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Article : Trump et le cri fou des mouettes dans la tempête

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L'hégémon sacré

Denis Monod-Broca

  16/07/2025

J’avais écrit le texte ci-dessous en août 2023, intitulé « l’hégémon sacré » :

Les nations sont des êtres vivants. Cette vision des choses n’est plus en vogue. C’est dommage. Elle exprime une réalité. Les formules telles que « la France pense que… », « les USA ont décidé de… », « la perfide Albion », « la Chine a vécu un siècle de honte », « l’Italie est fière d’être championne du monde de… », etc., sont couramment utilisées et elles ont un sens, un sens propre, non métaphorique, dénué de toute ambiguïté. Même si, vicissitudes historiques et géographiques obligent, frontières et peuples ne correspondent pas toujours, les nations peuvent bel et bien être décrites comme des êtres sociaux et politiques vivants, c’est-à-dire doués de sentiments, pensants, parlants, agissants.

Si elles sont des êtres vivants, il est légitime de comparer leurs comportements aux comportements de ces autres êtres vivants que sont les hommes.

Les hommes se sont regroupés en tribus qui, avant d'être capables de se donner des institutions dûment réfléchies, tenaient leur cohésion d’un ensemble d’interdits, mythes et rituels sacrificiels né au gré de la sélection naturelle et évoluant avec elle. Le roi sacré, ancêtre du monarque de droit divin, est ainsi apparu. Il donnait leur stabilité aux tribus dont il était le centre. Il était un être à part. Bienfaisant, protecteur, tout-puissant, il était aussi tout à la fois, paradoxalement, victime promise au sacrifice car accusée des pires méfaits, et il finissait le plus souvent, au sens propre du terme, à la casserole.

Semblablement, les tribus, devenues nations, se regroupent en tribus de nations, c’est-à-dire, pourrait-on dire, en métatribus.

Les empires sont ainsi des métatribus dont la nation dominante est, comme le roi sacré, à la fois toute-puissante et promise au sacrifice, à la fois protectrice et cible de toutes les critiques.

Et, désormais, l’humanité entière est une telle métatribu unique, s’étant donné un roi sacré unique, ou hégémon sacré unique, les Etats-Unis d’Amérique qui assument, depuis 80 ans, bien obligés, cette charge terrible qui leur a été conférée.

Privilège inouï : l’hégémon peut librement s’installer dans quelque nation souveraine que ce soit, y créer des bases militaires, y contrôler et y corrompre le gouvernement à sa guise, y organiser des coups d’état, « révolutions de couleur » et autres opérations de regime change, la bombarder ou l’envahir si elle résiste, etc. La nation qui conteste ce privilège est coupable du pire des crimes, celui de lèse-hégémon. C’est le cas de la Russie actuellement en Ukraine. 

Mais, corollaire de ce privilège sans pareil, les USA sont, aussi, en même temps, comme tout roi sacré, accusé des pires turpitudes, et sa situation de victime promise au sacrifice apparaît en filigrane, de plus en plus fréquemment, dans d’innombrables déclarations. 

La crise que nous vivons peut donc être comprise comme l’émergence d’une alternative : soit la métatribu des nations sacrifie « tout simplement », tout rituellement, son hégémon sacré actuel et le remplace par un nouvel hégémon sacré, soit elle est capable, bannissant le sacrifice et la violence, accédant à la conscience d’elle-même, de se donner des institutions lui permettant de se gouverner, à la manière d'une nation dotée d'institutions (La Société des Nations puis les Nations-Unies sont bel et bien une préfiguration de ce choix-là).

Enjeu considérable !

La tentation est grande de nous donner un nouvel hégémon sacré. Un candidat est en lisse, la Chine bien sûr, la Russie aussi peut-être qui sait ?… Serons-nous capables de suivre une autre voie, une voie rationnelle, consciente, tournée vers la concorde et la paix ? Voie étroite, difficile à envisager. Mais quels soubresauts, sinon, sont devant nous !

Ces quelques lignes sont un résumé trop succinct d’une très longue et très complexe  évolution. 

Sur la scène du monde, les USA, pays à la « destinée manifeste » comme il est dit parfois, ont une position littéralement extraordinaire. Tout tourne autour d’eux. Ils fascinent et attirent tous les regards, et ils attirent aussi tous les ressentiments et toutes les haines. Cela ressemble étrangement à la position décrite ci-dessus du roi sacré des tribus primitives (et moins primitives…)
 
Voir en l’humanité une tribu de nations et, dans les USA, son roi sacré (et pas seulement le « gendarme du monde ») aide à appréhender la réalité de la situation et à comprendre les ressorts de nos comportements.

Car nous, nations du monde, y jouons un rôle, car le statut qui est celui des USA, ils le tiennent de nous.

Car la suite dépend aussi de nous.

La France devrait s’efforcer de montrer le bon chemin, celui de la conscience et de la concorde.

La suite des événement ayant confirmé la validité de ma vision de la vérité-de-situation d’il y a deux ans, j’y ajoute aujourd’hui ceci :

Lorsque la fin de son règne approchait, que sa toute-puissance était contestée, le roi sacré se livrait à toutes sortes de transgressions rituelles, comme pour justifier les accusations portées contre lui et comme pour justifier par là-même le sacrifice qui allait suivre et qui verrait la tribu retrouver son unité autour de sa dépouille.

L’hégémon sacré du monde est dans cette même situation. La fin de son règne approche, sa toute-puissance est contestée, les accusations contre lui fusent de toutes parts et lui multiplie les pires transgressions, comme pour justifier nos accusations…

Les USA ont réélu Trump et, sous sa nouvelle présidence, ils se comportent en roi sacré à l’approche du sacrifice.

Incarnation d’Ubu-roi, la casquette MAGA vissée sur la tête, comme pris par une force qui le dépasse, Trump multiplie les décisions absurdes, les incohérences, les actions insensées. Les USA, sous sa présidence, se précipitent vers leur fin. Ils sont conscients que leur trône vacille, ils aimeraient le consolider et retrouver leur splendeur d’antan, mais tout ce qu’ils font a pour effet, au contraire, d’accélérer leur effondrement.

Et nous y assistons, avec une joie mauvaise…

La France devrait tenter d’appeler à la raison.

Denis Monod-Broca
25-8-23 et 19-7-25