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191314 février 2006 — Le texte du professeur Brahma Chellaney, professeur d’étude stratégique au Center for Policy Research de la Nouvelle Delhi, publié dans The International Herald Tribune du 13 février est intéressant et significatif. Il signale une étape importante dans le “partenariat stratégique” annoncé à grand fracas il y a onze mois, lorsque les USA dévoilèrent leurs plans pour “faire de l’Inde une super-puissance”.
(Nous mentionnions dans notre F&C du 26 mars 2005 cette tonitruante et stupéfiante indication venue du côté US : « US unveils plans to make India “major world power” ». Nous pensions qu’une certaine sagesse indienne allait pousser l’Inde à observer une prudence certaine devant ces propositions, et nous en voyions le signe dans le resserrement parallèle des liens avec Pékin. C’était peut-être penser un peu vite.)
Brahma Chellaney expose une insatisfaction grandissante, du côté indien, devant l’attitude US sur le plan de la coopération nucléaire. Il avance même la possibilité d’une discrète désagrégation du processus : « With international attention focused on Iran's renegade nuclear program, a much-trumpeted nuclear deal that was to showcase the emerging global strategic partnership between the United States and India has begun to unravel virtually unnoticed. Unless the United States rolls back its demands, it is almost certain that no formal nuclear agreement will be ready for signature when President George W. Bush arrives in New Delhi on March 1. A barren U.S. presidential visit would ensure a slow death for the accord. »
Les causes de cette déségrégation, selon Chellaney, sont évidentes. Elles tiennent à l’attitude des USA dans le domaine essentiel de l’accord stratégique entre les deux nations : la coopération nucléaire. Du point de vue politique, le problème est exposé de cette façon : « That accord represented a statement of intent to promote civil nuclear-energy cooperation. Since it was announced last July, intense negotiations on a formal agreement have run into major hurdles over U.S. efforts to shift the goalpost, triggering an Indian backlash. The present and former chiefs of the Indian nuclear program have vented their fury in public against the U.S. negotiating goals.
» The concern in Washington over the July deal coming loose has found expression in contradictory ways - first an undiplomatic outburst by the U.S. ambassador to India that resulted in him being summoned to the Indian foreign office for an admonition, and then the dangling of a new carrot.
» To salvage the deal, the Bush administration is offering to include India in its proposed global energy partnership program that is to supply countries with reactor fuel and take back the spent fuel afterward to prevent its use weaponry. The dubious plan is to rely on a technology that at present remains prone to catching fire and is not cost-effective. The U.S. Congress, moreover, is unlikely to change the law to allow the dumping of foreign-generated nuclear waste. »
Suivent quelques précisions techniques sur les négociations, les exigences des uns et des autres. Une chose apparaît clairement : la volonté de Washington de contrôler, directement ou indirectement (par le biais du contrôle international pour ce deuxième cas) les éléments d’expansion et de modernisation nucléaire qui seraient transférés à l’Inde. L’affaire est d’un classicisme américaniste pur et dur : la bataille enragée de Washington contre tout ce qui est souveraineté chez les autres (c’est-à-dire, d’un point de vue pratique, l’autonomie du programme nucléaire indien). Les artifices habituels sont employés, notamment la plus grosse et la plus inusable des ficelles : une acceptation conditionnelle du pouvoir exécutif américaniste sur tel point, avec la condition éminemment démocratique de l’approbation du Congrès, — et l’on sait comment finit la chanson.
D’une façon générale, on retrouve l’habituelle philosophie américaniste : partie dans un accord, Washington veut également s’en instituer le juge. « While the accord merely states that India will begin “identifying and separating civilian and military nuclear facilities and programs in a phased manner,” Washington has added specific conditionality — that such a separation plan be “credible,” “transparent” and “defensible.” Put simply, America has set itself up as the arbiter to whom India is answerable. In contrast, Prime Minister Manmohan Singh has assured India's Parliament that, “It will be an autonomous Indian decision as to what is ‘civilian’ and what is ‘military.’” »
Pour résumer cette situation stratégique, on fera quelques observations.
• Au départ, l’intention de Washington est tactique, ce qui fut d’ailleurs dit sans ambages. Le 4 avril 2005, l’hebdomadaire Defense News résumait effectivement la chose : « The administration of U.S. President George W. Bush wants a regional counterweight to China’s rising influence and a strategic partner in economic growth, fighting terrorism, and spreading democracy. » L’emploi du mot “stratégique” (“strategic partner”) est trompeur. Il ne s’agit que d’un qualificatif : il s’agit pour Washington d’assigner à l’Inde une place dans une stratégie générale. Cela ne rend pas stratégique le partenariat avec l’Inde, ce qui eut impliqué une démarche fondamentale. C’est une manœuvre tactique à l’intérieur d’une stratégie générale.
• Au reste, Washington est incapable d’avoir un partenariat qui reconnaisse au partenaire une existence stratégique fondamentale. Cela implique la reconnaissance de la souveraineté du partenaire. Tout montre qu’il n’en est rien, de façon très significative comme l’expose Chellaney. Il ne peut être autrement que “n’en être rien”, pour la raison impérative que l’américanisme ignore ce qu’est la souveraineté, pour lui-même d’abord. L’américanisme se caractérise par l’absence d’une dimension transcendantale, avec l’absence de racines historiques et l’absence complète d’une notion régalienne de “bien public” qui, seule, exprime une souveraineté. Dans ses rapports avec les autres, l’américanisme ne peut être que négateur et destructeur de la (leur) souveraineté.
• Restent les rapports de force et les finasseries bureaucratiques et juridiques (l’arme de l’accord du Congrès). Dans ce cas, tout accord de quelque ambition, dépassant le simple cadre de l’immédiateté et de la matière existante, tout accord impliquant un “esprit” est condamné d’avance. C’est le cas avec l’Inde.
• Bien sûr, la matière (le nucléaire) dramatise la chose mais elle n’en change pas la substance. On aurait tort d’avancer que cet accord est impossible parce que les USA ne céderont pas sur une matière (le nucléaire) centrale à leur souveraineté, — puisqu’ils n’ont pas de souveraineté. Le désaccord a été accéléré par la matière (le nucléaire) parce que cette matière est effectivement centrale à la souveraineté indienne, — qui existe, celle-là. On en est ainsi venu plus rapidement au cœur du sujet, qui est l’attaque US contre la souveraineté indienne.
Chellaney termine par ce message aux Américains avant la visite de GW Bush : « America's goalpost-shifting approach shows it will accept India at most as a second-class nuclear power. India is unlikely to countenance that. The only way the deadlock can be broken is through political intervention at the highest level. And by a return to the principles enshrined in last July's accord. »
Chellaney peut toujours espérer (ou préparer l’explication de l’échec). L’Inde n’obtiendra rien de ce qui est fondamental pour elle. Elle pliera (ce qui nous semble bien improbable) ou l’accord historique USA-Inde rejoindra le cimetière des grandes pantomimes virtualistes de l’administration actuellement en place à Washington.