse sociologique et très politique de ces résultats. On citera un bref extrait de son appréciation sociologique théorique de l’électorat qu’implique le résultat statistique de Le Pen : «[L’]épicentre de la dynamique Le Pen se situe à droite et dans les milieux populaires mais se diffuse au delà, politiquement et sociologiquement, pour lui faire passer la barre des 20%. L’intention de vote Le Pen est aujourd’hui plus interclassiste et plus intergénérationnel.» Surtout, il y a l’analyse politique qui porte d’abord sur les raisons de l’échec des autres face à Le Pen dans ce sondage, c’est-à-dire du discrédit extraordinaire dont est frappé la composante de la direction politique dans le dispositif général du Système en France. Guibert détaille trois énormes “défaillances” du pouvoir en place, avec une responsabilité de Sarkozy à mesure, avant de conclure en reprenant ces trois points sous forme résumée :

«Souveraineté extérieure remise en cause, celle de la Nation mais plus encore celle de l’Europe qui était censée s’y substituer. Autorité de la loi régulièrement piétinée sur le territoire. Remise en cause du principe républicain de légitimité des gouvernants. C’est donc une crise majeure du Politique que nous vivons, dans toutes ses dimensions. La réaction lepéniste est d’abord une demande de puissance publique, d’effectivité et d’indépendance de l’Etat, dans un pays en déclassement économique. Que l’on relise le discours de Tours de M. Le Pen, le 16 janvier dernier lors de son intronisation, et l’on verra que Marine Le Pen a construit sa stratégie sur ces trois défaillances du Politique, avec un discours bien plus bonapartiste que de l’extrême droite française. Avec une dimension sociale nouvelle, mais qui peut aussi se concilier, on le sait, avec le bonapartisme.

»Finalement, il n’y aura pas de 21 avril en 2012. Un 21 avril, c’est un accident, fut-ce pour des causes profondes. Un 21 avril, c’est un résultat collectif fortuit, non souhaité par la très grande majorité des électeurs. C’est arrivé en 2002, ça n’arrivera pas en 2012. Si Marine Le Pen parvient au 2ème tour la prochaine fois, ce sera parce que les électeurs, du moins une partie d’entre eux, l’auront souhaité ou laissé faire. On ne peut exclure cette hypothèse aujourd’hui. Nous voilà prévenus avec plus d’un an d’avance.»

Il ne saurait être question, pour en avoir une appréciation intégrée dans la crise générale du Système, de conduire une analyse idéologique, et nécessairement polémique dans ce cas, ni une analyse trop concentrée sur la situation française de cet événement ; par conséquent, pas d’analyse prospective non plus, ni “électoraliste”. De même avons-nous procédé avec Tea Party, en laissant continuellement de côté l’aspect idéologique du mouvement et, surtout, des critiques du mouvement. Il s’agissait d’apprécier la situation et l’effet de Tea Party dans la crise du Système, par rapport au Système, et quoi qu’il en soit des intentions et du “programme” (s’il y en a un) de Tea Party ; il s’agissait d’une appréciation objective par rapport au seul point qui nous intéresse, qui est le seul important, qui est la crise du Système. (Nous avons tendance à parler au passé de Tea Party parce que son rôle central tend à s’estomper au profit de la crise du Wisconsin avec ses protestataires qu’on classe à l’opposé de Tea Party du point de vue idéologique, mais cette crise du Wisconsin justement et à son tour considérée sans référence idéologique, par rapport à la crise du Système.)

L’intérêt de la situation française aujourd’hui est déjà esquissé par l’analyse de Guibert du comportement, de l’évolution de Marine Le Pen. Guibert parle de “bonapartisme”, dont nous voyons bien le sens et l’esprit de l’interprétation qui ont leur justification, mais c’est là aussi le céder un peu trop à la spécificité française en l'y enfermant. Si Le Pen continue à évoluer comme elle a commencé à le faire, elle sera conduite à marginaliser de plus en plus les thèmes traditionnels du FN au profit des thèmes beaucoup plus large, qui concernent les questions de souveraineté et de légitimité, des conséquences de la globalisation sur la population et sur la situation économique, et à amener le débat sur ce terrain vu sa position actuelle ; ces deux domaines renvoyant aux questions fondamentales de structuration et de déstructuration, non seulement issues de la globalisation, mais plus encore suscitées par la crise terminale du Système, et qui sont l’objet d’une sensibilité très forte et très particulière en France, comme on l’a vu, par exemple, dès 2005, avec le “non” au référendum sur la Constitution européenne. Dans ce cas, cette évolution agit, comme dans le cas de Tea Party (et aussi dans la crise de Wisconsin, et aussi pour encore élargir le domaine, dans le cas du parcours d’un Ron Paul), comme un nouveau détonateur, mettant à jour les conditions de la crise générale du Système. “Dans ce cas”, effectivement, de l’évolution de Marine Le Pen que nous évoquons, et qui nous semble inéluctable tant les pressions de la crise centrale du Système et les réactions métahistoriques de résistance sont grandes pour imposer une telle évolution…

Nous en restons toujours à ce que nous jugeons comme essentiel, qui est la mise en lumière des conditions réelles de la crise générale du Système, – ce qui est infiniment plus intéressant jusqu’à être sans rapport que les débats hystériques et terroristes sur le fascisme et la xénophobie, lesquels constituent derrière l’hystérie et le terrorisme l’habituelle manœuvre de récupération et de mystification du Système. Nous l’avons déjà écrit, cette “mise en lumière des conditions réelles de la crise générale du Système” recèle le prolongement le plus important qu’on puisse imaginer, que nous décrivions (le 28 février 2011) par cette phrase, soulignée d’ailleurs par certains de nos lecteur : «La véritable et plus grande bataille de cette crise centrale est sans aucun doute celle de la réalisation des responsabilités, donc celle de la mise en cause du Système. Quand les psychologies auront complètement assimilé et accepté cette responsabilité, la Chute du Système sera à son terme.»

Effectivement, 2012 sera chaud, en France comme ailleurs, comme on l’a vu. L’intérêt de l’événement dont on débat ici, c’est qu’il a de fortes chances d’instaurer, justement, un débat qui portera, par le biais français qui est d'une richesse extrême quand il n'est pas contrecarré par les agents du Système, sur l’essentiel de la crise centrale du monde. A côté de cela, les résultats des présidentielles françaises en eux-mêmes, avec tous les phantasmes qui les accompagnent, constituent un aspect secondaire, sauf pour ceux qui vivent encore dans les années 1930 ; notamment mais essentiellement, parce que ces résultats ne peuvent être envisagés que dans un cadre international de plus en plus pressant qui les sort des “résultats en eux-mêmes”, et dont l’année 2012, avec tous les changements déjà prévisibles auxquels s’ajouteront les imprévus, pourrait constituer un tournant. Le débat sur la crise terminale du Système, sa prise de conscience, sa mise en lumière, par quelque biais que ce soit, pourraient constituer pour le bloc américaniste-occidentaliste (BAO), l’équivalent au moins dialectique de la chaîne crisique en cours de développement au Moyen-Orient, ou bien son prolongement pour ce même bloc BAO.


Mis en ligne le 9 mars 2011 à 11H32