Washington-Paris, l’axe du désordre final

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Washington-Paris, l’axe du désordre final

8 octobre 2019 – Finalement, malgré toutes les différences de personnes, de psychologies, d’atmosphères, des événements, des perspectives, malgré ces différences complètement considérables je vois une grande similitude dans l’évolution des événements fondamentaux, suprahumains si vous préférez, entre Paris et Washington. Il y a une sorte de parallélisme, de dynamique partagée, quelque chose comme un “en même temps” très macroniste devenu transatlantique dans la chute catastrophique.

Les deux capitales forment un axe que j’identifierais par l’expression de “similitude haute” ; une sorte de concept catastrophique, une dynamique mimétique absolument invertie de l’“intuition haute”. Ce qui caractérise ce concept effectivement catastrophique, c’est la déstructuration et la dissolution, et l’entropisation décisive au-delà bien sûr, là où l’“intuition haute” apporte l’inspiration qui permet de distinguer ce qui nous donne la forme, c’est-à-dire l’essence avec les structures principielles  de l’ordre, de l’harmonie et de l’équilibre. Cet axe est celui du désordre de  la désacralisation forcenée, de la dynamique de la délégitimation, de la désintégration du pouvoir issu du Système, de l’effondrement de l’autorité naturelle et de  la négation quasiment haineuse de la nature du monde elle-même.

Certes, j’accorde à Washington  une certaine avance et une supériorité dans l’activité créatrice ; le capitalisme américaniste est un excellent outil pour cela, il a fait ses preuves  et termine au-delà de toutes les espérances diaboliques. Washington est tout de même parvenu à accoucher de “D.C.-la-folle” ; à la proclamation de l’émeute politique permanente ; à l’usurpation totale du pouvoir par les forces combinées de l’Intelligence Community, de la presseSystème et du gauchisme progressiste-sociétal ; à la transformation du pouvoir en un cirque de démence avec comme monsieur Loyal un bouffon transformant la fonction présidentielle en un numéro de clown qui n’a peur de rien ; à  une haine extraordinaire parfaitement partagée entre les deux bords, brûlant tous deux d’ouvrir  toutes grandes les portes de la guerre civile, comme on dirait “juste pour le fun.

A Paris, on est plus modeste mais aussi plus raffiné, — l’intelligence française, n’est-ce pas ; plus mesurées, beaucoup plus bavards à propos du sexe des anges des services de sécurité en grande phase d’insécurité, des indices de terrorisme dont on se demande si le mot est dicible ou indicible, des graves questions de la quintessence des religions dont une particulièrement que je ne nommerai pas (voyez le philosophe Apathie, il connaît), des actes de gouvernement et d’opposition proclamés avec autorité à propos d’un simulacre qui a toujours deux ou trois TGV d’avance. A Paris, on croit à la raison, aux “valeurs” de La-République, au respect des droits-de-la-laïcité et à la guillotine douce du Politiquement-Correct ; et l’on bavarde, et l’on débat, et l’on argumente, comme tourne manège, toujours dans le même sens, toujours dans le même espace fermé du cercle, toujours pour ne donner que ces verdicts impératifs et similaires sur l’absence de verdict, sinon une douce musique de la perception inutile de la dérisoire dynamique. Le résultat est  une élégante et bavarde noyade, un sur-place de l’autorité et de la légitimité “en marche”, s’ébrouant à la fois du Rien et du Néant, salué par un mépris et une défiance haineuses et souvent injustes (ils ne sont pas si mauvais)  qui mesurent la progression du naufrage.

Vous voyez que j’essaie avec conviction et force, dans ces descriptions, de ne désigner personne, d’équilibrer les responsabilités entre tous les acteurs, de ne point trop les accabler, bref de présenter autant à “D.C.-la-folle” qu’à “Paname-la-bavarde” une sorte d’unité dans l’inversion et l’effondrement à responsabilité limitée mais à fatalité d’au-dessus de nous. Les deux sont également inféconds, stériles, paralysés et impuissants, quasiment identiques dans la production de la catastrophe d’eux-mêmes.

Ainsi y a-t-il un axe Washington-Paris, ou Paris-Washington selon que vous les regardez les yeux fermés ou un bandeau sur les yeux. C’est un spectacle qui a du tragique, certes, et également du bouffe. (Ah !  Cette tragédie-bouffe !)  Bref, un spectacle dérisoire, qui n’a même pas l’allant grotesque et le comique piquant de La Grande Duchesse de Gerolsteinqui avait salué en un autre temps et d’autres circonstance la dérision et le bouffe de la démission de l’esprit au profit de l’ivresse du simulacre d’Offenbach. (*)

Retenez l’esprit de cette idée d’un axe entre deux entités, – pays, nations ou idées, – qui firent valoir chacun une exceptionnalité métahistoriques, qui sont liées par des circonstances historiques extraordinaires, l’une aidant décisivement à la naissance de l’autre, les deux s’offrant l’une à l’autre et offrant au monde leurs “Révolutions” sans précédent, ouvrant l’ère de la contre-civilisation, saluant et installant la modernité... Les voici à nouveau réunis dans l’esprit de cette idée d’un axe qui opérationnalise jusqu’à son paroxysme la Grande Crise de l’Effondrement du Système.

L’une et l’autre, sans préférence ni hiérarchie, ont bien mérité dans leur zèle dès l’origine  à servir et à favoriser le tremblement catastrophique  que la métahistoire a décidé d’imposer comme terrible conclusion tellurique d’une aventure humaine parvenue, dans sa séquence moderniste, au terme de son œuvre de destruction. Eux qui furent à l’origine de la séquence méritent bien d’en être les fossoyeurs.

Fin de cycle, attendons la suite.

 

Note

(*) Oubliez les circonstances, les noms des acteurs politiques, les événements stratégiques, les idéologie qui datent, etc., bref tout ce qui est “sérieux” dans les salons, et retenez l’esprit qui sourd de cette description sarcastique de Bainville en mettant à la place de Bismarck  un Acteur qui nous dépasse de toute sa puissance suprahumaine, – j’ai nommé l’Effondrement du Système : « La France, en 1866, a crié : ‘bon débarras’ à ce vieux particularisme allemand rossé par la Prusse; nous paierions cher pour le ressusciter aujourd'hui [N.B. : écrit en 1924], et nous saluerions avec plaisir sa renaissance. Mais il avait paru plaisant que ces vestiges d'un autre âge eussent été balayés si énergiquement par le Prussien, champion des ‘idées modernes’. Deux hommes d'esprit saisiront ce comique, et La Grande Duchesse de Gerolstein eut un grand succès de rire. Le général Boum, le baron Grog, l'électeur de Steis-Stein-Steis, tout ce que Bismarck venait de mettre en déroute chanta et dansa, pour le grand amusement de Paris et des provinces, sur la scène des Variétés. Sadowa devenait un opéra-bouffe, tandis que déjà Bismarck avait signé des conventions militaires secrètes avec les États du Sud, battus mais subjugués. La Grande Duchesse de Gerolstein, c'était la circulaire de Lavalette mise en musique par Offenbach. Elle eut beaucoup plus de succès que les nouvelles prophéties de Thiers... »)