Zombie-UE, “va jouer avec cette poussière”

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Zombie-UE, “va jouer avec cette poussière”

23 juillet 2020 – On dira : “Mazette, faire une poussière de tant de €milliards ! Ah non, il va fort !”. Mais j’y tiens dur comme fer, sans barguigner, sans la moindre hésitation, avec toute ma méprisante considération, comme celle que Montherlant mettait lorsqu’il composa ce titre.

€Milliards, dites-vous ? Du papier électroniquement imprimé, leur hybris en poids, en tonnes de papier, et des zéros, beaucoup de zéros, de zéros partout, des zéros à l’infini comme Koestler, alias Kepler, l’avait calculé ; d’ailleurs, la même chose que la Fed, ce qui est si essentiel pour l’assurance de nos certitudes serviles et empressées ; qui se ressemble s’accouple, s’enchevêtre et s’entasse aveuglément, mimétiquement, nihilistement ; le règne de la quantité-turbo, sur une montagne de papier-journal...

Le sommet de l’UE a fabriqué un simulacre, toujours le même qui tourne en boucle depuis deux tiers de siècle, rapiécé, usé, flottant et filoutant glorieusement dans ses coutures et ses grossiers rapetassages, avec son ballet de marionnettes-zombifiées, poignées de mains remplacées par ces touchers de coudes et ces masques sur lesquels sont peints les sourires estampillés Berlaymont-1956, et tout cela bien entendu, et pour faire bref, qui les fait ressembler à des trisomiques-21 traités au sérum de la postmodernité. Si l’on ne trouve pas de vaccin, on pourra faire un sommet bruxellois où l’on conviera Covid19 : il en mourra d’indignité et de terreur devant la vigueur vertueuse et la vertu vigoureuse de ce chevalier plus blanc que blanc, c’est-à-dire non-blanc selon BML ; et ainsi la pandémie sera-t-elle vaincue, Grouchy une fois de plus terrassé par Blücher, et par l’UE sacrebleu ! Allez, cessons toutes ses masquerades et faisons aussitôt ce sommet pour enfin liquider Covid19 en très-grandes pompes ! Trump en sera tweet-bé.

Je l’avoue, j’étais sans avis sinon celui du spasme d’un dégoût à la fois discret e t élégant. Vaguement, j’avais espéré un sommet qui échouât enfin, pour une fois, pour qu’enfin l’usine à gaz semblât fonctionner jusqu’à aller dans un sens, et que les nations retrouvassent, pour l’honneur, leur dignité d’avoir à agir à elle seules, dans leur tragédie et leur sens de la fatalité historique. Mais non ! A la 25ème heure, Zorro est arrivé, en s’pressant sans s’presser, un accord de compromis en bandouillère, compromis à 27-28, à 39, à 197 que sais-je ! Je décidai de n’en dire mot après avoir hésité. Il y a des événements qu’on salue par le silence, tout le monde comprend que c’est celui de la consternation.

... Jusqu’à ce que je lise ce court texte d’Armand Benedetti, qu’on a déjà lu dans nos colonnes. C’est dans le Figaro-Vox d’hier, et je dois dire, pour résumer, que ce qui m’a plu d’abord c’est qu’on n’y trouve nulle part le chiffre 750... Cela m’a convaincu de me permettre de faire un emprunt que, j’espère, vous trouverez à votre goût. L’UE n’en mérite certainement pas plus, du point de vue de la considération et du jugement.

« Historique », disent-ils...

» Rarement depuis 48 heures le mot aura-t-il été aussi projeté pour caractériser la négociation qui vient de s’achever à Bruxelles. Rarement communication aura-t-elle autant martelé la référence à l’histoire pour désigner des tractations qui, sur le fond, rappellent la banalité inexorable d’une dramaturgie bruxelloise dont les ressorts sont aussi vieux que la mécanique de la construction européenne depuis 1957.
» Sur le fond furent égrenées toutes les scansions d’une théâtralité qui fait le suc médiatique de la scène de l’UE: la tension dès le départ sur le caractère exceptionnel de l’événement, les interruptions de séances, le durcissement des positions des uns et des autres, le marchandage incessant d’intérêts divergents qui peinent à se croiser, l’étirement sans fin des longues nuits d’échanges, les réunions bilatérales, les coups de semonce, les «fuites en coulisses» en direction de la presse, le gouffre de la rupture et de l’échec... et finalement l’accord arraché au forceps grâce à la détermination du couple franco-allemand. Cette mise sous pression des opinions en amont de chaque sommet est un classique de la politique européenne. Tout se passe comme si l’Europe avait besoin de ce stress pour attirer l’attention et susciter de l’attente.
» Le contexte de la crise sanitaire et de ses innombrables conséquences tant économiques que sociales a dopé ce phénomène. Les ingrédients indispensables à l’attractivité scénique du moment se sont à nouveau condensés pour donner de l’élan à une mécanique institutionnelle que les peuples du vieux continent observent de loin. Il fallait un chœur, à l’instar de la tragédie antique, pour donner du souffle à cet instant. Les médias ont rempli ce rôle, relayant eux-aussi la parole du conclave des dirigeants réunis à Bruxelles.
» À vrai dire, cette surévaluation historique d’une récurrence vaut surtout pour des gouvernants qui s’efforcent d’enchanter ce qui n’est pas forcément perçu comme tel par leurs opinions nationales. À défaut d’avoir fait l’histoire, l’UE a surtout, encore une fois, sauvé la face comme si l’Europe, objet politique indéfini et incertain, pliait toujours plus mais ne rompait pas. D’une certaine manière, cette Europe du plan de relance, dont les inconnues multiples sont couvertes par les déclarations victorieuses, s’est survécue à elle-même, poursuivant son histoire certes, mais sans non plus faire l’Histoire...
 

... Enfin, comment osent-ils ? Avez-vous vu, entendu, aperçu et seulement perçu l’UE lorsque la pandémie s’est déclarée comme un incendie postmoderne, pressant affreusement notre affectivisme que même un masque ne peut masquer ? Nous l’attendions de toute son aide et de toute sa puissance paraît-il, la promesse de sa stratégie et de sa bureaucratie bienpensantes ; c’était un test de sa validité opérationnelle, de son existence souveraine, de sa capacité d’étendre sur tout un continent son aile protectrice et invincible... Ridicule tout cela, ces conjectures, ces espérances, car il y a longtemps que le soldat ZombieUE est mort de son ridicule né de l’espace infini, du trou noir entre ses ambitions-prétentions et ses réalisations.

Plus encore, le pathétique-“historique” de ces guerriers-zombies accourus pour échanger des tendresses de coude, se taper dans le dos avec un poignard, se haïr secrètement en tenant ferme leur bouée de sauvetage commune, me remplit d’une ironique amertume et d’une horreur débilitante. Ils ne savent plus à quoi ils servent. Le Hollandais compte ses sous en se félicitant que la famille royale ait un bon paquet d’actions chez Northrop-Grumman ou chez Lockheed-Martin. Les “frugaux” répètent en chœur et en persiflant : “Que faisiez-vous pendant l’été ? ... Eh bien, dansez maintenant !” Le Polonais s’adosse à Trump pour invectiver et dénoncer l’Allemand qui ne cesse de manigancer avec Poutine. La Prussienne se dit au-dessus de tous et de toutes. Le Français essaie de se grandir à hauteur des rumeurs qui assaillent la France comme à l’habitude. Tous les pays d’Europe se soupçonnent, se méprisent, se sourient en façade et se détestent au fond de soi, et ils vont à Bruxelles comme on va à confesse, comme on allait à l’église le dimanche, pour se faire bien voir de la ‘bonne société’.

Et c’est ainsi que l’on peut dire que “mais non, finalement, j’exagère, car j’ai trouvé la fonction première et centrale de l’Europe” : à la fois lits de réanimation en grand nombre et machines à hyper-ventiler en bon état de marche pour chefs d’État et de gouvernement, l’UE est et ses sommets sont ce qui fait que tous ces zombieSystème ne disparaissent pas dans le sablier de la néantisation du domaine politique dévasté par Covid19.

... Et c’est ainsi que je dois conclure qu’il est bien question d’être ‘historique’ ; et ce qui fait que tous les sommets de Bruxelles sont effectivement ‘historiques’, c’est qu’ils parviennent à ranimer pour quelques mois, le temps d’une demi-saison pour demi-mondaine, tous ces zombies-marionnettes venus montrer leurs derniers masques en vogue. Elle les retient au bord du gouffre et les renvoie chez eux, pour quelques tours de manège de plus.

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ; et puis il disait : “Relance !” ; et Caïn se déconfinait, et les dieux s’émerveillaient de son habileté à les remplacer aux relations publiques.

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