Notes sur une fusion-entropisation

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Notes sur une fusion-entropisation

Un lecteur et, pourrait-on dire, un ami également, nous demandait, mi-sérieux mi-ironique, pourquoi ne trouve-t-on pas une ligne dans dedefensa.org sur la “fusion du siècle”, – EADS-BAE… Mi-sérieux, mi-ironique, parce qu’il se pourrait bien qu’il connût, ce lecteur-ami, quelques parties de la réponse.

Il semblerait qu’il y a un principe qui gouverne ce monde transitoire entre ce qui existait avant cahin-caha, et l’effondrement à visage découvert suivant les préparatifs de la chose, qui vient après et qui a déjà commencé. (“Ce monde transitoire”, période des “préparatifs de la chose”, semble-t-il.) Jacques Brel l’avait deviné, intuitivement, du point de vue de la forme sans aucun doute («Les bourgeois, plus ça devient vieux, plus ça devient con») ; bref, le principe pourrait s’énoncer sur un mode à peine plus innocent, sur le sujet plus précis qui nous intéresse, selon le principe que “les fusions, plus ça devient gros, plus ça devient…”.

Ainsi en est-il de la fusion EADS-BAE. Mais au lieu du qualificatif un peu leste et caricatural, nous tendrions à mettre quelque chose qui signifierait une proximité du “rien” (“les fusions, plus ça devient gros, plus ça devient rien”). Il n’est nullement question de dire que la fusion n’est en elle-même ce “rien”, ce qui ne correspondrait pas à la réalité de la chose. Il est question d’observer qu’elle y conduit, d’une manière après tout significative de l’ampleur, de la profondeur de la crise, comme exemplaire illustration de la crise…

Des doutes de Norman Augustine

Essayons tout de même de prendre sérieusement la chose… D’abord, un coup d’œil sur la source de toutes les fusions, le modèle fondamental de la concentration, particulièrement dans ce domaine de l’industrie aérospatiale et d’armement. Bien entendu, il s’agit des USA. On pourrait dire que les USA ont de quinze à vingt ans d’avance sur l’Europe si on met en équivalence, comme le font nombre de commentateurs, la fusion projetée entre EADS-BAE, et les grandes fusions US aboutissant aux géants type Lockheed-Martin et Boeing. (Cette appréciation sollicite la vérité puisque EADS de 1999 rejoint déjà ce schéma, mais ce sont les promoteurs de la fusion eux-mêmes qui proposent cette analogie en situant géographiquement et culturellement leur projet dans le champ transatlantique et US, – c’est déjà un signe, d’ailleurs…)

On sait, ou l'on devrait savoir que le principal architecte de ces opérations, du côté civil, Norman Augustine, montra un sentiment très pessimiste dès que la chose (les fusions) fut accomplie aux USA. Nous l’avions rappelé une première fois le 10 octobre 1997, puis une seconde fois le 8 juillet 2004, avec de nouvelles inquiétudes permettant d’avancer l’hypothèse que «les dinosaures sont menacés» (titre du second article référencé, dont est tirée la citation ci-dessous).

«Lorsqu'en 1994, Norman Augustine, PDG de Martin-Marietta et du nouveau géant Lockheed Martin, présenta la méga-fusion qui transportait d'extase les milieux financiers et boursiers, et tous les commentateurs éclairés de la presse américaine et européenne, il se montra extrêmement prudent, avec une nuance de pessimisme crépusculaire. Pour Augustine, ces concentrations étaient la conséquence de la nécessité : c'était cela ou mourir. Plus tard, en juillet 1997 (un mois avant sa retraite), lors d'un symposium de l'Air Force Association, il renouvela ses doutes nombreux, les étendant de façon décisive au processus de globalisation de l'industrie. […]

»Augustine posait notamment des questions essentielles, dont il estimait qu'elles n'avaient aucune réponse dans le cadre de l'évolution vers une globalisation. Ces questions étaient les suivantes : “Si l'industrie se globalise, qui décidera ce qui sera vendu, et à qui? Les USA devraient-ils permettre à des gouvernements étrangers de posséder indirectement des éléments essentiels des capacités américaines de R&D et de production? Les USA devraient-ils accepter de devenir technologiquement dépendants d'éléments électroniques et de logiciels détenus par l'étranger? Qui doit avoir la responsabilité de maintenir une forte base industrielle nationale de défense?”»

Des “intérêts nationaux”

Néanmoins, à la même époque de son retrait de l’industrie aérospatiale, Norman Augustine admettait qu’il y avait là une tendance irrépressible, à la fois vers la concentration, à la fois vers la globalisation, à la fois vers l’intégration transatlantique. C’est ce qu’il disait dans une interview, la même année 1997 (voir le 10 octobre 1997), mais toujours sur le même ton prudentissime et presque désenchanté…

«Au travers de ses divers écrits, Norman Augustine a toujours montré une préoccupation majeure pour l'idée nationale, — c'est-à-dire, sur un plan pratique, l'idée du contrôle de ses ressources de sécurité nationale par une autorité politique centrale. Sur la question des possibles fusions transatlantiques dont on fait grand cas aujourd'hui et qui constituent le grand objectif américain pour la globalisation, Augustine se montre très réservé pour cette raison.

»Dans une interview au journal parisien Les Échos, le 19 juin 1997, il envisageait certes en théorie une globalisation de l'industrie aérospatiale, donc les USA avec les Européens prioritairement (“Dans une certaine mesure, on devrait assister à la constitution d'une industrie aéronautique globale”) ; mais il restait extrêmement prudent : “L'Europe est la prochaine étape [de la restructuration]. Mais la conclusion d'alliances transatlantiques se fera à un rythme plus lent, par étapes.” Il s'expliquait enfin de cette prudence en s'attachant au cas de la défense : “[L]a défense est différente des autres secteurs puisqu'elle implique des questions de sécurité nationale. Ce qui veut dire qu'on doit être avant tout ‘national’. Il faut soigneusement veiller à ce que les intérêts nationaux soient protégés quand les sociétés des divers pays commencent à travailler ensemble.”»

De pseudo-EADS à EADS

Il y a une grosse décade de cela, ou plus exactement treize ans, se fit la formation d’EADS, qui confirmait la prévision sans guère d’originalité ni d’enthousiasme d’Augustine («L'Europe est la prochaine étape»). Cela constituait alors, pour nous, un sujet d’actualité intéressant et important. EADS se fit en dépit des inclinaisons, des tendances favorites, des évidences souveraines et du bon sens tout court. La France n’avait aucun intérêt à chercher une alliance européenne, puisqu’elle se suffisait à elle-même, et protégeait en restant elle-même son indépendance et sa souveraineté. C’était aller contre le catéchisme européaniste d’ores et déjà ancré dans les esprits des hommes politiques et de leurs conseillers, – et contre son couplet central, franco-allemand.

Au départ, pseudo-EADS (première version) devait être celui des Allemands alliés aux Anglais, avec déjà du côté allemand Tom Anders, le para à la nuque raide et à l’atlantisme presque angélique et virginal à force de zèle, avec les Français laissés de côté, à leur pseudo-grande solitude. Ayant soudain découvert pour la nième fois que leur avenir était dans les special relationships, les Anglais firent un enfant dans le dos des Teutons en rompant la perspective “euro-atlantiste” de pseudo-EADS, et nous fîmes donc un enfant de plus au couple franco-allemand. Une fois de plus, ce fut un monstre, pseudo-EADS devenant EADS tout court. L’usine à gaz postmoderne était née et ne cessa de l’être jusqu’à nous.

Du destin de l’Europe

Si hier (1999), la constitution d’EADS avait quelque intérêt pour le chroniqueur, – assez pour que l’on commentât la chose et que l’on se battît contre elle, – aujourd’hui l’opération nous paraît avoir perdu de cette vigueur destructrice au profit d’une dynamique autodestructrice qu’il importe de laisser à elle-même. C’est là entamer l’essentiel de notre argument pour justifier de notre désintérêt, signalé plus haut.

Pourquoi ce désintérêt ? Prenons notre ami William Pfaff, qui écrit un article sur EADS-BAE, le 2 octobre 2012, sous le titre «Europe Gives Away its Aerospace Industry». Signe de justesse de ton et de bon choix de l’argument, Pfaff commence par nous parler de rien qui ressemble à l’aéronautique, – et, au fond, n’est-ce pas, ces paragraphes du début nous suffisent bien, un peu comme le refrain de Brel, – sauf que Pfaff, tout de même, est bon bougre avec la France, – et l’on reconnaît là le bon vieux “American Gaullist” comme il aime à se définir…

«The first of the presidential debates was supposed to be confined to domestic American issues, which is nearly all that the candidates have talked about during the campaign until now.

»Foreign affairs have forced their way into the campaign on a couple of occasions, and the Benghazi affair may do so now, but the assessment of the campaign planners in both parties seems to be that the American people aren’t very interested.

»This may be true if the majority of Americans are like Mitt Romney, whose remarks on foreign policy matters have been so clueless that one wonders if he would subcontract all of American foreign policy out to Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu (or to the surviving American neo-conservatives, which would amount to the same thing). He has already said that he would put the Israeli leader in charge of American Middle Eastern policy—for good or ill.

»He would thereby be following the West European lead, whose governments have given control of their foreign policy to the United States for more than 70 years (all but the French—there’s always a French exception; they fought their Indochina and Algerian wars, and subsequently elected Charles de Gaulle to lead them, without asking for American permission)…»

D’une “occasion à saisir”

Le tableau est tracé, et tracé le destin d’EADS dans cette aventure mégalomaniaque d’une fusion avec la branche absolument pourrie qu’est BAE, l’entreprise la plus achevée de corruption d’un establishment politique qu’ait jamais mené à bien une grande entreprise du complexe militaro-industriel (CMI US étendu aux special relationships). BAE a vécu dans l’opulence du scandale permanent qu’est, depuis 1985, les marchés Yamama avec l’Arabie Saoudite, et, précisément, avec comme correspondant Prince Bandar, prince des corrupteurs d’une habileté consommée (mais actuellement en panne) dans la kyrielle des milliers de princes de la maison de Saoud de toutes les tolérances. Le 15 décembre 2006, le Guardian écrivait cette remarque (rapportée notamment dans notre article du 19 janvier 2007) : «It is two decades since Margaret Thatcher secured the first of the big Al-Yamamah arms deals with Saudi Arabia, and arms sales have coloured relations with Saudi ever since. The sway BAE Systems holds over the top of the British establishment is extraordinary.»

Pour la partie des comptables à lustrines d’or, ou parachutistes dorés, qui nous vantent la grandeur friquée du projet, on se rapportera au texte standard que la paire Anders-King a fait publier dans toute la presse-Système. On doit trouver, après tout, que le titre du l’article du Monde, du 30 septembre 2012 fait bien l’affaire : «Une occasion à saisir et non une nécessité». Le slogan “occasion à saisir” fait parfaitement Prisunic ou Monoprix des premières années consommatrices (années 1960), ou bien aguichements saisonniers des “soldes” de tous les temps. On n’a peut-être pas averti la paire de marchands de tapis Anders-King de la fâcheuse occurrence, – mais, pour dire le vrai, ils s’en fichent, et nous répondent, avec un brin de fierté, “marchands de tapis volants” comme l’on parle d’un conte des Mille et Une Nuits.

Du “suicide” de l’industrie européenne

…C’est à peu près toute la transcendance principielle (les “tapis volants” à coloration saoudienne) qu’on trouve dans leur texte, d’une rare banalité, en un enfilage monotone et un peu hébété de formules qui plaisent aux marchés, aux actionnaires et à l’hyperlibéralisme. Laissons cela, et la paire Anders-King de se précipiter sur sa poussière favorite pour jouer avec. Nous revenons alors à William Pfaff.

Après avoir donné un récit explicatif des diverses évolutions des deux monstres en présence (BAE et EADS), Pfaff en vient à la conclusion politique de cette équipée qui se résume à l’idée du “suicide” de l’industrie aéronautique européenne, notamment parce que les gouvernements impliqués n’auront plus grand’chose à y dire, notamment parce que le nouveau monstre devra se soumettre, notamment dans sa partie “défense” par le biais de la mainmise US sur le secteur “défense” de BAE, au diktat des USA.

«…Despite the fact that the French and German governments effectively created the company, the merger proposal would only give them “golden shares” with a power of veto over further mergers. Mr. Enders envisages the removal of all European government influence – which the U.S. Government wants. (British opposition to the merger today focuses on its potential for undermining the supposed existing British-American “special relationship.”)

»This all seems to add up to the suicide of EADS as a European company by merger with a company which already has ceded its high-added-value work on the most advanced technologies to the United States. If so, it seems to be the end to autonomous European aerospace. There are plenty of other objections to the proposed deal, but its political implications are immense, and so far have had little discussion. The whole thing bears the sign of a well-known business phenomenon, which usually ends badly—CEO megalomania. Mitt Romney has undoubtedly seen this before.»

De la souveraineté sans avant, sans après, sans rien du tout…

Le 5 octobre 2012, Le Monde nous confiait la traduction d’une déclaration, faite au Financial Times, de l’ancien chancelier de l’Échiquier (travailliste) Alistair Darling, à propos de la fusion, et sa très forte réticente, à lui Darling, – réticence conjoncturelle, à cause de la participation (la non-participation éventuelle) du gouvernement britannique, réticence structurelle, dans le chef de son opinion sur ce qui serait préférable (souligné en gras par nous)…

«Je ne vois pas comment vous pouvez avoir une nouvelle grande entreprise comme celle-ci, avec une participation directe et indirecte importante des gouvernements français et allemand, et rien pour nous, insiste M. Darling. Je préférerais que les trois gouvernements aient une participation minimale. Il existe un danger que les décisions concernant les activités commerciales et de défense soient prises sur des bases politiques plutôt que sur ce qui est le mieux.»

Cet avis grotesque (crainte qu’il y ait une dimension politique dans une décision de défense, alors qu’il ne devrait y avoir que la dimension politique), n’est par ailleurs ni isolé ni original. En fait, la fusion EADS-BAE, au travers des gesticulations assurées des acteurs-industriels, de la défense faiblarde et inconsistante, ou bien désordonnée et accessoire (cantonnée à l’emploi), des États, fait mesurer l’extraordinaire dissolution du principe de souveraineté qui sous-tendait toute l’industrie d’armement. (Cette remarque vaut également pour la France, bien entendu, – et comment...)

Mais le paradoxe est que la dissolution du principe de souveraineté en tant que référence indiscutable ne conduit pas à ouvrir les vannes pour permettre au torrent des raisonnements et arguments commerciaux, mercantiles et financiers de déferler, de tout envahir et d’imposer leur empire. D’une façon très différente, la disparition du principe (le Principe) ouvre la porte au chaos. Nul ne sait comment user de cette étrange “liberté”, et l’on s’aperçoit que face à lui (au Principe) et dans l’espace laissé libre par sa dissolution, rien d’organisé n’existe ni ne se met en place, ni ne peut exister réellement, finalement. L’on va très vite découvrir, dans ce domaine également, que le principe de souveraineté était une référence organisatrice aussi bien pour ses partisans et ses défenseurs que pour ses adversaires…

De la fin des dinosaures

Le projet EADS-BAE est intervenu dans l’enthousiasme initial de ses promoteurs comme l’on dirait dans une sorte d’ivresse du Café du Commerce installé dans des fauteuils en cuir de qualité rare. La fusion a été imaginée sans la moindre stratégie, et en référence à une “mode” qui était d’actualité en 1995, alors qu’Augustine avait déjà perdu le sourire. D’une façon générale et, dirions-nous, particulièrement du coté d’EADS, l’argument bref et percutant de Pfaff («CEO megalomania») est complètement pertinent.

A côté de cela, il y a un aspect anecdotique étonnant qui conduit, comme on enfile des perles l’une après l’autre, à imaginer, dans le chef des comploteurs, à ce formidable constat que “nous pourrions devenir les n°1” (EADS + BAE, numéro un mondial de l’industrie aérospatiale et de défense). C’est au cours d’une réunion commune EADS-BAE sur l’échec du Typhoon en Inde (l’avion est produit par quatre pays, dont trois sont dans EADS et un dans BAE) que les dirigeants d’EADS et de BAE, examinant les faiblesses de coordination et de coopération entre les deux groupes dans cette affaire, en sont venus à conclure qu‘ils pourraient, qu’ils devraient travailler ensemble ; induisant, à partir de cela, qu’ils pourraient envisager un rapprochement, voire plus ; induisant enfin, à partir de cela, qu’ils pourraient fort bien, l’un et l’autre fusionnant, “devenir les n°1”.

Ce n’est pas une stratégie, ni un projet, ni un mythe, c’est “un coup”… Au fond, le titre cité plus haut nous dit tout, absolument tout : «Une occasion à saisir…» Nous sommes toujours dans la logique Prisunic ; et cette logique Prisunic nous fait déboucher sur ce qui pourrait devenir “le grand cimetière des dinosaures”. Le projet de fusion EADS-BAE apparaît très vite comme une embardée incroyablement brutale dans une situation conjoncturelle stationnaire par contenance en positions maintenues de déséquilibres divers mais infiniment fragiles, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Les problèmes soulevé par la fusion, les positions complexes des actionnaires, les positions des pays avec leurs prérogatives ou pas, le principe de souveraineté qui n’existe plus et qui manque à tout le monde, les rapports impossibles avec la forteresse fermée de la défense aux USA, tout explose en même temps comme un bouquet final d’un feu d’artifice, mais qui serait placé en tête du show, pour “ouvrir le bal”.

La question qu’ouvre le projet de fusion EADS-BAE n’est pas tant de savoir si, en se rapprochant ou en projetant de le faire, on peut espérer faire mieux que ce qu’on fit, séparés, en Inde. De façon très différente sinon contraire, la question est de savoir si, en se rapprochant ou en tentant de le faire, on ne met pas à découvert la grande misère de l’industrie aérospatiale globalisée en quelques dinosaures qui se trouvent coincés entre les impératifs de la puissance monopolistique et la paralysie inhérente aux grands animaux du genre transmise dans leurs programmes favoris (JSF), et qui, bientôt, se dévoreront entre eux.

C’était l’avertissement de Norman Augustine, encore lui, lorsqu’il prit sa retraite de l’industrie et de Lockheed Martin (en 1997), et qu’il répondit à quelques questions de Nick Cook… «“Un des grands défis de l'industrie aérospatiale américaine dans les quelques années qui viennent sera de savoir si nous continuons de rivaliser et de collaborer avec Boeing, ou bien si [ce cadre de rapports organisés] va s'effondrer.” Et il poursuit : “[S]i Boeing et Lockheed-Martin prennent une position dure l'un vis-à-vis de l'autre et forcent le reste de l'industrie à choisir son camp” la situation deviendra “tragique”». Proposition de correction : l’attaque 9/11 et les dépenses de défense allant avec auraient simplement prolongé ce “dans quelques années” de quelques années supplémentaires. Nous y sommes...

De l’éclat de rire de Dassault

Dans cette affaire, dès que le monde de la communication commença à montrer son excitation instantanée, chose automatique dès qu’il est question de “fusion”, de “globalisation”, de “numéro 1”, etc., aussitôt le doigt se pointe sur le vilain petit canard, l’Astérix du domaine. Dassault a été aussitôt mis sur la sellette par la fusion (Dassault solitaire, seul contre tous, ridicule dans l’économie d’échelle, etc.). L’amusant paradoxe est que c’est justement la victoire du vilain petit canard qui a croqué l’énorme marché indien de 126 avions de combat pour $20 milliards (avec des suites aussi plantureuses), avec son Rafale, qui a déclenché l’enchaînement-“Café du Commerce” menant au projet de fusion... (Voir, pour les plus récentes nouvelles du marché indien de Dassault continuellement mis en doute par la Propagandastaffel, UPI/Spacemart.com du 21 septembre 2012 : «In Bangalore, Indian Air Chief Marshal N.A.K. Browne stated that, while negotiations are ongoing on with Dassault Aviation, New Delhi is optimistic that the negotiations be finished and contracts exchanged in the current fiscal year, which ends in March.»)

La consigne, chez Dassault, c’est : pas un mot de commentaire, pour ne point attirer l’attention des commentateurs à la plume martiale. Pour le reste, tout le monde attend, confiant, la transformation de l’usine à gaz (EADS) en super-usine à gaz (EADS-BAE), à moins qu’entretemps n’ait déjà lieu l’inéluctable effondrement du concept d’“usine à gaz devenant super-usine à gaz”. On croirait que Dassault est confiant dans l’épisode de l’évolution où les grands dinosaures furent brutalement, totalement éliminé, il y a 65 millions d’années, durant l’ère secondaire ou mésozoïque ; durant cette catastrophe planétaire, les “petits organismes” furent épargnés… Dassault est un “petit organisme” qui rigole en silence.

De la situation de la confusion du dossier

Les indications s’accumulent pour montrer la difficulté grandissante de la fusion, quelles que soient les délais de calendrier que se fixent, pour se rassurer, les différents acteurs (la date d’annonce de la réalisation du projet située au 10 octobre pour les établissements financiers, susceptible d’être repoussée). La situation évolue vers l’accentuation du désordre qui touche les divers éléments de l’opération.

• Les négociations entre les partenaires principaux dans EADS, notamment les Français et les Allemands, et les Français et les Allemands vis-à-vis de la direction d’EADS, rencontrent nombre de difficultés, et des difficultés grandissantes. La spécificité du gouvernement britannique s’ajoute à cela. Hier, le 8 octobre 2012, Reuters titrait «European governments in race to save EADS-BAE merger». Peu importe les détails, l’essentiel étant le constat de la très grande difficulté d’arriver à un accord dans ce cadre précis, et l’inévitable fragilité qu’aurait un éventuel accord.

• Du côté de BAE lui-même, les difficultés s’accumulent également, contre la fusion et les conditions de la fusion. Quarante parlementaires britanniques ont signé un texte commun de défiance à cette fusion. Le principal actionnaire de BAE vient d’émettre de très graves réserves contre le projet, comme il est précisé dans ce texte de BBC.News du 8 octobre 2012 : «The largest investor in BAE Systems has said it has “significant reservations” over the defence firm's planned merger with Franco-German group EADS. Invesco Perpetual, which owns 13.3% of the UK company, said in a statement that it “does not understand the strategic logic” of the deal. Invesco added that it was “very concerned” about the level of state shareholding in a combined group.»

• Aux USA, des dispositions sont en train d’être prises pour limiter à 18% la part des contrats de défense US dont un EADS-BAE fusionné pourrait disposer. Le plus grave est dans le fait que la fusion pourrait devenir un enjeu du désordre permanent de la politique intérieure washingtonienne, particulièrement au Congrès et avec les lobbyistes de l’industrie d’armement, ce qui implique un dynamique en augmentation de pressions, de chantages, de prises en otage de telle ou telle disposition, etc. Dans ce cas, les attaques concerneraient aussi bien les contrats de défense que la sempiternelle attaque US contre Airbus pour les “subsides” des États concernés (voir Loren Thompson, sur Early Warning, le 5 octobre 2012). Newsday reprend une nouvelle de Reuters du 7 octobre 2012. Ayant rappelé les diverses dispositions de sécurité et d’arrangement entre Washington et Londres concernant BAE, la dépêche conclut en laissant entendre cette évidence que rien de tout cela n’empêchera les manœuvres politiciennes et d’intérêts particuliers absolument destructrices de se développer, – et même on contraire, cela les favorisera…

«But politically, it may be one thing for Washington to allow defence deals with a private sector contractor from Britain – its main battlefield ally in Iraq and Afghanistan – and another thing entirely for it to co-operate so closely with a European giant, partially controlled by the French state. Opposition in congress could be sparked quickly, given long-simmering mistrust of France and concerns about European trade subsidies, said an executive for one of the biggest US weapons makers who asked not to be identified while speaking about the deal between the European firms…»

De la loi thermodynamique de l’entropisation

Dans tout ce qui précède jusqu’à ce que nous nommons “la situation de la confusion du dossier”, nous n’avons fait que suivre une courbe de descente dans le chaos. C’est bien cela qu’amène ce projet de fusion qui, par les diverses et épineuses questions, contradictions, implications qu’il suscite, semble mettre à jour toutes les tensions destructrices possibles. Il s’agit, non seulement des acteurs concernés, mais de toutes les parties et tous les participants de l’industrie aérospatiale et d’armement globalisée dans le cadre du bloc BAO qui sont secoués. Et la boîte de Pandorre est ouverte : même si le projet échoue, on ne reviendra pas à la situation antérieure d'infiniment précaire équilibre dans le déséquilibre ; on devra faire avec, avec le chaos installé durablement, jusqu'à l'effondrement, comme l'on découvre que, oui, le roi est nu...

A nouveau dans ce cas de l’industrie aérospatiale et de l’armement, nous voyons une évolution dont le caractère décisif tient à l’importance de ceci qu’elle finit par constituer, dans le chef de la quasi-entièreté de cette industrie, un système qui tend à se fermer dans ses nombreux blocages et nombreux antagonismes pour se retrouver confronté par des tensions et des désordres considérables à la catastrophe de son entropisation. (Seuls échappent à cette dynamique les “petits organismes” épargnés par la catastrophe attaquant les dinosaures du Système, ces “petits organismes” mis ainsi de facto hors-Système, équivalant si l’on veut à notre domaine de l’inconnaissance pour la psychologie par rapport au Système.) Là aussi, il s’agit d’un processus destructeur, d’entropisation, puisque la fusion projetée produit de plus en plus de désordre sous forme d’entropie à mesure qu’on avance dans l’exploration de cette possibilité. Là aussi, nous faisons appel pour expliquer le processus à cette même référence que nous sollicitions pour le cas du JSF, encore récemment (le 20 septembre 2012).

Dans sa dynamique de dissolution irrésistible, cette référence semble ainsi idéalement désignée et placée pour remplacer comme un double négatif la référence principielle de la souveraineté, et pour subvertir jusqu'à leur destruction-dissolution tous les modèles structurants courants (la nation, les “valeurs”, les religions, les cultures) ; cette référence est celle de l’entropisation, initialement et schématiquement sous la forme d’une troisième loi de la thermodynamique élargie au champ général du Système : «Ainsi le JSF “progresse”-t-il, c’est-à-dire qu’il poursuit sa chute en pleine cadence de production, avec le “progrès” produisant de l’autodestruction, exactement comme le suggère la loi thermodynamique de production maximale d’entropie (MEP ou MaxEP : Maximum Entropy Production). La question est de savoir jusqu’où il va entraîner le Pentagone, et Lockheed-Martin, dans cette descente aux enfers, qui se fait effectivement à la cadence maximale, selon les vastes plans de production du JSF. On reconnaît là les schémas de la logique de l’effondrement de l’Amérique et de la dynamique d’autodestruction du Système…»