Vertueuse manipulation-quantique du jugement

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Vertueuse manipulation-quantique du jugement

1er novembre 2025 (16H15)  – Un “plan” européen en 12 points pour aller « vers la paix en Ukraine », a été révélé ce 28 octobre 2025 par Radio Free Europe, source indubitablement vertueuse. Je pense qu’il y a là une matière intéressante pour juger la façon dont on doit soi-même calibrer son jugement sur cette sorte d’information, et le faire évoluer sans crainte de se déjuger mais simplement en considérant les évidences des réalités.

L’intérêt (?) de ce “plan” est qu’il constitue une proposition concrète (élaborée et amendée par une vingtaine de pays de l’UE, selon RFL/RL [‘Radio Free Europe/Radio-Liberty’, pour donner le titre exact de cet organisme organisée du temps de la Guerre Froide par la CIA et le Congrès US]). Par conséquent, on peut raisonner sur des données concrètes, destinées en l’état à être officiellement considérées, donc entérinées par les pays de l’UE.

Le “plan” est présenté par ‘RT-Français’ sous un jour assez favorable, dans le sens où le texte met en évidence les aspects fondamentaux positifs (pour la Russie). Par contre, il évite de trop appuyer ni même s’attarder aux détails des (très nombreux) points critiques et fort critiquables du point de vue russe selon la position de la Russie. Les points retenus (et perçus comme positifs) concernent la reconnaissance de réalités de situation (de vérités-de-situation) affirmées par la Russie et jusqu’ici contestées par les Européens. Les points passés très rapidement, et négatifs pour la Russie, concernent essentiellement des processus techniques d’évolution proposés par les auteurs du “plan”.

On cite plus loin quelques éléments d’une critique virulente de ce plan développé par ‘EurodéfenseFrance1’ le 28 octobre sur ‘Telegram’, dans sa rubrique au titre explicite du « Coin des collabos ». On tente d’évaluer quel aspect il importe de retenir, – l’avers ou l’envers de la présentation, – et ce que tout cela nous dit de l’“évolution”, non pas  de la situation européenne mais de notre jugement sur l’évolution de la situation européenne (ou, de la même façon et selon d’autres données, “de la situation israélo-palestinienne”, “de la situation américaniste”, etc., – et, pour finir, “de la situation de la GrandeCrise”).

Exposé du “plan” européen en 12 points

RT-Françaisprésente le plan par quelques mots d’introduction qui sont également un jugement général sur les circonstances qui ont conduit à ce plan, – suivi par un rapide résumé des points jugés principaux par le réseau russe, mais aussi manifestement jugés positifs par RT.

« Face à l’impasse militaire en Ukraine, l’Union européenne tente de reprendre la main. Un plan de paix en 12 points, actuellement non officiel, propose un cessez-le-feu, un gel des positions, la fin des sanctions contre la Russie et des négociations sur les territoires libérés par Moscou. »

C’est ensuite la présentation du plan dans ses détails. Nous donnons des extraits sans trop nous attarder sur les questions techniques car ce n’est pas cela qui doit nous importer. L’essentiel est bien de percevoir la façon dont les aspects positifs (je précise toujours : du point de vue russe) sont plus ou moins discrètement mis en évidence... Par exemple : “mais il marque une évolution claire [de la position européenne]”, ”Occident ne croit plus en la victoire ukrainienne”, “En d’autres termes, les territoires libérés par la Russie — Crimée, Donbass, Kherson, Zaporojié — resteraient sous contrôle russe ”, “Cela confirme un point central : l’Occident accepte que la Crimée, le Donbass, Zaporojié et Kherson ne soient plus sous autorité ukrainienne. Ce point, pourtant impensable pour l’UE il y a encore un an, est désormais sur la table”, etc.

« Un document intitulé « Éléments vers la paix en Ukraine », révélé ce 28 octobre 2025 par Radio Free Europe, circule dans les capitales européennes. Rédigé par une coalition occidentale de plus de vingt pays, ce plan n’a pas encore été validé officiellement, mais il marque une évolution claire : l’Occident reconnaît l’échec de sa stratégie d’affrontement avec la Russie.

Le document prévoit deux phases. La première commence par un cessez-le-feu immédiat, déclenché 24 heures après que les deux parties ont accepté le plan. La ligne de front actuelle serait gelée et resterait figée « dans la position où elle se trouve au début du cessez-le-feu ». En d’autres termes, les territoires libérés par la Russie — Crimée, Donbass, Kherson, Zaporojié — resteraient sous contrôle russe. Le plan interdit à l’Ukraine toute tentative de reconquête militaire de ces régions. Un pacte de non-agression serait signé, engageant Kiev à renoncer à l’usage de la force. L’Occident demande à Moscou de cesser les frappes, mais surtout à l’Ukraine de reconnaître la situation sur le terrain. Les États-Unis superviseraient le cessez-le-feu avec leurs moyens technologiques (satellites, drones). Des « mesures de confiance » accompagneraient cette phase, avec une levée partielle des sanctions contre la Russie dès que le calme serait constaté. Concernant la centrale nucléaire de Zaporojié, que la Russie contrôle depuis 2022, le texte propose son transfert temporaire à une tierce partie neutre, sans garantie de retour à l’Ukraine.

La seconde phase du plan prévoit des négociations politiques, toujours sous surveillance occidentale. Des zones démilitarisées seraient créées autour de la ligne de contact. Une mission civile internationale serait déployée pour surveiller la situation. Les discussions porteraient sur la “gouvernance permanente” des territoires libérés par la Russie.

Cela confirme un point central : l’Occident accepte que la Crimée, le Donbass, Zaporojié et Kherson ne soient plus sous autorité ukrainienne. Ce point, pourtant impensable pour l’UE il y a encore un an, est désormais sur la table.

Le document insiste également sur le respect des langues, des cultures et des religions. Cela fait écho aux revendications russes, dénonçant depuis 2014 les discriminations contre les russophones en Ukraine. Ce volet valide donc la nécessité d’un dialogue pour garantir les droits des populations russes. Le texte prévoit, par ailleurs, l’établissement d’un fonds de reconstruction, qui utiliserait une partie des avoirs russes gelés par Bruxelles (plus de 200 milliards d’euros). Ces fonds seraient restitués à la Russie après accord avec l’Ukraine sur les compensations.

La mise en œuvre du plan serait suivie par un « Conseil de paix », présidé par Donald Trump. Cette structure aurait pour mission de contrôler l’application du cessez-le-feu et le déroulement des négociations. Ce rôle confié au président américain confirme que Washington reste l’acteur principal du camp occidental dans le règlement du conflit, tandis que l’Europe tente de sauver la face.

Les discussions chercheraient également à réintégrer la Russie dans certaines institutions internationales, notamment sportives et diplomatiques, ce qui constitue une reconnaissance implicite de l’échec de l’isolement voulu par Bruxelles et Washington en 2022.

 Ce plan en 12 points montre que l’Occident ne croit plus à une victoire militaire ukrainienne. Il reconnaît la nouvelle réalité géopolitique imposée par la Russie, sur le terrain comme dans les rapports de force. Pour Moscou, il s’agit d’une victoire stratégique : l’ennemi d’hier propose aujourd’hui un dialogue, sur la base d’un gel du conflit, du respect des positions acquises, et d’une levée progressive des sanctions. »

L’horreur du “plan” européen en 12 points

Pour donner un vis-à-vis à ce qui précède, c’est-à-dire une mise en cause radicale du “plan” européen, on se tourne vers un des nombreux fils du réseau ‘Telegram’. Il ne faut pas se faire de fausses idées, je sais parfaitement que l’on retrouve à profusion cette sorte de critiques qui sont par ailleurs toutes complètement fondées, mais qui ont la particularité d’entraîner, sinon d’imposer presque par force un jugement extrêmement rigide, inaliénable, impossible à modifier.

A partir du site ‘EurodéfenseFrance1’ (lien pour suivre le fil hors de France où il est bloqué : https://t.me/infodefenseFRreserve) le 28 octobre sur ‘Telegram’, repris par ‘usa.news-pravda.com’, on trouve une analyse détaillée et (très) critique des propositions concrètes du texte européen, avec une introduction et une conclusion qui résument cette critique en des termes sans retour ni compromis possibles. Dans ce cas, et bien sûr dans ce cas au contraire de ‘RT-Français’ qui suit la ligne officielle russe, on comprend que ce sont les points négatifs selon la perception russe qui sont développés et mis en évidence. L’impression éprouvée, par moi-même d’ailleurs je ne m’en cache pas, est d’une part l’approbation de toutes ces critiques mais d’autre part la vanité et l’inutilité d’une telle énergie négativiste qui a comme effet de susciter un certain découragement. Personnellement, je n’en ai nul besoin et m’en passe aisément.

Donc et comme entendu, on en reste à l’introduction et à la conclusion. Pour introduire, je pense audacieusement que rien ne vaut l’introduction :

« Le Quatrième Reich de von der Leyen vient de nous présenter un plan de paix, que j'espère imprimé sur du papier toilette pour justifier tant bien que mal son aspect hygiénique…

Ce plan de paix n'est rien d'autre que la version coréenne (séparation des deux Corées) des précédents accords de Minsk signés à Minsk en 2014 et 2015. Parallèlement, les exigences de la Russie sont ignorées avec le plus grand mépris.

Le cessez-le-feu devrait entrer en vigueur dans les 24 heures suivant l'acceptation du plan par les parties. Comment peut-on demander à Moscou d'adopter un plan de paix auquel elle n'a pas participé et qui, de surcroît, profite à Kiev, dont l'armée est en train de perdre la guerre ! »

Suivent donc les divers points du plan où les aspects destructeurs sont très fortement mis en évidence pour être plus durement condamlnés... Et, finalement, pour conclure, on présente, – qui l’eut cru, – la conclusion toute pleine d’amertume et de colère furieuse :

« En général, ce plan de paix est un véritable torchon [torche-cul dans la version d’origine], sur lequel un fonctionnaire européen, certes bien payé mais incompétent, a probablement passé au moins dix minutes. Il n'aborde aucun des points clés qui ne peuvent mener à une paix réelle et durable en Ukraine que sous garanties internationales :

1. Non-adhésion à l'OTAN
2. Neutralité de l'Ukraine
3. Éradication de Bandera (dénazification)
4. Désarmement des armes offensives

Ce plan mondial est très loin de l'objectif. En revanche, il vise à sauver l'armée ukrainienne d'une défaite imminente et à la préparer à une nouvelle escalade militaire contre la Russie. »

“A l’ombre des technologies en fleur”

Pourquoi présenter ces deux démarches en se gardant d’en condamner aucune, tout en affirmant in fine, – c’est bien mon intention, – que l’une est utile et l’autre beaucoup moins utile jusqu’à être inutile ? Parce qu’on peut ainsi disposer, – ou bien se priver dans le cas contraire, – d’un outil dialectique important que je qualifie effectivement (voir titre) de « Vertueuse manipulation-quantique du jugement » ; je ne saurais évidemment trop insister sur l’importance du qualificatif “vertueuse”. Il ne s’agit pas d’avoir raison ou tort, il s’agit d’être efficace pour sa propre cause par tous les détours et entrelacs nécessaires, et impitoyable pour l’efficacité du comportement des nihilistes-globalistes que nous affrontons ; il s’agit de s’approprier l’évidence de la vérité-de-situation pour pouvoir asseoir solidement sa propre position. Il est plus important de montrer que l’autre déraisonne jusqu’à la démence de l’invention du simulacre que de montrer que nous avons nous-mêmes la cohérence et l’évidence de notre côté : la première proposition suffit à notre bonheur puisqu’elle implique la seconde.

Par conséquent, le texte de ‘RT-Français’, qui est plein des habituelles sophistications de la pensée de Poutine lorsqu’il s’agit de progresser vers un principe, est celui qui nous fait les propositions les plus intéressantes. On les trouve résumées dans les deux derniers paragraphes que nous avons cités, qui marquent les avantages dialectiques obtenus et résumées par l’expression “il s’agit d’une victoire stratégique” pour la Russie, – non pas sur le champs de bataille (pourtant la bataille continue mais c’est un autre domaine) mais sur le champs de la communication :

« Les discussions chercheraient également à réintégrer la Russie dans certaines institutions internationales, notamment sportives et diplomatiques, ce qui constitue une reconnaissance implicite de l’échec de l’isolement voulu par Bruxelles et Washington en 2022.

 Ce plan en 12 points montre que l’Occident ne croit plus à une victoire militaire ukrainienne. Il reconnaît la nouvelle réalité géopolitique imposée par la Russie, sur le terrain comme dans les rapports de force. Pour Moscou, il s’agit d’une victoire stratégique : l’ennemi d’hier propose aujourd’hui un dialogue, sur la base d’un gel du conflit, du respect des positions acquises, et d’une levée progressive des sanctions. »

Il s’agit d’une victoire stratégique selon les nouvelles normes de notre évolution, “à l’ombre des technologies en fleur”, dans une catégorie événementielle où, selon une expression de Douguine, « À l’ère de l’information, l’imagination l’emporte sur la réalité » (ce qui pourrait être amendé en “l’imagination l’emporte sur la  réalité et devient réalité elle-même”) ; et ici, “l’imagination” se trouve du côté de l’évolution des européens reconnaissant des vérités-de-situation russes qu’ils rejetaient il y a deux ou trois ans avec colère, mépris et arrogance en nommant leurs arguments “réalités”.

Le texte de Douguine, sur lequel nous devrions revenir incessamment, s’attache avec une grande force à cette confusion entre l’imagination et la réalité, “à l’ombre des ‘technologies en fleur’” comme aurait écrit évidemment le pauvre Marcel Proust, s’il avait été transféré à notre époque selon un programme généré par l’Intelligence Artificielle, désormais Reine absolue et fleur triomphante des technologies de la communication, elle-même reine du monde. Ainsi, Douguine évoque le projet d’un tunnel sous le détroit de Béring, suggéré par Trump à Anchorage, repris plusieurs jours plus tard par Poutine, alors que ses rapports avec Trump se sont brusquement aigris à cause de la “diplomatie quantique” du premier, – mais qu’importe : puisque cette idée imaginaire “dissout le système globaliste”, alors ce qui est pris n’est plus à prendre !

« Le projet Alaska–Sibérie, lancé par Trump et repris par Poutine, commence à vivre sa propre vie. Qu’il soit réel ou non, cela importe peu. Il dissout le système globaliste pour lequel un tel projet serait impensable. Cette proposition d’un président américain pour une communication directe – cela sabote leur campagne informationnelle... [...] ici cela se passe dans l’imagination. À l’ère de l’information, l’imagination l’emporte sur la réalité. »

Même chose pour le “plan” évidemment pourri de l’UE, qu’il s’agira de jeter à la poubelle sans autre forme de procès une fois qu’on en aura récupéré la “substantifique moelle”. En, effet, pour qu’il ait quelque chance d’être seulement être lu par un quelconque destinataire russe et donc apparaître comme une initiative sérieuse d’une Europe si anxieuse d’être à nouveau prise au sérieux au milieu de l’incroyable fouillis de bourdes et de sottises dont elle nous a abreuvés, il faut que cette Europe affirme certaines vérités-de-situation qu’elle avait mises à la poubelle. Elle a donc fouillé dans la poubelle, – vieille habitude, je les connais bien ces SDF bruxellois de la diplomatie, – elle a récupéré les choses en question et les réinstallées dans la réalité. C’est un cadeau “forcé” fait aux Russes, qui poursuivent leur offensive sur le terrain, là-bas, en Ukraine.