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Article : L’“État profond” selon Bhadrakumar, et définition

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Profonde Analyse

Auguste Vannier

  10/08/2015

C’est une de ces analyses qui surgissent sans doute comme une “intuition haute”, au fil des contributions de dedefensa, et qui m’en font un lecteur attentif.
Dans le paysage des responsables politiques et des hauts fonctionnaire, qu’il faut bien dire assez délabré par nos 2 derniers Présidents, il m’a semblé apercevoir quelques uns de ceux qui pourraient participer de cet “Etat Profond” (versant positif): H.Vedrine d’il y a encore peu (mais qui semble désormais s’absorber dans le “Système”);
JL Melenchon , qui s’emporte de conviction et d’argumentation serrée dans ses confrontations fréquentes aux journalistes robots de la pensée convenue;
D. De Villepin, qui tient ferme une position de vraie diplomatie, comme on le sait, depuis sa mémorable déclaration à l’ONU, et dont j’ai entendu (à propos de la Syrie) une remarquable contre-argumentation face à “l’intellectuel système” F.Encel https://www.youtube.com/watch?v=nLjDfz9T0to

Pushing on a string

Alex Kara

  10/08/2015

L’Etat Profond est présent dans toutes les sociétés complexes (= hiérarchisées), sans quoi rien ne se ferait. Mais toutes les sociétés complexes du passé se sont effondrées, et il est ici souvent question de l’effondrement de la nôtre.

L’Etat Profond de l’Empire Romain d’Occident avait bien essayé de rendre l’agriculture à nouveau attirante pour pallier à la fuite des ruraux vers les villes, mais comme l’avait décrit un archéologue, c’était comme pousser sur une ficelle (“pushing on a string”).

On parle des années Eltsine, mais qu’il y avait-il eu juste avant ? Un Etat Profond sans aucun doute bien rodé, mais l’immense lassitude de la population soviétique, le manque de perspectives et donc d’investissement dans le projet collectif. A la fin, il n’y avait rien que l’Etat Profond ne puisse faire faute de relais auprès de la population.

Mars 2003 avait été un épisode extraordinaire où l’on vit le retour d’une souveraineté française qu’on avait vu moribonde depuis au moins une dizaine d’années.  Cet épisode n’était qu’un instant fugace, depuis notre souveraineté est bien morte, et son souvenir est sans cesse outragé.

Les Français, comme les Grecs ou les Allemands, ne croient plus à une quelconque souveraineté. L’Etat Profond états-unien, ou globalisé, ou qu’importe, justement, peut bien ordonner ce qu’il veut, il ne pourra berner que les idiots, or ce ne sont pas ces idiots qui peuvent transformer les ordres en réalité.

Donc, finalement, c’est bien encore les gens du peuple qui ont le dernier mot, et toutes les réunions de Bilderberg, de l’Etat Profond ou du Pharaon Kih-Oskh ne sont alors plus que des artifices pour consoler leurs membres.

Vocabulaire et concepts, et une vielle référence…

Christian Steiner

  11/08/2015

L’expression « Etat profond » (deep State) est, comme vous le dites, un non sens dans les cas des USA, puisque ils ne sont pas un Etat (pas « un Etat au sens principiel », c’est-à-dire lié à la notion de nation, de souveraineté, de bien commun etc. – toujours vos mots).

Même si l’expression « Etat profond » est née pour décrire la situation en Turquie, elle a été reprise et employée par les dissidents US pour désigner la chose qu’ils sentaient à l’œuvre à Washington. Et certes, l’expression y est maintenant consacrée par l’usage. Largement diffusée dans ce sens malheureux par le cinéma aussi.

C’est donc à un pur exercice intellectuel que je me livre pour me demander quelle serait l’expression adéquate à employer dans le cas des USA. (Ne serait-ce que pour le distinguer de l’usage neuf et pertinent, qu’à la suite de Bhadrakumar, vous faites pour la France, la Russie, l’Inde manifestement, la Chine j’imagine, malgré ce qu’en dit Bhadrakumar. Ne serait-ce également que pour clarifier ce que sont réellement les USA dans la tête de leurs dissidents – ce qui pourrait avoir son utilité après tout dans leur combat ?)

On pourrait donc utiliser l’expression « système profond ». Avec une minuscule puisqu’il s’agit du système de l’américanisme, ce « système » mis en place par le courant représenté par Alexander Hamilton (quelque chose comme un néolibéralisme, déjà [1]) contre Jefferson, entre 1789 et 1804. Et non pas du Système, qui nous tient tous et qui tient lui d’une dynamique plus large liée à l’im-monde (l’absence de monde), à l’idéal de puissance, au déchaînement de la Matière etc.

On pourrait, mieux encore, utiliser l’expression « Deep system » afin de le réserver au système de l’américanisme.

Quant au Système avec sa majuscule, on pourrait également concevoir l’équivalent d’un Etat profond, mais réservé à cette entité non principielle, que l’on pourrait donc appeler « Système profond », et qui désignerait les occurrences conjoncturelles où des sapiens acceptant le chantage effrayant du déterminisme-narrativisme font temporairement réseaux ou interactions autour d’une poussée hystérique ou l’autre, autour d’une « politique-système » ou l’autre… Réalité qui s’est mise en place autour de 2001 mettons, qui s’est cristallisée après octobre 2008, qui se manifeste depuis 2014 (mettons autour de juillet, avec l’épisode MH17)… Et que nous ne devrions pas avoir à utiliser très longtemps encore, au rythme où vont les choses…

Nous pourrions ainsi distinguer l’« Etat profond » (qui se manifeste sur fond de souveraineté, dans des pays comme la Russie, la France etc. ; dans l’emploi de Bhadrakumar) ; le deep system (de l’américanisme), que dénoncent les dissidents US ; et le Système profond…

Histoire de savoir de quoi l’on parle… Distinguer principes structurants et dynamisme déstructurant, légitimité et illégitimité, avatar du Système et Système…

Alternativement (je continue à « penser tout haut »), si on réserve la notion d’Etat à l’ensemble des structures étatiques et, qu’en tant que tel, il existe dans le monde beaucoup d’Etats qui ne correspondent pas à ce qui était désigné par le vieux terme d’ « Etat-nation », c’est-à-dire un Etat qui se base sur des notions principielles pour représenter la nation historique et vivante,
alors on pourrait désigner l’aspect positif de l’Etat profond – c’est-à-dire cette « continuité officieuse sinon cachée des positions et des intérêts principiels de l’État représentant la nation historique » - par l’« Etat-nation profond ».

[1] En fait, je me demande même si ce qu’à créé Hamilton, premier Secrétaire au Trésor, n’a pas à voir avec cette intuition exposée par Walter Benjamin en 1921, dans ses Papiers, « Le capitalisme comme religion ». Benjamin y décrit la transformation du protestantisme en capitalisme (Et le fait qu’Hamilton soit lui même de père écossais et de mère descendant de Huguenots, c’est-à-dire ait un héritage protestant assez lourd, ne rend pas la chose impossible).
La description de la chose qui en découle est assez effrayante, mais on ne peut en même s’empêcher d’y voir une description assez actuelle du « monstre ».
Je résume en deux mots : on aurait à faire à une religion purement cultuelle, où tout ce qui compte est la pratique du culte, à savoir les pratiques utilitaires du capitalisme - investissement du capital, spéculations, opérations financières, manœuvres boursières, achats et ventes de marchandises, de chiffres etc. (on ajoute facilement aujourd’hui : manipulation des indices, des produits dérivés, les opérations robotisées etc.). Pas besoin d’idéologie ni de dogme - encore moins de théorie économique dans lesquelles l’argent doit créer de la richesse : l’argent est la richesse elle-même. L’argent est artificiel et il est vivant, l’argent produit de l’argent et encore de l’argent. Tout ce qui compte est là : que l’argent vivant crée de l’argent. Nulle autre finalité. Joli nihilisme en vérité.

C’est bien sûr dedefensa.org qui avait signalé cette thèse de Walter Benjamin, mais je n’ai pas retrouvé la référence de l’article. Cela doit dater de juin 2012 ou peu avant.

Toujours est-il que le travail de redécouverte de cet écrit, fait par Michaël Löwy et publié dans Raisons politique en 2006 sous le titre « Le capitalisme comme religion : Walter Benjamin et Max Weber », est accessible ici :
Version html : http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-3-page-203.htm
PDF à télécharger : http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RAI_023_0203

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bruno paul

  12/08/2015

Avant de proposer des nouvelles définitions pour un concept existant, il est toujours utile d’effectuer un travail de bibliographie, que Maxime Chaix a bien retrouvé, mais que Philippe Grasset semble ne pas avoir trouvé:
http://conscience-sociale.blogspot.fr/2014/03/la-politique-profonde-et-letat-profond.html