Forum

Article : Notes sur une fusion-entropisation

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

J'écris ceci dans Europe-solidaire.eu

Jean-Paul Baquiast

  09/10/2012

Le suicide de l’industrie aéropatiale européenne

Supposons sans prendre de grands risques que nul, dans les cabinets ministériels français concernés, ne lira cette chronique de Défensa http://www.dedefensa.org/article-notes_sur_une_fusion-entropisation_09_10_2012.html.

Dommage. L’auteur y cite des commentateurs américains bien informés qui s’étonnent de voir les gouvernements européens bénir la fusion envisagée entre EADS, qui se portait plutôt bien et la monstrueuse et corrompue BAE. On peut s’interroger en effet sur les motifs profonds qui poussent les Européens à s’engager ainsi dans cette voie suicidaire.

Le gouvernement français pour sa part restera donc silencieux face à un abandon menant à la disparition de l’industrie aérospatiale nationale. Que fait alors au gouvernement l’ancien PDG français de EADS Louis Gallois? Avalera-t-il son chapeau?

Quant aux gens de gauche (à part le seul Mélanchon, soupçonné de ce fait des pires compromissions), ils ne savent que tirer à vue sur Dassault, le seul et vaillant survivant d’une industrie jadis florissante.

Jean Paul Baquiast

La guerre de trois n'aura pas lieu...

Michel DELARCHE

  10/10/2012

la fusion a capoté pour une mesquine affaire d’emplois militaro-industriels en Allemagne (chassez le national par la porte, il revient par la fenêtre.
Ce n’est probablement que partie remise (car cette course aux méga-fusion n’est qu’une métaphore du rêve de La Fin de l’Histoire), et cela se fera dans une meilleure configuration pour EADS: d’ici à 5 ans, la dégringolade des marchés militaires anglo-ricains va permettre d’organiser l’absorption de BAE (si les Américains n’ont pas mis la patte dessus entre temps…) sur une base plus raisonnable: disons 20% max du total pour la perfide Albion…

Réaction et promesse de suite de la plus claire des hongroises.

GEO

  10/10/2012

EADS-BAE: la trahison à l’horizon

5 octobre 2012

http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/185

Pour y voir plus clair dans cette affaire dite « extrêmement complexe » que serait la fusion proposée entre EADS et BAE Systems, il faut avant tout rectifier au moins deux contrevérités omniprésentes dans l’écrasante majorité des dépêches d’agences, sans parler des commentaires divers et variés.
Première « erreur » : à en croire la présentation trompeuse
à laquelle on a droit dès les premiers ébruitements, le mariage des deux sociétés aéronautiques et de défense résulterait en un géant européen, capable de tenir tête à la
concurrence internationale, notamment celle des grandes firmes américaines. Faux. L’un des premiers soucis des mariés eux-mêmes serait justement de réfuter toute étiquette «européenne », et leurs noces signifieraient, en effet, une étape décisive dans le transfert sous le giron du Pentagone de l’industrie d’armement européenne.

Deuxième « erreur » :
les exigences prétendument déraisonnables des gouvernements, en particulier celles de la France, risqueraient de torpiller une lumineuse idée qui, selon ses initiateurs, « makes perfect business sense ». Doublement faux. Primo : vouloir maintenir, voire maximiser
l’influence des Etats dans des compagnies éminemment stratégiques n’est pas un luxe, encore moins un caprice, mais un devoir envers les contribuables-citoyens.
Secundo : aux yeux des instigateurs industriels du projet, il s’agit avant tout d’un dessein idéologique (à forte implication politico-stratégique), à tel point que pour le mener à bien ils sont parfois prêts à ignorer même leur sacro-sainte « logique des affaires ».

Si le projet aboutit, on assistera à une perpétuelle fuite en avant dans une dynamique du perdant-perdant. Avec, d’un côté, des gouvernements qui auront accepté de voir dilués leurs derniers semblants d’influence dans cette industrie essentielle de souveraineté et, de l’autre, les financiers-industriels qui attendraient avec la patience candide des fidèles croyants qu’un jour le sésame du marché de défense US s’ouvre à eux véritablement.

Pour y parvenir BAE-EADS n’aurait de cesse de faire pression sur les Européens pour accepter toujours plus de concessions (en termes de pratiques commerciales « loyales » vis-à-vis de l’Amérique, aussi bien que d’alignement politico-diplomatique), en jurant chaque fois que le dernier renoncement en date sera, enfin, celui qui fera disparaître tous les obstacles.

Outre les divers chantages et pressions, les Etats, eux, découvriraient chaque jour davantage ce que signifie d’abdiquer des responsabilités régaliennes au profit d’un secteur privé complètement américanisé, pour ce qui est du bilan commercial du pays, de son statut international, ou tout simplement de sa position de négociation, partie en fumée.

Inversement, un éventuel échec du « deal du siècle » ne ferait que ralentir la même évolution. A moins que l’intense médiatisation de l’affaire ne mène, par miracle, à un sursaut d’action découlant de la prise de conscience des enjeux et de notre lamentable situation.
Notamment du constat que si l’on a frôlé le suicide géopolitique, c’est parce que, avec EADS telle qu’elle existe aujourd’hui, on avait déjà fait le pas de trop au-dessus du
précipice.

Un papier actualisé sous le titre de “L’échec de la fusion BAE-EADS : que reste-t-il après
une trahison ? L’intention…” sera publié prochainement.

Traces de l'exception Mélenchon

GEO

  22/10/2012

http://www.jean-luc-melenchon.fr/2012/10/21/retour-de-voyage-dans-la-vie-en-morose/
Dans la campagne présidentielle, mélenchon s’était déjà singularisé par la hauteur de ses vues concernant la défense. Il n’a pas tout oublié.

(.....)

Peut-être vous souvenez vous que j’ai tiré la sonnette d’alarme sur ce blog à propos du projet de fusion entre EADS et BAE. Il y avait très peu de commentaires dans la presse sur ce sujet pourtant vital pour notre industrie. Et encore plus pour notre indépendance. Mais ce projet n’a jamais été traité que sous son angle commercial et financier et jamais dans sa dimension stratégique et politique. Il a d’ailleurs été annoncé dans l’indifférence du gouvernement, alors que l’Etat français est un des principaux actionnaires d’EADS. Pourtant le projet portait un penchant beaucoup plus transatlantique qu’européen. Car le britannique BAE est d’ores et déjà un groupe fortement intégré au complexe militaro-industriel états-unien. Il possède des filiales aux USA. Et il participe directement au développement du nouvel avion de combat des USA, le F35, qui a vocation à remplacer le F16, l’avion militaire le plus vendu de l’histoire. Cela isolerait un peu plus le programme français Rafale en Europe. Pour ce qui est de l’industrie de défense, cette fusion enterrerait donc toute velléité d’indépendance européenne face aux USA. Quant à l’aéronautique civile, BAE n’y a pas laissé de bons souvenirs. Lors de la constitution d’EADS en 1998, BAE avait en effet fait l’acquisition de 20 % dans Airbus après avoir renoncé à intégrer EADS en tant que tel. Avant de se débarrasser de cette participation en 2006, contribuant directement aux difficultés financières d’Airbus. Fort heureusement le projet a capoté. Mais du fait des français. Le nouveau gouvernement s’en est absolument désintéressé. Le ministre du développement productif regardait ailleurs. Il faut dire que c’est une tradition en la matière que cet abandon. Sous le gouvernement Jospin, l’indépassable Dominique Strauss-Kahn avait accepté que l’état abandonne ses droits de vote et confie la gestion de sa participation de 15 % dans l’entreprise au sieur Lagardère. Et ça parce que les Allemands avaient hurlé au loup contre la présence de l’Etat. Lesquels Allemands semblent avoir changé leur fusil d’épaule et veulent à présent acheter à partir de la banque publique KFM les parts que possède l’entreprise Daimler. Cette fois-ci encore l’Etat est resté sans voix devant ce qui se tramait. François Hollande a pris son air des grands jours pour déclarer que tout ce nouveau Monopoly avec les Anglos-saxons relevait de « la décision des entreprises concernées ». On ne peut dire pire bêtise sur l’affaire. En tout cas s’il n’avait fallu que compter sur Hollande, les britanniques auraient pu se frotter les mains. En effet avec la fusion, ils auraient disposé de 40 % des parts de la nouvelle société alors qu’EADS aurait représenté 70 % du chiffre d’affaire et 90 % du carnet de commande ! En réalité personne n’a dû lui dire, pas davantage qu’à ce pauvre Ayrault, qui est censé s’en soucier, ni à ce malheureux Montebourg qui est chargé de s’en occuper que sur ce dossier se jouait l’avenir de notre avenir industriel et un bon morceau de l’industrie aéronautique. Voici une idée pour eux, en supposant qu’ils s’intéressent à quelque chose de l’aéronautique. Puisque l’Etat espagnol va entrer au capital et puisque l’Etat allemand va augmenter sa participation pourquoi ne pas racheter ses part à monsieur Lagardère qui dit vouloir s’en aller depuis longtemps. Un groupe public français à 50,45 % est à portée de main. Qu’en dis le sieur Jouyet ? Canard boîteux, investissement stratégique ? Dire que ce sont de tels personnages qui président à nos destins ! En fait, le nouveau président se révèlent tout à fait « normal » pour un gouvernement de l’Europe actuelle : sans ambition ni vue générale, abandonné aux arguties des prétendus experts et aux vautours qui les accompagnent.

(......)

vincze exerce son droit de suite.

GEO

  22/10/2012

Le texte intégral vaut bien sûr la lecture.

http://www.theatrum-belli.com/archive/2012/10/19/tribune-libre.html#more

La faillite du projet de fusion BAE-EADS fut accueillie par un mélange de déception, de tristesse et de noble fureur par la quasi-totalité des commentaires. Déception et tristesse pour l’Europe, supposée être la grande perdante de l’affaire, et fureur contre les Etats égoïstes, qui auraient manqué cette superbe occasion rien que pour satisfaire leurs vilains intérêts. En y regardant de plus près, ce poignant récit devient exactement son inverse. L’Europe devrait être soulagée d’avoir reçu une seconde chance avant de se réveiller un jour pour voir son secteur stratégique télécommandé depuis Washington par le duo Pentagone-Maison Blanche. Et le seul reproche que l’on puisse faire aux gouvernements (à part leurs mobiles, parfois bien piteux au regard des enjeux), c’est qu’ils n’ont pas été plus fermes. 

Distorsions de la vérité
Echec pour l’Europe ? En réalité, l’équation fut simple. Nous avions d’un côté une société, BAE Systems, anciennement British Aerospace, qui s’était tellement investie dans sa carrière d’outre-Atlantique que c’est le ministre de la Défense de Sa Majesté lui-même (Geoffrey Hoon à l’époque), qui constate à son sujet dès 2003 qu’elle “n’est plus britannique”. De l’autre, un EADS dont les dirigeants sont à ce point fascinés par l’Amérique et ses éventuels contrats supposés mirifiques, qu’ils répètent à qui veut l’entendre qu’ils sont devenus “un bon citoyen américain”. Et, dans cet esprit, essuient, de la part des Etats-Unis, humiliation après humiliation avec un inébranlable sourire. Difficile d’imaginer qu’en additionnant ces deux, on aurait obtenu un “champion européen” de l’aéronautique et de la défense, autrement dit un support essentiel de notre indépendance. Par ailleurs, les protagonistes n’ont même pas eu cette prétention. Les deux se présentent comme des leaders “mondiaux” ou “globaux” dans leurs domaines respectifs, et se méfient comme du feu de l’adjectif européen, jugé trop risqué du point de vue de leur projet prioritaire qui est la pénétration-conquête du gigantesque marché de défense des Etats-Unis. Or il n’y a pas deux façons de le faire. On n’y est vraiment admis qu’après avoir levé le soupçon même d’une quelconque interférence étrangère (et encore ; il arrive que le seul souvenir d’une origine autre qu’US suffise pour se retrouver sur la touche), et ayant accepté des règles du jeu garantissant une soumission totale aux intérêts américains. Ou mieux : en devenant, en Europe par exemple, la courroie de transmission de ces mêmes intérêts.

Précisons d’emblée : que l’emprise US sur ses fournisseurs d’armement soit telle n’est pas un reproche, on parlerait même plutôt d’un modèle. Elle n’en pose pas moins un problème. Notamment quand il s’agit d’entreprises à l’origine européennes. C’est-à-dire souvent créées, financés, soutenus à bout de bras pendant des décennies par l’argent des contribuables-citoyens. Non pas par bonté d’âme, et certainement pas pour des raisons mercantiles, mais justement parce qu’elles sont les dépositaires d’une expérience, d’un savoir-faire, d’atouts humains, technologiques et industriels très spécifiques, qui sont comme autant d’ingrédients indispensables à notre liberté de décision et à notre marge de manœuvre autonome. Aussi faudrait-il noter que si les gouvernements européens renoncent à leur droit de regard dans leurs industries stratégiques au profit du secteur privé, ce n’est sans doute que provisoirement que l’Amérique pourra en profiter. La même logique de l’appât du gain qui pousse aujourd’hui une entreprise ainsi « normalisée » vers le Pentagone, pourra très bien un jour le conduire vers d’autres horizons.
(........)
L’impasse EADS
Sur les traces de BAE, l’entreprise européenne se place actuellement aux Etats-Unis au 5e rang des lobbyistes de défense – avec 1,4 millions de dollars dépensés depuis le début de l’année 2012, et un total de 3,5 millions l’an dernier. Le tout pour réaliser moins qu’un dixième du chiffre d’affaires américain de BAE, et au prix d’humiliations spectaculaires. Comme ce fut la perte du méga-contrat des avions ravitailleurs, début 2011, après de longues années d’une épopée tumultueuse, et dans des conditions unanimement qualifiées de “honteuses”. Le ministre français des Affaires européennes est allé jusqu’à parler d’“affront pour la France et pour l’Europe”. Mais rien n’y fait. EADS vient d’annoncer, début juillet dernier, l’ouverture d’un site d’assemblage en Alabama pour son avion A320 – le même projet qu’elle avança pour l’A330 en cas de succès dans l’appel d’offres du Pentagone. Cette fois-ci sans poser aucune condition. Au même moment, il se voit recalé par l’AIA (l’Association américaine des industries aérospatiales), dont le président précise : “Nous sommes ici pour représenter les intérêts des Etats-Unis (industrie) et nous ne croyons pas qu’il soit approprié pour des gouvernements étrangers d’utiliser l’AIA pour faire du lobbying auprès du nôtre”.
Pourtant, EADS n’a pas ménagé ses efforts pour faire oublier ses origines européennes, et la présence d’Etats en son sein. Depuis 2004, date de la mise en place de sa filiale US sous l’appellation EADS North America, la compagnie ne cesse de multiplier les démarches pour peaufiner son profil et accroître son “empreinte” outre-Atlantique. Le patron de la nouvelle unité annonce, dès le premier jour, qu’ils ont l’intention de “se créer une citoyenneté US”, et la société procède à l’embauchage massif de lobbyistes, de capitaines d’industrie et de hauts gradés à la retraite. Et ce avec un si bon flair que l’actuel directeur général/président du conseil d’administration, Sean O’Keefe, est pressenti comme un des candidats possibles au poste de Secrétaire à la Défense sous une éventuelle présidence Romney.
Bien évidemment, la filiale nord-américaine a signé un SSA comme il se doit, mis en place tous les cloisonnements nécessaires, et appris à vivre avec toutes les contraintes ITAR. Surtout, EADS dans son ensemble a développé le même réflexe d’alignement qui est la marque de fabrique des compagnies dont une ou plusieurs unités font affaire avec le Pentagone – à la différence près qu’il l’applique déjà pour la promesse même de pouvoir figurer dans la course aux contrats. Ainsi, sur le même dossier épineux de la levée de l’embargo européen contre Pékin en 2005, le coprésident allemand d’EADS a son propre mot à dire : “Même si l’UE décide de lever l’embargo, en tant qu’entreprise nous devrons suivre notre propre politique. Nous sommes très conscients de nos intérêts. Et nous sommes fermement décidés à faire une offre très attractive à l’U.S. Air Force pour le renouvellement de sa flotte d’avions ravitailleurs, et à nous établir sur le marché de défense américain, le plus grand au monde. Les menaces américaines de cesser tous les transferts et exportations de technologies vers l’Europe montrent clairement que nous devons tenir compte des Etats-Unis pour tout ce qui touche à la Chine et à Taiwan. Nous sommes vulnérables et dépendants”.
Arrêtons-nous un instant. De telles déclarations ont pour conséquence immédiate que, sur un dossier crucial dans nos relations avec un acteur géopolitique de premier rang, l’Europe perd la face. Et ceci n’a rien à voir avec ce que l’on pense de l’utilité, de la légitimité ou de l’efficacité de l’embargo, c’est simplement une question de crédibilité. Il est pour le moins consternant de voir l’une de nos entreprises stratégiques se déclarer d’emblée prête à se désolidariser d’une décision politique si elle la trouve contraire aux vœux de l’Amérique. A force de désengagements des Etats et de fuite vers une hypothétique expansion outre-Atlantique, nous nous mettons à la merci de menaces, pressions et chantages. Or des pressions, il y en a.

(.............)
Dernières précisions
Il convient d’ajouter deux observations à propos de l’ex-plan de fusion BAE-EADS. La première concerne le contexte, la seconde se réfère à la façon de faire. Il est d’abord vrai que, sur le papier, le projet apparaissait comme le point d’aboutissement d’un processus d’“européanisation” lancé par les gouvernements quinze ans auparavant. En effet, le traité d’Amsterdam de 1997 fut le premier texte UE à prévoir explicitement une coopération en matière d’armement, en appui de la mise en place, encore hypothétique, d’une Europe de la défense. Et c’est à la fin de cette même année 1997, le 9 décembre, que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont publié une déclaration conjointe pour dire qu’ils “partagent un intérêt politique et économique essentiel à ce que l’Europe dispose d’une industrie aérospatiale et d’électronique de défense efficace et compétitive”. L’un des objectifs de la réorganisation-intégration annoncée fut de “garantir que l’Europe joue pleinement son rôle dans sa propre défense”. En ce sens, cette déclaration doit être considérée comme le précurseur de celle de Saint-Malo, co-signée par Londres et Paris un an plus tard (et reprise par les Quinze de l’UE au sommet de Helsinki en juin 1999) qui lança la défense européenne sur de toute nouvelles bases. Non plus à l’intérieur de l’OTAN (ce que prétendait faire à l’époque le fameux IESD ou Identité européenne de sécurité et de défense), mais à l’extérieur de l’Alliance.
La naissance de cette PESD (Politique européenne de sécurité et de défense) sous l’enseigne de l’UE marquait, une fois n’est pas coutume, un vrai changement de paradigme. Au point de provoquer, malgré toutes les précautions d’usage dont on entourait la “petite”, un déluge de réactions hystériques de la part des analystes/commentateurs euro-atlantistes. Et un flot continu de menaces et de mises en garde venant de Washington, où s’installa immédiatement la panique. Hélas, les choses ont beaucoup changé depuis. Si les Américains ne s’indignent plus en entendant parler de PESD/PSDC (c’est ainsi que le traité de Lisbonne l’avait rebaptisée), et paraissent même soutenir l’idée, c’est qu’elle a été, en cours de route, profondément dénaturée. Elle a évolué dans un sens (toujours souhaité par les Britanniques, il faut le dire) où elle ne risque plus de déranger d’aucune manière l’emprise US sur l’Europe. Tant et si bien que des experts de plus en plus nombreux recommencent ces jours-ci de parler d’IESD, prônent un re-transfert de la défense européenne sous les ailes de l’OTAN, et ne dédaignent pas d’évoquer une sorte de fusion entre la PSDC et l’Alliance. Loin d’être donc dans la droite ligne des projets d’il y a quinze ans, le plan BAE-EADS se serait donc plutôt inscrit dans ces tentatives de réatlantisation de notre défense.
Finalement une dernière remarque, celle-ci au sujet de la fuite. Il semblerait, en effet, que les positions “obstructionnistes” des Etats ne se soient vraiment durcies qu’après les ébruitements sur l’existence des pourparlers. Que se serait-il passé si… ? On ne le saura sans doute jamais. Mais une chose est certaine : il aurait été beaucoup plus commode pour les protagonistes de conduire l’opération de manière discrète, pour ne pas dire secrète, que de voir les gouvernements obligés à étaler leurs divergences et leur propension à l’abdication sur la place publique. Dans tous les cas, ce serait réconfortant de croire qu’un ou plusieurs hauts fonctionnaires français – ayant encore le sens de l’Etat, le souvenir de la notion de souveraineté et de son lien avec la démocratie en particulier – n’aient pas été complètement étrangers à la divulgation de l’affaire. C’est du moins ce que l’on espère. Car trop souvent, des dossiers d’armement pourtant cruciaux du point de vue de leur implication politico-stratégique sont dissimulés ou présentés à la va-vite à l’opinion publique, sous prétexte qu’ils seraient trop techniques. La seule raison pour laquelle ce n’était pas le cas cette fois, c’est que les média, alertées par la fuite, furent attirées par la dimension quantitative de la fusion proposée (visant à créer le futur numéro un mondial du secteur, avec 78 milliards d’euros de chiffre d’affaires). L’enseignement que peuvent en tirer les promoteurs-sympathisants du projet, c’est qu’au lieu d’un grand coup de trahison, il vaut mieux continuer à procéder par petits abandons successifs – ce qu’ils font déjà jour après jour, dans l’impunité que leur procure l’ignorance, l’indifférence, voire la complicité d’une grande partie de l’élite politico-médiatique.

Hajnalka VINCZE, pour Theatrum Belli