Vacance du pouvoir

Les Carnets de Badia Benjelloun

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Vacance du pouvoir

Les rats quittent le navire

Une vague de démissions de dirigeants de grandes firmes étasuniennes a eu lieu au cours de  l’année 2019, le total cumulé dépasse le nombre de départs pendant la crise de 2007-2009. 1480 PDG ont quitté leurs postes et ont liquidé leurs stock-options préalablement, exode joué sur le mode ‘Prends l’oseille et tire-toi’.  On peut citer parmi les navires abandonnés par les « rats », Boeing, Alphabet, Gap, McDonald’s, Wells Fargo, HP, Kraft Heinz. Ainsi, ces directeurs d’entreprises ont gagné des salaires mirobolants à piloter des entités économiques dont les budgets excédaient parfois ceux d’un Etat et ne seront pas comptables devant les actionnaires et les salariés de leur gestion alors qu’ils voient poindre de leur poste les prémisses d’un ouragan.

Cet exode montre qu’ils ont anticipé (de peu) la fin de la bulle des marchés boursiers alimentés follement par une Fed coopérante avec la volonté de masquer la récession en cours. Nul besoin  du verdict de Goldman Sachs, annoncé à la mi-mars 2020, pour comprendre que la ‘croissance’ était à l’arrêt, les taux pour les PIB en 2019 étaient déjà proches de zéro. 

Le  Wall Street Journal note que des dirigeants de sociétés cotées en bourse ont vendu entre début février et mi-mars pour 9,2 milliards d’actions de leurs propres entreprises, contribuant à accélérer la chute de l’indice S&P 500. Mais à cette date, l’extension de la pandémie du Sars-Cov-19 n’était plus un simple risque et se confirmait. Début janvier, s’était tenue une réunion du Comité du Sénat à laquelle participaient les directions du CDC* et l’Institut National des Allergies et des Maladies Infectieuses. S’y sont échangées des informations qui rendaient consistante l’arrivée de l’épidémie Covid-19 aux Usa. La sénatrice  Loeffler, épouse du directeur  de la bourse de New York, y a participé et en a retiré profit. Elle a vendu pour près d’un million d’actions et a réinvesti partiellement dans une entreprise de télétravail. Ce délit d’initié manifeste a dû en inspirer plus d’un. Il n’y a pas de petit profit dans le système régi par le profit immédiat sans aucun autre égard.

La coopération à titre gratuit pour sauver des malades n’est pas une vertu civique selon la loi de la propriété intellectuelle. Des médecins d’un hôpital de la ville de Brescia, inondé par les cas graves de Covid-19, avaient lancé un appel pour avoir des  valves pour les respirateurs, introuvables sur le marché. Un fabricant de produits pharmaceutiques apporte rapidement son imprimante 3 D pour en fabriquer sur place. Coût de revient 1 euro.  L’entreprise détentrice du brevet a refusé de partager son dossier de fabrication. La valve fonctionnelle est certes moins durable mais est  dix mille fois moins onéreuse que l’originale. Dans les circonstances de crise sanitaire mondiale, il reviendrait aux gouvernements de se saisir des capacités de production, y compris du secteur privé, pour assurer la sécurité sanitaire du pays. Cela remettrait en question le caractère sacré de la propriété privée des moyens de production qu’il faut réquisitionner et nationaliser pour un euro symbolique, comme cela a été fait dans beaucoup de pays après 1945.

L’agence du médicament en France n’est pas capable (ne prend pas les moyens) de faire cesser des anomalies portant sur les prix aberrants, trop élevés, de certains dispositifs médicaux, payés par l’effort collectif de la Sécurité Sociale. La déconnexion entre les décideurs et les payeurs s’est faite au travers des diverses réformes qui ont dénaturé le contrôle social au profit d’une gestion technocratique non soucieuse du bien commun. 

La FDA vient d’attribuer à la molécule antivirale remdesivir, actuellement testée pour son éventuelle efficacité contre le Covid-19, le statut de  médicament orphelin. Cette qualification accordée quand la pathologie concernée n’affecte que moins de 200 000 patients. Elle procure à la firme pharmaceutique un certain nombre d’avantages. Prix libre non contrôlé, subventions et exonération fiscale et protection contre le risque de passer en générique pendant 7 ans. Le PDG de Gilead fait partie de l’équipe qui conseille Trump sur la pandémie actuelle.

La tragédie des banques centrales

Cette démission des CEO est en effet bien anticipatrice de la récession, mot tabou des économistes qui gravitent autour de la Fed et de la Banque Mondiale, comme si ne pas évoquer le tsunami en préparation à l’horizon empêcherait de se noyer à son arrivée certaine. On ne saurait s’étonner que les ingénieurs de l’industrie financière (ça ose porter ce nom) ne soient pas en mesure de percevoir les failles gigantesques de leurs constructions toxiques, ils en sont les auteurs. Aucune économie ne peut fonctionner durablement en ayant des dettes N fois supérieures à son PIB. 

Le mécanisme mystérieux duquel dépend la bonne santé apparente des Usa est la dette, comme beaucoup d’autres pays.  Il n’y a qu’en Europe que l’Allemagne a restreint, maintenant de moins en moins, l’accès des pays membres de l’UE au guichet de la BCE. Les entreprises, elles, ont des crédits illimités.

La Chine y recourt abondamment. Estimée à près de  40 000 milliards de dollars, la dette chinoise, constituée surtout de la dette des entreprises, représente 15% de l’endettement de la planète. Les Usa ne sont pas en reste. Ils cumulent une dette fédérale de 22 000 milliards de dollars (l’équivalent du PIB), sont exclues de ce chiffre  les dettes des États et des collectivités locales, avec une dette des entreprises de  15 000 milliards de dollars. 

Fin décembre 2019, le montant de la dette globale des entreprises de par le monde s’élevait à près de  250 000 milliards de dollars, soit trois fois la valeur de la production mondiale. Dix ans après la crise des sub-primes, la dette des entreprises  non financières a doublé grâce au marché des obligations d’entreprises, favorable au développement économique mais présentant de grandes vulnérabilités, en raison de la faible qualités des emprunteurs et l’intervention de spéculateurs.

Le  programme d’achat par la BCE de 120 milliards d’euros de dette par mois vise les obligations d’États (la Grèce est incluse cette fois) et d’entreprises. Il s’étendra jusqu’à la fin de l’année et peut-être au-delà. Il a la prétention de parer aux fragilités des entreprises noyées par de l’argent avec lequel elles ont soit spéculé soit fait de mauvais investissements. Il est probable que les premières à être servies seront les firmes financières dont la nocivité sociale n’est plus à démontrer.

 Le programme de sauvetage de la Fed qui  fait appel à BlackRock pour mettre en œuvre les rachats pour 2000 milliards dans le marché des crédits. On essaie d’empêcher l’écroulement d’un monstre en faisant rajouter sur sa structure par l’un des constructeurs de la crise les éléments mêmes à l’origine de la possible défaillance. La Fed intervenait déjà depuis septembre et la crise des « repo » avec des injections parfois quotidiennes de 75 milliards par jour. Cette intervention en septembre a été interprétée par les  officiants du système non pas comme une méfiance entre institutions bancaires et financières mais comme la réticence des entreprises à lâcher leur liquidité dans une ambiance de début de récession. Le Clergé libéral a décidé de calmer les esprits en expliquant dans ses oraisons que cela ne ressemblait pas à la crise de 2008.

Rien de bien sérieux ne peut résulter de l’application des recettes déjà éprouvées comme étant de peu de secours face à la lourde pathologie d’un capitalisme en fin de course.

Ne rien voir venir

Les Usa ont donc quitté quelques bases en Irak. Ils s’apprêtent à le faire bientôt en Afghanistan. L’accord du retrait progressif a été signé entre les Usa et un représentant des talibans et non du gouvernement mis au pouvoir par les occupants. Malgré les blocages institutionnels pour la formation d’un gouvernement ‘inclusif’, Pompeo a confirmél’intention de l’administration Trump de mettre fin à cette occupation de 18 ans. La « Guerre contre la Terreur » avait permis de renflouer Haliburton et quelques autres entreprises amies. C’était son but principal. Elle a également mis en place le début d’une privatisation des fonctions régaliennes d’un Etat, armée et renseignement.

A cet égard, le renseignement étasunien, cette somme gargantuesque d’agences de toutes sortes, a été totalement absent pour détecter et prévenir de l’arrivée de l’épidémie du SARS-Cov-19.

La revue  The American Conservative titre sur l’effondrement spectaculaire de ce renseignement. La branche en charge de laz surveillance des menaces biologiques, même ne provenant d’États ni de formations ennemies non étatiques, a été prise en défaut. Tout ce qui a été décidé par l’administration fédérale l’a été selon les informations données par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le National Center for Medical Intelligenceaurait dû enquêter sur la situation sanitaire du pays et de la zone où avaient été envoyés 300 militaires étasuniens qui participaient à un concours sportif international militaire à Wuhan. Les soldats auraient dû à leur retour avoir un suivi médical et biologique, comme l’exige une routine de sécurité. Or cette agence avait été capable de déclarer en 2009 un risque pandémique pour la grippe H1N1 deux mois avant l’OMS et le CDC (*).

L’inertie de cette agence est à rapporter plus à une perte de compétences qu’à une négligence volontaire des membres de l’Agence. L’une des raisons envisageables en est la fuite des ‘ressources humaines’ vers le privé, plus lucratif. La revue de la littérature scientifique autour du Covid-19 a montré par exemple qu’il existe en France une firme privée d’épidémiologistes à Lyon, chose impensable il y a peu car cette discipline plus qu’aucune autre relève de la Santé publique.

Actuellement, tout le comportement du gouvernement français transpire une communication maladroite d’incompétents notoires, surpris que le verbiage de son Président ‘en même temps’ ne soit plus convaincant, même auprès de son électorat. Il ne peut plus l’être car il ne s’agit plus d’habiller de discours, de 49-3, de répression policière et judiciaire des lois en faveur de ce que l’on appelle communément les 0,1%. La courbe des patients infectés, malades avérés donc testés, montre une pente verticale. On risque de voir d’ici peu des urgences débordées, les patients allongés dans les couloirs. Parce qu’il y a eu accumulation d’opérations de brigandage sur le secteur de la santé publique dont Macron n’est pas le seul responsable mais un successeur zélé. Mais surtout parce que son équipe très préoccupée de discuter de Youporn et lui-même n’ont pas su gérer l’épidémie qui venait et ont tardé à mettre en place le premier moyen de lutte, le confinement. La désindustrialisation et l’incompétence ont fait le reste. Mais surtout, l’absence totale d’une volonté déterminée à mettre en chantier le sauvetage d’une population et de ses soignants en détresse par manque d’outils diagnostiques, thérapeutiques et humains. 

Vacance du pouvoir

Il est significatif qu’aucun plan d’urgence à l’échelle nationale et régionale n’ait été mis en place pour recruter des volontaires médicaux et paramédicaux. Le Ministère de la Santé pouvait faire appel aux Conseils de l’Ordre des médecins et des infirmiers pour recenser et organiser la distribution des troupes disponibles avant que la France ne soit noyée par le nombre des malades. Ce n’est le jeudi 26 mars que des médecins ont reçu une adresse de l’APHP pour présenter leurs compétences par l’intermédiaire d’une association locale de formation continue !!!  Ils semblent sidérés et ne se montrent en aucun cas à la hauteur de leur tâche. 

Il y a une pénurie mondiale du matériau pour fabriquer les masques répondant aux normes FFP2. La France s’est désindustrialisée des secteurs civils et socialement utiles pour se spécialiser dans le tourisme, le luxe et l’armement. Là aussi le processus a été long, l’Allemagne a gardé un rôle prééminent de production de machines-outils et dans la chimie, ce qui lui a permis d’avoir ce statut d’exportateur net au sein de l’UE. Le rêve du 3èmeReich en somme enfin réalisé. Mais on peut imputer à l’apathie d’un faux chef de guerre, toujours bien serré dans ses costards de luxe, de ne pas mobiliser tout ce qui est possible de mettre en œuvre pour pallier aux manques dans ce désastre sanitaire à venir. 

Comment enfin en vouloir à un système qui a fait régresser une souveraineté nationale à une petite province de l’ordre financier mondialisé ?

On l’a vu.

En 2005, en 2015, en 2018, il n’a plus que les pouvoirs de police. Même pas l’armée passée sous commandement de l’OTAN.

Nous vivons une vraie vacance de pouvoir.

Maintenant que trop de gueux n’ont plus rien à perdre, ils le perdront.

Note

(*) Center for Disease Control and Prevention.

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