Forum

Article : Ukrisis, catastrophe potentielle

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

Vous avez dit : conflit de cultures ?

Jean-Claude Cousin

  21/03/2022

Schisme et sous-schismes

Ne nous y trompons pas. Il y a plus de mille ans, une civilisation doublée d'une culture a subi un schisme. Dans une aire constituée de l'Est du promontoire européen et du Sud-Ouest de l'Asie, d'où cette civilisation était partie en fait, elle a continué à prospérer, avec des hauts et des bas, jusqu'à aujourd'hui. On l'appelle d'ailleurs l'Orthodoxie, car il n'y a pas qu'un aspect religieux, mais tout un ensemble d'évidences, basées sur la morale naturelle et sur la Terre-Mère que l'on respecte.

De l'autre côté, dans la partie occidentale du promontoire européen, naquit dans le Latium un esprit révolutionnaire qui bouscula la sagesse pour l'asservir, et conduisit à déifier UN homme. Ce geste inconcevable eut pour conséquence que l'humain refusa de n'être qu'un humble habitant de la Terre, pour en devenir le MAÎTRE par tous les moyens. Cela eut pour conséquence que Rome devint le Centre du Monde connu, et voulut l'agencer à sa manière. Quitte à prendre le meilleur des territoires envahis, car les Latins ne savaient qu'accaparer, et fort peu innover et créer. Le meilleur fut pris en Grèce, chez les Celtes, ailleurs en somme.

Le sort des armes continua à s'acharner : en 732 les cultivés Maures de Cordoue furent bousculés par les hordes hirsutes de Carl Martieaux le Franc. La grande civilisation des Ommeyades commença alors à reculer. Les Romains déjà décadents devinrent anecdotiques.

Il faudra attendre le XIe siècle, pour voir apparaître dans les étendues proches de l'océan un renouveau de civilisation original, qui se traduisit par la merveille que constituaient les cathédrales, livre ouvert à ceux qui ne savaient pas lire.Notons bien que ce renouveau correspond à un retour des Croisades qui fut sûrement fructueux. Est-ce un hasard si alors émergea par exemple un penseur comme Abélard ? Si, à peu près au même moment, surgirent les troubadours ? Mais la doxa veillait, et noya dans le sang ces Cathares qui "ne pensaient pas comme il faut" car ils étaient plus proches de l'orthodoxie orientale que des préceptes léonins de Rome ; quant à Abélard, il fut durement marqué dans sa chair.

Toujours dans cette même période, ces trublions qu'étaient les hommes du nord, les Normands, s'en furent prendre pied sur l'île d'à côté, et y imprimer leur marque aux côtés d'autres hommes du nord, plus frustes encore : les Saxons. Y naquit donc une "civilisation" très originale, dure, âpre, et toujours plus lointaine vis-à-vis de Constantinople.

Celle-ci tomba aux mains des disciples de Mohammed, qui avait unifié un polythéisme alors courant sous l'influence des sectes palestiniennes du nord de son désert. C'est alors que Moscou prit la relève de l'orthodoxie, et continue aujourd'hui à la conserver jalousement, parce que précisément elle est fragile.

De l'autre côté, toujours pour se débarrasser de personnes non souhaitées, les fortes têtes, les voleurs, les sectaires de plus en plus extrémistes, les commerçants les plus âpres au gain s'embarquèrent vers ce "nouveau" continent toujours plus à l'ouest, et l'asservirent à leur manière violente. Sauvages, ils s'imaginèrent créer une nouvelle civilisation sur les bribes d'éthique qui leur restait, mais ces bribes consistaient le plus souvent en une haine de l'autre que l'on sent supérieur, ce qui leur était insupportable. Ils bâtirent donc un château dont les moellons n'étaient que des barils de poudre. Château qu'ils décrétèrent imprenable, mais d'où ils s'élancèrent pour "convertir" tout le vivant à leur éthique si particulière. Comme les soudards-"moines" de la Sainte Inquisition, tous ceux qui n'étaient pas avec eux étaient contre eux, en une logique manichéiste implacable.

C'est alors qu'ils prirent prétexte de grognements entre pays du Vieux Continent pour s'en mêler, commercialement d'abord (on vend des armes des deux côtés), puis sous la forme de petits détachements armés quand le sort des armes ne faisait déjà plus de doute – on n'est jamais trop prudent – et qu'à la fin il vaut mieux être du côté du vainqueur, quitte à l'évincer avec "délicatesse" pour se considérer comme "le vainqueur" (de la vingt-cinquième heure). Cette manœuvre réussit deux fois, pendant que l'île des Normands et Saxons s'arrangea deux fois également à susciter des conflits mondiaux sans paraître y toucher.

Que devint l'évêque de Rome, pendant ces tribulations ? De fil en aiguille il ne fut plus qu'un pion que les politiciens déplacent au gré de leurs besoins, au point qu'aujourd'hui ses positions proclamées paraissent toujours plus schismatiques par rapport au schisme d'il y a 1300 ans. Quand on n'a plus de base, les dérives sont inévitables.

Bilan aujourd'hui.
L'orthodoxie russe tient le coup, malgré les coups de boutoir de l'autoproclamé Maître du Monde, et de ses manœuvriers. L'Europe de l'ouest est en ruines, grâce aux excellents conseils du même Maître. Tout ce qui constitue une vraie civilisation est détruit, le Profit en monnaie, et "possessions" diverses y compris et surtout le POUVOIR, en tient lieu. Le Bien, le Beau, l'Honneur, le Grand sont bannis au profit du GROS, du sale, du grotesque, du vil, du lâche, du vénal, afin que ne subsistent plus que le Potentat et les esclaves consentants.

MAIS l'Orthodoxie résiste. Il est vraisemblable que nous allions vers un affrontement majeur, entre celle-ci qui s'est préparée au choc, et qui a de la mémoire, et un Empire échevelé, fantasque, cruel (mais ne l'admettant pas), affaibli (mais refusant de voir ses faiblesses), un Empire qui cultive le Mal parce qu'il y trouve des attraits, un Mal sous toutes ses formes, délibérément contraire à la Vie.

Bientôt sans doute, résonnera la dernière trompette, et se concrétisera l'Apocalypse (qui veut dire Révélation), qui avait été écrite sur l'île de Patmos, en pleine Orthodoxie. Alors peut-être verrons-nous ce qu'un tout jeune homme avait couché sur le papier, il y a presque toute une vie, alors qu'il était encore croyant.

le 23/04/1965
A l'aube du dernier jour

La trompette a sonné dans le dernier matin.
Un murmure a couru sur la terre endormie.
Dans leurs trous les squelettes ont gémi à la fin.
Là-bas, vers l'orient, la nuée endormie
Se déchire soudain, et dans un grand fracas
Une main sort de terre, en soulevant un chêne,
Et un pied se fait jour dans un tas de gravats,
Et la jambe le suit, bousculant la fontaine.
La Mort épouvantée cache entre ses deux bras
Sa hideuse figure, que creusent les orbites.
Les scorpions, les crapauds, les serpents, les cobras
S'enfuient de tous côtés, loin des lieux qu'elle habite
Et le Fils de l'Homme vient.

 

Tectonique des plaques

jc

  24/03/2022

Je ne sais pas si, géologiquement, il y a une ligne de faille qui traverse l'Ukraine du Nord au Sud qui fissure la plaque eurasienne en deux sous-plaques, l'une orientale et l'autre occidentale. Ce qui m'intéresse ici c'est la tectonique histo-géo-politique européenne : mouvement des frontières matérialisées et mouvement des frontières abstraites, dématérialisées, civilisationnelles.

Ceux qui ont la curiosité -et/ou le courage- de parcourir mes commentaires se doutent déjà de ce qui va suivre, à savoir ma citation thomienne favorite:

"Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés" (et je pense ne pas dénaturer la pensée thomienne en rajoutant l'évolution des espèces à la liste…).

Et on trouve dans son "Apologie du logos" (1990) un article concernant la tectonique des plaques (version géologique) qui aborde la question sous un angle visiblement différent de celui des spécialistes (d'alors) de la chose (l'article date de la fin des années 1970). Ceci pour éclairer le titre de ce commentaire.

Concernant la tectonique des frontières terrestres j'ai découvert que les frontières de l'Ukraine ont été repoussées vers l'Ouest en 1945 par Staline, au détriment de la Pologne qui a ainsi perdu une large bande de territoires allant de Lviv à Vilnius, perte compensée par un gain de territoires pris sur l'Allemagne. Ceci permet d'introduire la véritable raison de mon commentaire, qui concerne la tectonique des plaques religieuses.

Après avoir parcouru rapidement Wikipédia (1, 2), je pense que le "la guerre entre la Russie et l'Ukraine est une grande catastrophe pour la civilisation orthodoxe" de l'universitaire serbe Vladusic (cité par Crooke) devrait être analysé plus finement. Je ne serais en effet pas étonné d'apprendre qu'il y a dans l'actuelle Ukraine des catholiques d'Orient dont je serais intéressé de savoir s'ils sont ou non uniates (c-a-d orthodoxes dissidents qui se sont rattachés à Rome) (et alors la grande catastrophe pour la civilisation orthodoxe pourrait s'étendre en une grande catastrophe pour la chrétienté dans son ensemble).

Thom dresse un catalogue des évolutions de formes qui apparaissent le plus fréquemment (ses morphologies archétypes), associant un verbe à chacune des seize premières de ces morphologies (chacune de ces morphologies étant associée à une de ses sept catastrophes élémentaires) : être, commencer, finir, changer, capturer, émettre, faillir, cracher, rejeter, traverser, secouer, donner, envoyer, prendre, lier, couper (SSM, 2ème ed., p.312).

La première phrase de SSM est : "Un des problèmes fondamentaux posés à l'esprit humain est le problème de la succession des formes", première phrase du premier paragraphe intitulé "La succession des formes" dont la dernière phrase est : "L'objet de toute science est de prévoir cette l'évolution des formes, et si possible, de l'expliquer". Et il s'attache à montrer que les formes ne se succèdent pas les unes les autres au hasard, mais qu'il y en général une certaine forme (sic!) d'inéluctabilité dans leur succession. Autrement dit l'histoire "académique" dont parle souvent PhG ne reste qu'à la surface des choses et au-delà d'elle apparaît très vite l'inéluctabilité de la métahistoire.

Ce qui précède me permet de conclure par une citation découverte sur Dedefensa concernant les "acteurs" de l'histoire en train de se faire (ici de la tragédie-bouffe (3) ukrainienne en train de devenir tragédie tout court) :

Maistre : «On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse… [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments ; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.»


1: https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glises_catholiques_orientales

2: https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_orthodoxe

3: Il y a si peu, le pitre Zelensky remplissait les salles ukrainiennes en faisant un duo de piano avec un compère, mains levées et frocs baissés…
 

Tectonique des plaques.1

jc

  25/03/2022

Complément au .0. Tectonique des plaques idéologiques:

*: Un projet de résolution présenté par la Russie sur la lutte contre « la glorification du nazisme » a été adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, mercredi 16 décembre 2020. Tous les pays membres de l’UE se sont abstenus alors que les États Unis et l’Ukraine ont voté contre.

**: https://frontpopulaire.fr/o/Content/co810452/ukraine-les-neonazis-que-macron-et-les-medias-refusent-de-voir

Y aurait-il une plaque néo-nazie et une plaque néo-bolchévique ? Et une réplique tectonique de l'époque du IIIème Reich contre une réplique de la période stalinienne?

Poutine est-il sincèrement orthodoxe ou profite-t-il seulement de l'église orthodoxe pour arriver à ses fins (reconstituer l'empire russe?), comme Staline l'a -paraît-il- fait en 1941 lors de l'opération Barbarossa  (ressouder toute la Russie pour repousser l'envahisseur)?

Tectonique des plaques.2

jc

  27/03/2022

Pour prolonger sur Poutine (Poutine est-il sincèrement orthodoxe ou utilise-t-il la religion orthodoxe pour servir ses fins -restaurer l'empire russe-?), j'ai trouvé ceci qui me laisse penser que c'est l'option impériale qu'il a choisi(e?) pour la Russie :

« L’intelligence artificielle est l’avenir, non seulement pour la Russie, mais pour toute l’humanité. Cela présente des opportunités colossales, mais aussi des menaces difficiles à prévoir aujourd’hui. Quiconque deviendra le leader dans ce domaine deviendra le dirigeant du monde. » (1).

En ce qui concerne la Chine, il me semble qu'elle est sur la même longueur d'onde, l'objectif annoncé par Xi étant de dominer le monde en 2034, date anniversaire de la révolution chinoise initiée en 1934 par Mao (je n'imagine pas un instant que Formose n'ait pas réintégré la mère patrie à cette date): les occidentaux ont fait perdre la face aux chinois (1), et l'objectif affiché de Xi -à son peuple et au monde occidental) est de venger cette humiliation.

Poutine, né en 1952, et donc très vraisemblablement un pur produit de l'époque soviétique, a vécu la fin de l'URSS et l'humiliation qui va avec. Je pense que Xi et Poutine sont animés des mêmes intentions pour les mêmes raisons. Washington, Moscou, Pékin même combat: nihilisme matérialiste total dans les trois capitales, guerre totale dont le vainqueur sera le plus nihiliste?

L'antique sagesse et le retour à la tradition plurimillénaire où le pouvoir temporel était cornaqué par une autorité spirituelle, sera donc très vraisemblablement pour plus tard et j'ai bien peur que les générations qui arrivent vont rentrer dans un âge encore plus sombre que l'actuel. À moins que "des menaces difficiles à prévoir aujourd'hui" ne ruinent ce "beau" programme nihiliste et débouchent plus vite que prévu sur l'âge d'or d'une nouvelle civilisation planétaire: ce serait pour moi un miracle…

À mon avis l'affrontement final sera l'affontement IA/IN. Et là les idées de Thom referont-elles peut-être surface? :

"Les marchands de quincaillerie électronique voudraient nous faire croire qu'avec la diffusion des ordinateurs, un ère nouvelle va s'ouvrir pour la pensée scientifique et l'humanité. Ils pourront tout au plus nous faire apercevoir où est le problème essentiel : il est dans la construction des modèles. (...) Dans cette tâche, la cervelle humaine, avec son vieux passé biologique, ses approximations habiles, sa sensibilité esthétique, reste et restera longtemps encore irremplaçable." (SSM -sous-titré essai d'une théorie générale des modèles-, 2ème ed., conclusion)


1: https://theconversation.com/la-strategie-russe-de-developpement-de-lintelligence-artificielle-127457

2: https://fr.wikipedia.org/wiki/Concessions_%C3%A9trang%C3%A8res_en_Chine

Tectonique des plaques.3

jc

  27/03/2022

Qu'est ce que la France a à gagner dans ce combat nihiliste (cf. le .2) entre Washington, Moscou et Pékin? Rien.
Qu'est ce que la France a à perdre dans ce combat? Tout.

Une raison pour envisager le coup suivant, la future tectonique des plaques et s'y placer -bien entendu, selon moi, dans le camp du bien-?:

- le camp du mal -new deal- : nihilisme, matérialisme "mécanique", IA, pragmatisme, positivisme, progrès technique, idéal de puissance, lutte pour le pouvoir, hybris, démiurgie;
- le camp du bien: IN, idéal de perfection, herméneutique.

Dans la conclusion d'Esquisse d'une Sémiophysique Thom oppose démiurgie et herméneutique et termine par :

"Seule une métaphysique réaliste peut redonner du sens au monde" (et, dans l'introduction, il qualifie de minimale celle qu'il propose). Pour moi même les traditions évoluent…