USS Gerald R. Ford & F-35C : les amours contrariées

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USS Gerald R. Ford & F-35C : les amours contrariées

L’US Navy se trouve face à une fronde en devenir, de la part du Congrès, à propos de la situation et des prix de la nouvelle classe de porte-avions USS Gerald R. Ford. Une sous-commission de la Chambre des Représentants a modifié le projet de loi pour l’année fiscale 2020, en incluant une clause d’interdiction de livraison à l’US Navy de la prochaine unité de la classe (le CVN-79) tant que cette unité n’aura pas la capacité de déployer des chasseurs embarqués F-35C, – la version aéronavale du JSF.

L’explication de cette étonnante situation est à déméler de l’imbroglio comptables dans lequel se trouve plongée l’US Navy du fait des exigences de contrôle des prix et de réduction des coûts de la part des législateurs ; et du fait des coûts et des surprises que lui réservent les technologies nouvelles emportées par les excès extraordinaires du technologisme en bout de course. 

Selon SouthFront du 7 juin 2019, qui tente de nous conduire dans le labyrinthe : « Le sous-comité des forces de projection et de puissance aéronavale, dépendant de la Commission des Forces armées de la Chambre des Représentants, a inclus dans sa Loi de programmation pour le budget du Pentagone pour l’année fiscale 2020 l’interdiction pour la Navy d'accepter la livraison de son prochain porte-avions de classe Ford, le USS John F. Kennedy (CVN-79) tant que cette unité sera incapable de déployer le F-35C Lightning II, – selon un membre du comité dont les propos sont rapportés par le site du U.S. Naval Institute [USNI] [...] 
» Cette exigence est très difficile à satisfaire du fait que le sous-comité exige également une réduction des coûts de construction du CVN-79 et de l’unité suivante de la classe, le CVN-80 USS Enterprise. 
» La source de USNI explique que les limites exigées du coût des unités conduisent la Navy à accepter des porte-avions inachevés, se réservant d’ajouter et de payer plus tard les capacités retardées, dont certaines sont essentielles
.
» “Le CVN-79 ne pourra pas être déployé avec des F-35 lorsqu'il sera livré à la Navy en conséquence directe de ce plafond de coûts. Ainsi, lorsque le plafond des coûts a été imposé, la Navy a renoncé à cette capacité pour la livraison et a choisi de l'intégrer ultérieurement”, a poursuivi la source. “Il est inacceptable pour les membres de la sous-commission que les nouveaux porte-avions ne puissent pas être déployés avec leurs nouveaux avions.”
» La même source précise qu’il n’y a guère de sens à retarder l’installation de certaines capacités pour respecter les plafonds de dépenses puisque leur coût, une fois le navire mis en service, augmentera rétroactivement de façon considérable le prix du porte-avions... »

Le système actuel explique en partie les retards considérables des unités de la nouvelle classe de porte-avions, puisque certaines des capacités manquantes sont justement intégrés dans la période dite de “disponibilité post-démarrage” (PSA). Pour certaines d'entre ces “certaines capacités”, on attend même le premier entretien du porte-avions après un premier déploiement opérationnel, ce qui faut qu’effectivement les porte-avions seraient effectivement présentés comme “opérationnels” alors qu’ils n’auraient pas toutes leurs capacités

D’autre part et bien entendu, il n’y a aucune assurance que les capacités à installer plus tardivement sur les porte-avions livrés à la Navy fonctionnent parfaitement, et c’est même le plus souvent le contraire puisqu’elles sont en général nouvelles et donc affectées des tares grandissantes d’intégration et de coordination des systèmes technologiques avancées. Le USS Gerald R. Ford a énormément de problèmes avec ses ascenseurs, et l’article tente de faire un point le plus précis possible, – tâche extrêmement difficile, – sur cette question... 

« Le chef de l'acquisition de la Navy, James Geurts, a déclaré que le USS Gerald R. Ford n’aurait pas tous ses ascenseurs d'armement avancés en état de marche lorsque le navire achèvera sa PSA en octobre : “Nous travaillons actuellement avec la flotte sur les ascenseurs dont nous avons besoin pour qu'ils puissent exercer toutes les fonctions en octobre, et pour tout travail qui n'est pas effectué, sur la façon dont nous allons pouvoir établir un calendrier”.
» Sur le USS Gerald R. Ford, qui a été accepté par la Navy il y a deux ans, seulement deux de ses 11 ascenseurs d'armes fonctionnent. On ignore quand tous les ascenseurs seront certifiés pour une utilisation régulière. La Navy prévoit maintenant la construction d’une installation d'essai terrestre pour les ascenseurs, mais elle ne sera opérationnelle qu'en 2020.
» Les ascenseurs sont absolument essentiels à la capacité de combat du navire. En janvier 2019, le secrétaire à la Marine Richard Spencer avait déclaré que le président américain Donald Trump devrait le congédier si le problème des ascenseurs n'était pas résolu d'ici la fin de l'été
» Les problèmes les plus probables de l'USS John F. Kennedy sont le système de lancement électromagnétique de l'avion (EMALS) et l'engrenage d'arrêt avancé (AAG). Ces systèmes électriques et à commande électronique sont censés donner à la Classe Ford plus de contrôle sur les aspects les plus fins du processus de lancement et de récupération. La Navy affirme que cela améliorera les taux de génération de sorties, réduira l'usure des avions et augmentera la fiabilité et la sécurité à tous les niveaux. »

L’article se termine bien entendu par l’observation assez pathétiquement prévisible et plutôt écrite d’une plume épuisée qu’« il ne s’agit pas des seules difficultés que rencontre le USS Gerald R. Ford », – ni des seules qui guettent les autres porte-avions de sa classe, CVN-79 et CVN-80 ; bien entendu, on l’aura deviné... De même que l’on comprend bien de quelle étrange situation il s’agit lorsqu’on parle d’une capacité réclamée de déploiement d’un avion embarqué puisqu’on parle du F-35 dont on sait par ailleurs, et avec tous les détails possibles, qu’il ne remplit absolument pas toutes les fonctions et capacités opérationnelles promises. On se trouve devant une sorte de variation du classique “mariage de la carpe et du lapin”, avec une carpe qui n’a pas de nageoires et un lapin atteint de myxomatose, ou bien pour une référence plus postmoderne, entre un homosexuel d’un genre indéfini et un transgenre en pleine évolution.

Là-dessus, la comptabilité fait des ravages, et tous les aspects possibles de la crise du Pentagone sont mis en lumière. Les exigences du Congrès (coût du porte-avions à prix fixe, plafond de dépense, etc.) sont aussi vieilles que les frasques du Pentagone, mais elles suscitent aujourd’hui des situations rocambolesques. Pour échapper à ses obligations, la Navy déclare opérationnels des navires qui ne le sont aucunement, de la même façon que les trois services ont fait avec les trois versions du JSF. Le fait est en lui-même extraordinaire, mais il devient complètement extraterrestre lorsqu’on réalise bien évidemment qu’il n’y a aucune garantie de bon fonctionnement des “capacités à installer” après la mise en opération des porte-avions, comme on le voit avec les ascenseurs du USS Gerald R. Ford. Là aussi, même situation que pour les JSF en “service opérationnel”, qui sont renvoyés à l’usine pour des mises au point ou des mises à niveau, avec les coûts qui vont avec, ou bien tout simplement déclassés et réservés à l’entraînement basique des pilotes. On risque donc de se diriger vers des porte-avions de la classeUSS Gerald S. Ford opérationnels aux 4/5ème, aux trois-quarts, aux deux-tiers, – capables de transporter des marins mais pas d’avions, ou des avions sans leurs pilotes, ou avec un gouvernail en moins et deux hélices manquantes, et ainsi de suite jusqu’à la reddition sans condition des mollahs...

Comme on le voit, il s’agit bel et bien d’une situation technologique générale qui devrait peu à peu (ou plutôt, très rapidement) infecter tous les systèmes des armées postmodernes, spécialement et particulièrement celles des USA. Les conflits entre les budgets, les exigences financières, les coûts des technologies, les capacités de fonctionnement des technologies de plus en plus complexes, les exigences des bureaucraties et celles des législateurs, tout cela tirant dans tous sens jusqu’à la paralysie multipliée par l’impuissance et le tout étalé dans des amputations et des cannibalisations... Bref, un des aspects les plus excitants de la Grande Crise d’Effondrement du Système.

 

Mis en ligne le 7 juin 2019 à 19H05