Une vision africaine de Ukrisis

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Une vision africaine de Ukrisis

14 mars 2022 (14H40) – J’ai retrouvé, de-ci de-là, soit RT.com, soit RT-France, idem pour Spoutnik, tout cela avec mes vœux adressées à madame van der Leyen, qui est incontestablement notre représentante légitime et démocratiquement élue préposée à la réglementation de ce que je peux lire et de ce que je ne dois pas lire. Je dois avouer que la Reine-Mère des Commissaires européens, façon ‘Politburo’, commence à embarrasser mon langage, pour lui trouver des épithètes adéquats qui ne soient pas un peu trop lestes.

Passons outre, camarade, et passons au principal.

... Cela se lit donc sur RT-France qui existe toujours et fort bien, retrouvé à la date du 8 mars, – j’indique le lien mais vous trouvez cette affaire à d’autres sources si celle-ci est trop aveuglée pour vous. Quoi qu’il en soit, voici la chose, qui est une interview du plus grand intérêt, de Kémi Sebra, personnage comme on dit “sulfureux”, – avec ceci, de son Wiki, avec bien d’autres indications dans le reste de sa page, plus polémistes les unes que les autres (‘Nation of Islam’, suprémaciste noir, antisémite, antisioniste, antiblanc, racialiste, – des tonnes et des tonnes...) :

« Kémi Séba, de son vrai nom Stellio (Stélio) Gilles Robert Capo Chichi, né le 9 décembre 1981 à Strasbourg, est un activiste anticolonialiste, et chroniqueur politique de télévision en Afrique. Chef d'entreprise, et essayiste franco-béninois, il est une figure du radicalisme noir et du panafricanisme contemporain... »

Quant à l’interview de RT-France, en voici l’essentiel :

« Au cours d'une interview le 8 mars, Kémi Séba a condamné, sur le sujet de l'offensive russe en Ukraine, “le traitement de l'information émanant des médias de l’Occident” car ceux-ci présenteraient “la réaction de la Russie comme la totalité de l'histoire [de la narrative].

» “Or, la Russie réagit à quelque chose”, affirme l’activiste panafricaniste. Assurant qu’il reprend l’analyse “d’une grande partie de la jeunesse africaine”, il affirme que “l’Ukraine a été instrumentalisée depuis trop d’années par l’oligarchie occidentale, par l'OTAN, par l’élite américaine, par l’oligarchie globaliste néolibérale pour justement être une arme de menaces et de pression vis-à-vis de la Russie”.

» “Il y a un certain nombre d'accords qui avaient été passés, l’OTAN n'aurait jamais dû étendre son influence jusqu'à une zone si proche de la Russie”, dit Kémi Séba, qui a constaté que l’OTAN avait envoyé “des formateurs canadiens [...] pour commencer à former les forces militaires ukrainiennes”.

» “Dire que le président Poutine est l'agresseur, c’est de la désinformation, du mensonge médiatique”, appuie-t-il. “Les dommages dramatiques collatéraux – parce que j'ai mal quand je les vois, quand je pense à ces derniers – c’est la population ukrainienne”, déplore Kémi Séba. “Et j’ai encore plus mal quand je vois la population africaine qui vivait en Ukraine, qui est discriminée”, ajoute-t-il.

» Interrogé sur les conséquences du conflit en Ukraine et notamment “l'équilibre des pouvoirs dans le monde”, Kemi Seba a estimé que face au “globalisme” défendu selon lui par les pays occidentaux, un nouveau courant est apparu, celui “du souverainisme traditionaliste” qui serait dans une logique de “solidarisme des peuples”.

» “Si la Russie gagne cette guerre, [cette réalité] peut prendre encore plus de valeur et d'ampleur [et] c'est ce que nous, nous faisons sur le continent africain [...] dans la résistance contre le colonialisme, l'impérialisme sur toutes ses formes et si la Russie réussit cela, elle pourra en être une garante parmi d’autres”, argumente-t-il.

» Revenant ensuite sur son “combat” panafricaniste, il se considère comme un résistant “contre les différentes forces qui ont voulu diaboliser, déstructurer, déconstruire et spolier notre continent [l'Afrique]”. “Nous nous sentons près et proches de toute entité qui s'inscrit dans la logique de résister pour son identité”, poursuit-il, comparant le panafricanisme à une “idéologie révolutionnaire”. »

Vous comprenez qu’il y a dans ces paroles, certaines qui me paraissent plus importantes que les autres. Il y a bien entendu une vision que je qualifierais, moi, d’antiSystème dans son analyse du conflit, à partir du constat général que le péché originel vient évidemment de la tromperie de 1991-1994 concernant l’élargissement de l’OTAN. Certains critiques, dans le bloc-BAO, insistent à juste raison sur ce fait qu’ils qualifient d’“erreur historique”.

C’est au moins cela, mais peut-être y a-t-il plus, lorsqu’on constate que cette “erreur”, comme d’autres qui ont suivi à partir de cette origine, va dans le sens d’une pression et d’une contrainte menaçante en constante augmentation sur les frontières de la Russie ; une “erreur“ à ce point, poursuivie pendant quasiment trente ans, on pourrait finir par croire que c’est un “calcul” tactique qui conduit à la somme stratégique que vous pouvez imaginer. C’est ce qu’a fait Poutine, – imaginer, dans le chef de la prospective stratégique ; à cet égard, il est plutôt celui qui a perdu patience parce qu’il jugeait cette “erreur” devenue un risque insupportable, que celui qui a perdu l’esprit pour sombrer dans la folie, – comme nous disent nos stratèges-sur-plateauTV qui s’instituent psychiatres pour sauvegarder la civilisation.

Mais là-dessus, je vois d’autres paroles, surmontant l’analyse de Séba, qui me paraissent du plus grand intérêt. Elles sont dans ces deux extraits que je rapproche, parce qu’elles fixent bien le jugement dans le désordre du monde-devenu-fou, où un révolutionnaire de l'extrême-gauche (étiquette-Système en solde) fabrique avec quel ironique bonheur le mariage du souverainisme et la Tradition.

« [F]ace au “globalisme” défendu selon lui par les pays occidentaux, un nouveau courant est apparu, celui “du souverainisme traditionaliste” qui serait dans une logique de “solidarisme des peuples”... [...] “Nous nous sentons près et proches de toute entité qui s'inscrit dans la logique de résister pour son identité”, poursuit-il, comparant le panafricanisme à une “idéologie révolutionnaire”. »

On comprend bien entendu que cette idée, cette notion de « souverainisme traditionaliste » est quelque chose qui doit parler à la fois de Poutine et à Poutine. Il rejoint nombre de remarques qu’on a faites, et que d’autres ont faites à propos du Russe.

L’important dans cette occurrence et selon ce jugement de Séba, c’est que notre ‘Ukrisis’ est sortie de son contexte pseudo-géopolitique (expansionnisme russe) ; de son axe Est-Ouest façon Guerre Froide recommencée ; de son simulacre idéologique peinturlurée de l’arc-en-ciel de nos vertus ; de sa latitude moralinesque dont le champ matriciel est le bloc-BAO dans sa situation transatlantique, croisière de luxe du type “anglosphère” exsudant le suprémacisme anglo-saxon. La ‘Ukrisis’ devient absolument un événement de son temps catastrophique, un événement pas si fou de ces temps-devenus-fous, se révoltant contre cette folie, exprimant complètement la Grande Crise.

Or, il se trouve que Séba n’est pas un isolé, dans le sentiment qu’il exprime. On retrouve ici et là et de plus en plus, du Mexique à l’Inde, de la Chine à l’Iran, cette sorte de jugement sur ‘Ukrisis’, absolument remise dans son contexte métahistorique. Il est très intéressant de constater que ce courant, – dont on pourrait juger qu’il s’est exprimé, si les décomptes sont faits pour ce qu’ils sont et ce qu’ils disent, lors du vote de l’Assemblée Générale de l’ONU – ne faiblit pas sous les coups de l’extraordinaire offensive de communication du bloc, et des pressions qui vont avec, mais qu’au contraire il grandit selon ma perception et s’affirme tel qu’on peut le percevoir.

C’est de loin l’aspect de l’événement le plus intéressant, le plus formidablement puissant potentiellement, parce qu’il est à la fois force et forme, qu’il n’est en rien une création de la communication comme instrument de torture postmoderne, en rien un simulacre. Je puis assurer les dieux que l’on reviendra très vite dans ces colonnes de notre site sur cet aspect de la chose, que l’on s’attachera à présenter de façon à la fois plus précise et plus conceptuelle. Car c’est bien là que nous est donnée l’occasion de sortir de la caverne de Platon.

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