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Article : Au Diable l’égalité !

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À Dieu l'harmonie !

jc

  07/12/2020

Rendons au Diable ce qui est au Diable et à Dieu ce qui est à Dieu !

Lind : "Pour que les formes soient en harmonie, chacun et chaque chose devaient être à la place qui lui était assignée, et faisant ce que Dieu voulait qu'il soit fait.".

Les anciens croyaient en l'harmonie du cosmos, que ce cosmos soit perçu géocentriquement ou héliocentriquement (ou autrement encore). Wiki: "La notion d'harmonie des sphères remonte indirectement, sans que ce soit historiquement attesté, au pythagoricien Philolaos, vers 400 av. J.-C. Philolaos est à la fois mathématicien et astronome. Pour lui, le monde est « harmonie et nombre », tout est arrangé selon des proportions qui correspondent aux trois consonances de base de la musique : 2:1* (harmonie), 3:2 (quinte), 4:3 (quarte).".

C'est ainsi que raisonnaient les astronomes, Képler compris, avant Newton et sa loi d'attraction universelle**.

Je n'aime pas "notre" devise républicaine Liberté-Égalité***-Fraternité. Je lui préfère Ordre-Harmonie-Équilibre (le choix de PhG, me semble-t-il) ou Unité-Harmonie-Diversité.

 .
*: Je me suis amusé à chercher des harmonies naturelles dans notre environnement. En fouinant sur la toile j'ai trouvé que l'alternance diastole/systole du cœur humain et l'alternance expiration/inspiration des poumons étaient, au repos, très proches de ce rapport.

**: http://oncle.dom.pagesperso-orange.fr/sciences/astronomie/histoire/loi_de_bode/bode.htm

***: Cf. à ce sujet "L'enracinement" de Simone Weil, où le chapitre intitulé "L'égalité" ne parle en fait essentiellement que de proportion (et donc d'harmonie, bien que ce mot ne soit pas utilisé, ce qui m'étonne un peu après lecture du paragraphe "Pythagore et Platon ou la médiation par l'amour" de sa fiche Wiki).
 

L'égalité est-elle diabolique ?

jc

  07/12/2020

Je pense que le concept d'égalité n'est pas diabolique, mais seulement (très) difficile à cerner, parce qu'on touche nécessairement au principe d'identité.

Wiki: Le « diabolique », antonyme littéral du « symbolique », est ce qui divise (du grec διαβάλλειν / diaballein, de dia- à travers, et -ballein, jeter, c'est-à-dire « diviser, disperser », par extension « rendre confus »). Le diabolique est, au sens propre, pour les Grecs, le bâton qui semble rompu lorsqu'il est plongé dans l'eau ; au sens figuré, c'est l'apparence trompeuse.".

Simone Weil écrit dans "L'enracinement" : "Un gouvernement qui emploie des paroles, des pensées trop élevées pour lui, loin d'en recevoir un éclat quelconque, les discrédite et se ridiculise. C'est ce qui s'est produit pour les principes de 1789 et la formule « Liberté, Égalité, Fraternité » au cours de la IIIème République."

Définir un concept est, on le sait, un exercice difficile pour les concepts primitifs parce que l'on butte alors sur le problème de l'auto-référence.

Comment les matheux, experts en définitions*, s'en tirent-ils dans de tels cas, par exemple pour les concepts d'égalité et d'ensemble (set en anglais) ? Qu'en est-il dans la théorie des ensembles de Zermelo-Fraenkel (ZF) chère à Badiou ? Lorsqu'un concept est primitif on ne peut le définir qu'en intention (alias compréhension), c'est-à-dire en essence, en listant sous forme d'axiomes les propriétés "essentielles" que le concept doit vérifier en espérant ne pas aboutir à une contradiction (la définition en extension, existentielle, est impossible dans ce cas, puisque faisant nécessairement appel à des concepts plus primitifs). Il me semble qu'il y a là matière(!) à réflexion pour les matérialistes, pour qui l'existence implique l'essence…

[J'en profite pour citer ici un extrait de l' "Éloge des mathématiques" de Badiou, que je laisse à l'appréciation de chacun: "Dès "L'être et l'évènement" (1988), j'ai donc proposé (...) de sauver l'absoluité des vérités sans recours à aucun Dieu, d'incorporer purement et simplement à la méditation philosophique, comme condition fondatrice, la théorie des ensembles.]

À ma connaissance les matheux n'ont pas réussi à ce jour à trouver des concepts plus primitifs permettant de définir le concept d'ensemble (ZF n'a pas encore sombré!). Qu'en est-il de l'égalité ? Dans ZF l'égalité n'est pas un concept primitif parce qu'il y a un axiome qui exprime que ce n'en est pas un. Cet axiome "naturel", qui dit que deux ensembles sont égaux si et seulement si ils ont les mêmes éléments, définit l'égalité à partir de l'appartenance et est, sans surprise, appelé axiome d'extensionnalité (l'appartenance est ici un concept primitif qui se définit en intention en même temps que les ensembles et par les mêmes axiomes).

En géométrie les cas d'égalité des triangles de ma jeunesse sont maintenant précisés par les cas d'isométrie ou cas de similitude. L'approfondissement du concept d'égalité en géométrie conduit tout droit au programme (abyssal) d'Erlangen**.

En analyse le problème de la somme d'une série infinie de nombres conduit à s'interroger sur l'égalité. Par exemple la série 9/10 + 9/100 + 9/1000 + ... , c'est-à-dire le nombre 0,999… est-il ou non égal à 1 ? Ce problème, véritablement philosophique puisque lié aux paradoxes de Zénon, est traité par René Guénon (entre beaucoup d'autres, dont bien entendu des matheux) dans "Principes du calcul infinitésimal".

Le médaillé Fields Pierre Deligne, élève de Grothendieck (sans doute le meilleur), a fait une conférence vidéo sur l'égalité en Mathématiques, mais je ne la retrouve pas sur la toile.


*: Les mathématiques modernes en général et la théorie des ensembles en particulier ont engendré -et engendrent encore- des crises de définitionnite aigüe (j'ai eu sous les yeux un bouquin de géométrie de lycée avec beaucoup plus de définitions que de propositions et ... de figures.

**: https://fr.wikipedia.org/wiki/Felix_Klein



 

Qu'est-ce qu'il se passe ?

jc

  07/12/2020

Finkielkraut : « Nous ne disposons plus aujourd’hui d’une philosophie de l’histoire pour accueillir les événements, les ranger et les ordonner. Le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous. Il est donc nécessaire, inévitable de mettre la pensée à l’épreuve de l’événement et la tâche que je m’assigne, ce n’est plus la grande tâche métaphysique de répondre à la question “Qu’est-ce que ?”, mais de répondre à la question “Qu’est-ce qu’il se passe ?”... ».

Je suis d'accord avec Finkielkraut que le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous, parce que "nous" sommes rentrés dans l'ère d'un post-socialisme qui a intégré au forceps le progressisme sociétal (à moins que ce ne soit l'inverse) grâce(!) à un post-égalitarisme qui force (presqu'au sens du forcing de Cohen cher à Badiou!) les égalités H=F=L=G=B=T=Q. Mais ce n'est visiblement pas (quoique ?) à ce niveau que Finkielkraut et Lind se placent, qui invoquent la philosophie de l'histoire et la métaphysique, voire la religion.

Lind, seul concerné dans cet article, propose une explication antédiluvienne qui ne me convient guère dans laquelle l'égalité (alias l'interchangeabilité) est mise en cause -par un Satan entropisateur-. (Il me semble que la phrase "Nul être n'aura, dans le temps ou l'espace, le rôle et le but qui lui sont assignés dans l'univers." doit être lue "Nul être n'aura, dans le temps ou l'espace, d'autre rôle et de but que ceux qui lui sont assignés dans l'univers.".)

Je pense comme Lind que "la vision moderne qui est la nôtre s’avère viciée", et qu'il faut "plaider pour une sorte de retour à une sorte de Moyen Âge" (mais je ne le suis pas -du verbe suivre- dans ses propositions d'explications).  Selon moi "notre" vision du monde s'est viciée au moment de la coupure galiléenne (que Lind appelle la révolution copernicienne), précisément depuis Newton et, d'une certaine façon à cause de lui, le but de la science n'étant plus dorénavant d'interpréter le monde (et éventuellement de l'expliquer) comme c'était le cas lorsque la vision du monde respectait l'harmonie entre notre microcosme et le macrocosme (comme le montre PhG avec l'art pictural chinois), mais de prédire son évolution en vue de le dominer. Pour moi le concept d'idéal de puissance cher à PhG a germé à cet instant et s'est propagé en Occident dans les siècles qui ont suivi comme on peut le constater à la lecture de la préface de la deuxième édition kantienne de la critique de la raison pure dont voici un extrait :

 "Ils [Galilée, Toricelli et Stahl] comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après son propre plan, qu’elle éprouve le besoin de  prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements d’après des lois constantes et de contraindre la nature à répondre à ses questions, mais qu’elle ne doit pas se laisser conduire seulement par elle, comme en lisière ; car sinon, les observations faites au hasard, sans aucun plan préalablement conçu, ne peuvent tenir ensemble dans une loi nécessaire, conformément à ce que cherche pourtant la raison et dont elle a besoin. La  raison, tenant d’une main ses principes, qui seuls peuvent donner valeur de lois à des phénomènes concordants, et de l’autre l’expérimentation qu’elle a  conçue d’après ceux-ci,  doit s’approcher de la nature, certes pour être instruite par elle, mais non toutefois comme un élève, prêt à entendre tout ce que le maître veut,mais en la qualité d’un juge en exercice, qui contraint les témoins à répondre aux questions qu’il leur soumet".

Parallèlement et logiquement le conventionnalisme (alias le nominalisme, intronisé en France sous Louis XI) puis le pragmatisme, le matérialisme et le positivisme, se sont développés dans les temps modernes alors que régressait tout ce qui allait de soi dans les temps plus anciens.

Voilà selon moi ce qu'il s'est passé et se poursuit encore actuellement.

La position de Thom sur la coupure galiléenne

jc

  07/12/2020

En quelques citations.

1. Ce texte [l'article de AL "Le statut épistémologique de la théorie des catastrophes"] introductif à la théorie des catastrophes offre une vision plus claire de son programme métaphysique : fonder une théorie mathématique de l'analogie, qui vise à combler la lacune ouverte par Galilée entre quantitatif et qualitatif.

2. L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne.

3. On a changé de critère d'individuation d'Aristote à Galilée. On a substitué à la considération du but instantané la définition purement mathématique de la courbe analytique.

4. (...) je ne suis pas sûr que dans un univers où tous les phénomènes seraient régis par un schéma mathématiquement cohérent, mais dépourvu de contenu imagé, l'esprit humain serait pleinement satisfait. Ne serait-on pas alors, en pleine magie ? Dépourvu de toute possibilité d'intellection, c'est-à-dire d'interpréter géométriquement le schéma donné, ou l'homme cherchera à se créer malgré tout par des images appropriées une justification intuitive au schéma donné, ou sombrera dans une incompréhension résignée que l'habitude transformera en indifférence. En ce qui concerne la gravitation, il n'est pas douteux que la seconde attitude a prévalu ; car nous n'avons, en 1968, pas moins de raisons de nous étonner de la chute d'une pomme que Newton. Magie ou géométrie, tel est le dilemme que pose toute tentative d'explication scientifique. De ce point de vue, les esprits soucieux de compréhension n'auront jamais, à l'égard des théories qualitatives et descriptives, des présocratiques à Descartes, l'attitude méprisante du scientisme quantitatif.


 

Au diable l'égalitarisme ?

jc

  08/12/2020

Après avoir expliqué dans "L'égalité est-elle diabolique ?" pourquoi, selon moi, l'égalité n'était pas diabolique, j'écrivais dans " Qu'est-ce qu'il se passe ? " :

"Je suis d'accord avec Finkielkraut que le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous, parce que "nous" sommes rentrés dans l'ère d'un post-socialisme qui a intégré au forceps le progressisme sociétal (à moins que ce ne soit l'inverse) grâce(!) à un post-égalitarisme qui force (presqu'au sens du forcing de Cohen cher à Badiou!) les égalités H=F=L=G=B=T=Q. Mais ce n'est visiblement pas (quoique ?) à ce niveau que Finkielkraut et Lind se placent, qui invoquent la philosophie de l'histoire et la métaphysique, voire la religion.".

J'ai écrit ça sans avoir la moindre idée de ce que l'on entend par égalitarisme et, a fortiori de post-égalitarisme. Je me suis depuis renseigné un peu auprès de Wikipédia, d'où j'ai tiré l'idée que l'égalitarisme politique était la forme la plus évoluée (la plus car manifestement indépassable!) du communisme, et que c'était "ça" le progressisme sociétal vers lequel il fallait faire progresser l'humanité. Et presque sans surprise (au point où j'en suis arrivé dès la deuxième phrase), je n'ai même pas sursauté quand j'ai lu la dernière où il est benoîtement annoncé que la forme indépassable vers laquelle il faut progresser est aussi celle de l'harmonie initiale que "nous" avons indûment perturbée.

Après un moment de stupeur (quand même) je me suis dit que, au fond, cette sorte d'ultra-communisme n'était que la réponse à l'ultra-individualisme du Système, une sorte de réponse du berger à la bergère au ras des pâquerettes : le chaos de l'individualisme contre le néant du communisme, pour paraphraser une partie de la légende de la carte thomienne du sens*.

II m'apparaît alors clairement que l'égalitarisme (en tant que concept dynamique) est en politique ce que l'entropisation (j'utilise la terminologie de Dedefensa, j'espère à bon escient) est en thermodynamique. La situation politique "ras des pâquerettes" ci-dessus a un analogue en physique statistique qui est la statistique de Boltzmann (niveau zéro de la Physique statistique). Au niveau 1 on a la statistique de Bose-Einstein pour les communistes et la statistique de Fermi-Dirac pour les individualistes (principe d'exclusion de Pauli pour les électrons -qui sont de la famille des fermions).

Thom: "Terminons ces considérations sur l'ontogenèse des mathématiques par une remarque de physique. Nous avons invoqué deux phénomènes pour justifier la construction de l'espace réel : la résonance qui synchronise des oscillateurs couplés d'une part, de nature temporelle ; et la collision entre individus, qui, elle, permet la définition des chemins de létalité, et par suite la construction des espaces. Fort spéculativement, on associera ces deux processus aux deux grands types de les connus en physique : bosons et fermions. Les bosons, de nature essentiellement radiative, ont tendance à s'associer en champs où ils deviennent indistinguables et non localisables, effet dû à la résonance. Les fermions, de nature essentiellement spatiale, matérielle, devraient leur caractère répulsif et individualiste au phénomène de collision qui les sépare…" (AL, p.325)

Un rapport avec le sédentaire Caïn et le nomade Abel ? Des idées à exploiter en politique ?

Je termine par mes citations favorites:

 Thom: "Les situations dynamiques régissant les phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés" ;

PhG: "La sagesse, aujourd'hui, c'est l'audace de la pensée" ;

Thom: "La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité" .


*: "En haut le chaos des forces naturelles ; en bas, la paix du néant" http://strangepaths.com/forum/viewtopic.php?t=41