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Article : Étreintes exceptionnelles et inquiètes

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Je suis plutôt sceptique quant à cette supposée fragilité du président russe

David Cayla

  09/06/2019

car au fond, que lui reprocherions-nous au juste ? D'avoir baissé les armes ? Mais sur quelle base pourrions-nous en juger ?

Parce qu'en Syrie tout particulièrement, le grondement des armes s'est tu ? Alors d'abord c'est faux, l'aviation russe frappe sans relâche les djihadistes dans tout le gouvernorat d'Idleb et au sol, les djihadistes sont lancés vague après vague à l'assaut des positions gouvernementales où ils se font hâcher menu. Simplement, le retentissement médiatique n'est plus du tout le même qu'au moment de la libération de Damas (pour ne citer que l'événement le plus récent). Et les Russes eux-mêmes ne font pas de publicité particulière à ces opérations, parce qu'ils ont tout intérêt à ce que cela se fasse en silence.

A contrario, c'est le silence de nos médias qui devrait interpeller. Non pas qu'ils ne couvrent pas le sujet, mais en revanche il n'y a plus ce battage qui avait duré à peu près tout le temps des opérations de libération de la Ghouta de l'est, parce qu'il était alors encore question d'imposer un sentiment d'urgence irrépressible, qui devait cautionner le lancement d'une opération militaire d'envergure, laquelle s'est réduite au tir de "seulement" une centaine de missiles, lesquels n'ont frappé aucune cible intéressante, et encore, pour ceux d'entre eux qui ne se sont pas perdus en route ou n'ont pas été abattus par la défense anti-aérienne.

C'est d'ailleurs à peu près au moment de ces frappes de missiles que les Russes ont dévoilé l'existence des missiles Khinzal en même temps qu'ils ont fait savoir que ces missiles étaient d'ores et déjà en service au sein de leurs forces armées, en particulier dans une de leurs bases sur les contreforts du Caucase. Et entre le rayon d'action des avions porteurs, les Mig-31 (1 600 km), et l'allonge des missiles (2 000 km), autant dire qu'aucun navire lance-missiles américain, français ou britannique n'aurait été à l'abri, encore plus face à des missiles hypersoniques, qui plus est indétectables au radar comme ils évoluent dans une bulle de plasma (c'est aussi cela qui explique leur exceptionnelle manoeuvrabilité, le plasma étant un milieu conducteur, il est très sensible aux variations de champ électrique).

Par ailleurs, toute la stratégie russe jusqu'à présent aura été non pas de rechercher l'affrontement, mais de contrecarrer, de bloquer les velléités d'agressivité de leurs adversaires, et ce en propotionnant strictement les moyens employés à cette fin. Ainsi du Venezuela où des techniciens spécialisés dans la défense des réseaux de communication et des réseaux électriques contre les tentatives d'attaques informatiques, à distance ou non (ainsi des virus installés dans des clés USB) ainsi que d'autres moyens un peu plus exotiques.

Alors forcément, cela ne fait pas grand bruit, y compris en Russie, et il n'est pas anormal dans ces conditions que la popularité du président russe pâtisse de ce manque de "mise en valeur de sa personne" comme ce fut le cas lors des débuts de l'intervention russe en Syrie, et plus encore lorsqu'un bombardier russe Su-24 avait été abattu, et que les Russes avaient su faire montre de leur très forte détermination sans pour autant tomber dans le piège d'un affrontement à grande échelle qui leur était tendu ou son corollaire, une absence totale de réaction qui les aurait fait passer pour des faibles.

C'est tout de même assez paradoxal au final que de conclure que la Russie "pourrait se trouver du mauvais côté de l'histoire", qui plus est avec ce conditionnel souvent horripilant dans la bouche de nos journalistes, lesquels, il est vrai, l'utilisent de moins en moins souvent, se contentant désormais de l'affirmatif. Encore une fois, comment faudrait-il que les Russes réagissent à ce qui ne sont que de simples paroles ? Oui, d'aucuns déclarent ouvertement vouloir la réalisation d'un "Grand Israël", mais ce ne sont que des mots.

Je le dirais d'autant plus que derrière le conflit syrien, il y a toujours eu une volonté d'éliminer la résistance à Israël, et, une fois la Syrie tombée, d'éliminer le Hezbollah avant de se retourner contre l'Iran. Ce n'est d'ailleurs que maintenant que nous entendons parler de ce Grand Israël alors qu'en 2011 - vous en aviez fait état sur Dedefensa - les responsables militaires israéliens n'étaient pas enthousiastes à l'idée de se lancer dans cet assaut contre une Syrie qui pour faire partie de la "résistance" n'était nullement menaçante.

Par ailleurs, les soutiens les plus fervents de ce Grand Israël sont, c'est le cas de dire, des dévôts qui soutiennent en prières cet accomplissement biblique. Mais ce ne sont pas les prières seules qui accompliront le Grand Israël, sauf à ce que ces fidèles rejoignent des légions de guerriers fanatiques. Or, il me semble que l'armée américaine est une armée de métier aujourd'hui, et que rien, absolument rien, n'empêcherait ces zélotes de rejoindre les rangs de l'armée américaine. Que ne le font-ils pas ? Ils seraient pourtant accueillis à bras ouverts : enfin des soldats américains qui partageraient les rêves d'hégémonie teintée de religiosité de leurs supérieurs, et qui seraient en mesure d'accomplir leur mission sans en subir le contrecoup comme c'est le cas des vétérans d'aujourd'hui, souvent brisés psychiquement par leur expérience militaire !

Faut-il vraiment que les Russes prennent cela au sérieux ?

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NB : Je dirais que le cas israélien est un peu à part, avec leur armée de conscrits dont sont aujourd'hui dispensés les Juifs orthodoxes… ce qui peut sembler étonnant s'il s'agit de donner naissance au Grand Israël. Et cela suscite d'ailleurs de puissants tiraillement dans la société israélienne, avec les Juifs d'origine russe emmenés par Liberman qui font plus que grincer des dents aujourd'hui.

Ironiquement, j'ai appris récemment que cette "ingérence russe" dans les affaires intérieures israéliennes doit énormément aux ingérences américaines dans les affaires intérieures russes qui ont forcé le gouvernement soviétique à laisser les Juifs russes/soviétiques partir en Israël à partir de 1974 s'ils en éprouvaient le désir. Et cela, je parle de cette immixtion américaine dans les affaires intérieures russes, parce qu'il n'y avait pas assez de Juifs en Israël pour assurer la pérennité de cet état et que les autres Juifs, ailleurs dans le monde, par exemple en France, ne voyaient pas pourquoi il leur faudrait quitter leur pays pour contribuer à incarner un rêve biblique. Quant aux Juifs russes ayant émigré en Israël, il semble relativement évident qu'ils ont quitté l'Union soviétique pour les mêmes raisons que les Allemands de l'Est voulaient partir à l'Ouest, accéder à la prospérité du monde occidental.

Mais ce n'est pas la seule spécificité à m'être venue en tête concernant Israël. J'ai souvent trouvé étrange ce refus des Israéliens de reconnaître qu'ils disposent de l'arme atomique, ce qui est un secret de polichinelle. En y réfléchissant plus avant, la reconnaissance officielle qu'Israël dispose de la dissuasion nucléaire serait sans doute un danger mortel pour la perpétuation d'une politique sécuritaire paranoïaque assise sur la mémoire de l'Holocauste.

Il n'est pas nécessaire de vivre perpétuellement angoissé à l'idée que vos voisins voudraient provoquer un nouvel holocauste quand vous disposez de la dissuasion nucléaire : soit ils sont raisonnables et agiront raisonnablement, soit ils ne le sont pas, et vous n'y pourrez rien. En revanche, le refus de discuter de la possession de l'arme nucléaire - bien plus que le maintien du secret autour de cette possession - permet assez efficacement d'étouffer toute amorce de discussion quant à la nécessité de maintenir la mémoire de l'Holocauste, et de perpétuer une atmosphère d'angoisse sécuritaire paranoïaque. Et cela ne peut pas ne pas peser sur les esprits des Israéliens, et notamment des conscrits emmenés systématiquement en pélerinage mémoriel à Auschwitz, maintenus en état de "stress mémoriel".

Inconnaissance au carré

Marc Gébelin

  11/06/2019

Je vais être bref car le sujet est démesuré. Monsieur Cayla complète bien l'analyse de monsieur Grasset. Dire pourquoi demanderait un analyse dont ni eux ni moi ne possédons la clé. Il y a en effet un "mystère" dans le comportement de Xi. Est-il joué-surjoué (les Chinois sont de jaunes hypocrites). La chose me rappelle cet article dont j'ai oublié le nom et l'origine. Un géopolitologue russe qui expliquait comment la Chine avait "vaincu" l'Amérique en se montrant ennemi résolu de Moscou à l'époque où ça bardait sur L'Oussouri. Les Yankees ont mordu et ont "lancé" la Chine, espérant ainsi faire plier Moscou. Ce qui est arrivé pour un tas d'autres raisons. Quand la croissance chinoise met les Yankees au tapis, ces derniers se rebiffent (peut-être un peu tard). Xi se fait copain avec Poutine pour retourner le fer contre les Yankees après avoir été très durs avec les Russes de Brejnev. C'est la tactique du 3 moins 1 (Chine + Us contre Russie), puis du 2 contre 1, (Chine + Russie contre US). C'est un moment dialectique comme dirait feu notre bien aimé président.
Qui va gagner? Plus la Chine que la Russie, au plan économique et politique. Quand la Chine sera parvenu à limer les griffes de Trump, elle reviendra à sa globalisation, à ses "routes" plus ou moins soyeuses. Profiteront-elles à la Russie par exemple par le réchauffement de l'Artique et la Route du Nord? Que va devenir la Sibérie? Chinoise? Russo-japonaise? Ou rester la Sibérie où vivent des gens qui emmerdent personne et qui ont pas forcément envie que ça change? On sait pas, ça va prendre du temps sauf si une petite catastrophe bousculait les cartes.