Une stratégie-barrière contre l’Ennemi...

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Une stratégie-barrière contre l’Ennemi...

Nous pouvons désormais le clamer : l’affaire USS Theodore Roosevelt/capitaine de vaisseau Crozier est devenue une véritable, une très-grande crise, et une crise pour le Pentagone (Moby Dick) dans sa totalité. Il y a une remarquable unanimité des armes, au travers de l’intervention de divers chefs dont certains qui ne sont pas de l’US Navy, allant dans ce sens. Il faut mettre en évidence ce phénomène pour prendre la mesure de la chose : tout le monde, au Pentagone, dans les forces armées, se sent concerné par l’affaire USS Theodore Roosevelt/capitaine de vaisseau Crozier.

Normalement, selon les habitudes bureaucratiques et les jalousies et concurrences exécrables existant entre les armes, on aurait laissé la Navy se débattre seule dans cette affaire, allant même jusqu’à la critiquer pour espérer un meilleur budget aux dépens des marins. Ce n’est absolument pas le cas, puisqu’on entend un général de l’USAF (John Hyten), qui plus est adjoint du président du comité des chefs d’état-major, le général Milley de l’US Army (lui-même papotant de son côté), parler avec force détails de la menace qui pèse sur les porte-avions de l’US Navy (“mais pas que...”, poursuivrait-on selon la gouaille des salons). 

Il s’agit désormais d’une crise générale pour le Pentagone dans le chef de ses quatre services armées, et le nouvel ennemi identifié est parfaitement connu : Codiv-19... Il leur fait tellement peur que l’on voit une autre attitude absolument inédite pour les forces armées US qui nous ont tant habitué à la puissance offensive et à l’agressivité de leur projection de forces. Elles songent, pour affronter cet ennemi, à effectuer un “repli tactique” sinon bel et bien une stratégie de repli général ; c’est-à-dire qu’on évoque indirectement la possibilité de déployer moins de forces, moins loin de leurs bases-arrière « Nous avons trop de navires en mer », dit Hyten)... C’est comme une sorte de stratégie-barrière.

Voici donc  quelques nouvelles  sur le front de cette situation de tension inédite, où l’ennemi est si petit, mais si traître, si insaisissable, si invisible que toutes les bombes du monde n’y pourront rien, ou bien n’arriveront à lui qu’après avoir exterminé toute l’espèce humaine (cela pourrait en séduire certains chez Moby Dick)... On remarquera dans tous les cas dans ces extraits la profusion de chefs de divers services, actifs ou retraités mais toujours vigilants, ce qui exprime bien le caractère général de la crise... Le USS Theodore Rooseveltet le capitaine de vaisseau Crozier ont levé un fameux lièvre, car sans aucun douter le retentissement de cette affaire dans le système de la communication est pour une large part dans l’effort de mobilisation de tout ce qu’il y a d’étoilé au Pentagone.

« Les dirigeants du Pentagone prévoient que le coronavirus pourrait frapper davantage de navires de la marine en mer...[...]
» Le général John Hyten, vice-président de l’état-major interarmes, a déclaré qu'un membre de l'équipage du USS Theodore Roosevelt a été hospitalisé jeudi aux soins intensifs à Guam, où le porte-avions est à quai depuis plus d'une semaine. 416 membres d'équipage sont maintenant infectés et 1 164 résultats de tests sont en attente.
» “Ce n’est pas une bonne idée de penser que le ‘TR’ est un cas unique”, a déclaré Hyten lors d'une conférence de presse. “Nous avons trop de navires en mer. ... Penser que cela ne se reproduira plus n’est pas une bonne façon de planifier.”
» Le chef d’état-major de la Marine (CNO), quant à lui, a déclaré que le plus gros problème est l'incapacité à tester rapidement un nombre suffisant de personnes, y compris celles à bord du USS Nimitz, le prochain porte-avions à devoir être déployé en mer.
» “Le défi que nous avons maintenant, est d'avoir ce type de capacité où nous pouvons tester en volume et en vitesse,” a déclaré l’amiral Mike Gilday à un petit nombre de journalistes jeudi. “Je n’ai pas vraiment une bonne estimation pour l’instant sur la date à laquelle cette capacité d’essai pourrait être disponible dans les quantités que nous aimerions avoir”. [...]
» Amiral à la retraite et ancien commandant en chef de l’OTAN en Europe, James Stavridis, a déclaré qu’il voyait plus de problèmes à venir, et pas seulement pour la marine.
» “Il est clair qu’il y a d’autres cas à venir. Le dernier décompte pour le Roosevelt seul est bien supérieur à 400”, a déclaré Stavridis par e-mail. “La marine et tous les services ont des choix difficiles à faire : retirer des unités des missions opérationnelles pour dépister et soigner les malades ou accepter un certain niveau de pertes dues au coronavirus. Je pense que ce sera une approche au cas par cas, en fonction de la mission de l'unité”.
» Plus largement, le général Hyten a déclaré que l’épidémie à bord du Roosevelt est une illustration du fait que les militaires doivent s’adapter.
» “Ce sera une nouvelle façon de procéder sur laquelle nous devrons nous concentrer”, a-t-il dit, faisant référence au défi que représentent le recrutement, l'entraînement, le déploiement et éventuellement la conduite des combats dans le contexte de la pandémie. “Nous nous adaptons à ce nouveau monde au moment où nous parlons aujourd'hui.”[...]
» Plus tard, lors d’une autre intervention devant la presse, le général Mark Milley, président du comité des chefs d’état-major, a déclaré que malgré l’épidémie à bord du Roosevelt, celui-ci pourrait être remis en statut opérationnel et reprendre du service relativement rapidement si les événements mondiaux l'exigeaient.
» S’exprimant avec Hyten au Pentagone, David Norquist, le secrétaire adjoint à la défense, a déclaré aux journalistes que les responsables de la défense se rendent compte que le coronavirus ne sera pas un problème à court terme dans l'armée.
» “Nous allons devoir changer et nous adapter parce que même dans les mois à venir, le virus ne va pas disparaître”, a déclaré M. Norquist. “Nous allons devoir être capables d'opérer dans un environnement COVID”. »

D’ores et déjà, le CNO, l’amiral Gilday, a précisé qu’effectivement on a déclaré positif au Covid un marin du USS Nimitz, qui doit partir en mission opérationnelle, désormais dans deux semaines après une immobilisation de deux années. “Désormais” dans deux semaines, écrit-on, parce que le départ du porte-avions a été retardé de quinze jours pour placer tout l’équipage en quarantaine préventive ou bien en examen préliminaire on ne sait exactement, après la découverte du seul cas (pour l’instant) de Codiv-19. D’autre part, les rumeurs sur des cas de Codiv-19 à bord du USS Ronald Reagan ne s’apaisent pas, et l’on parle même d’un quatrième porte-avions.

... Le moulin à rumeurs est en marche, et la problématique de l’affaire est que, face à ces rumeurs, les autorités ont une attitude incertaine et fuyante car elles ignorent elles-mêmes si et combien il y a de cas, et dans combien de navires, etc., parce que, comme en toutes choses et comme toutes les autorités dans cette affaire du Covid-19, elle ne sait rien et improvise à mesure que les obstacles et les événements surgissent. Il n’y a rien que le Pentagone ne déteste plus : l’impossibilité de planifier, faire, comme dit Stavridis, du “cas par cas” ; non pas que le Pentagone planifie d’une façon géniale, bien au contraire, mais le passe-temps de la planification ne cesse de renforcer la confiance qu’il a en lui, ce qui fait du dégât pour tout le monde. Par contre, si le Pentagone est devant l’inconnu, le véritable inconnu, impossible à manipuler, à acheter, à corrompre, il devient soudainement frileux, et même il se pourrait qu’il paniquât.

C’est pour cette raison qu’on assiste à ce que nous estimons être un branle-bas de combat, où tout le monde se serre les coudes, où personne ne cherche à étouffer ou simplement à minimiser cette crise. Au contraire, le Pentagone devrait mettre l’accent sur cette crise et sur les difficultés qu’il rencontrera à seulement savoir comment l’affronter. Pour cette raison, il faut prendre très au sérieux la remarque de Hyten, selon laquelle la flotte notamment déploie trop de navires dans des missions opérationnelles, et des missions opérationnelles lointaines. Ce n’est nullement, bien entendu, pour chercher à réduire le rôle de la Navy, mais au contraire pour aider la Navy à échapper à certaines de ses missions qui la contraignent et la mettent parfois en fâcheuse posture.

Ici, d’une façon éclatante, nous rejoignons l’évolution que nous avons à plusieurs reprises envisagée comme probable dans cette crise-Covid19. Le Pentagone va en effet pousser pour la réduction des missions extérieures (comme par exemple les projets contre le Venezuela, jugés comme abracadabrantesques) en même temps qu’il se jugera de plus en plus partie prenante dans la lutte contre le virus puisqu’il en souffre directement ; et sur ces divers points, le Pentagone pourrait rapidement devenir extrêmement critique des missions extérieures qu’on fait jouer aux forces armées, aussi bien que de la façon dont l’administration lutte aux USA même contre l’attaque Covid-19. 

C’est la fameuse remarque sur l’affaiblissement extérieur qui renforce la position intérieure, et éventuellement pousserait les militaires à  s’intéresser de près à l’exercice du pouvoir aux USA...

« C’est un paradoxe que l’affaiblissement stratégique de la puissance militaire stratégique des USA conduise à un renforcement de la position des militaires vis-à-vis du pouvoir civil dans les conditions crisiques générales et extrêmement pressantes que l’on a déjà décrites. Mais il est aisément explicable si l’on prend en compte l’évolution des militaires telle que nous en avons fait l’hypothèse, dans ce passage déjà cité, où l’on voit leur position “intérieure” se renforcer à mesure que décline leur position impériale “extérieure” :
» “Ainsi établissons-nous un rapport inverse à celui que propose Sjursen. La crise-Covid19 oblige le Pentagone à envisager un repli partiel, ou un repli important, devant la menace de voir ses structures de force paralysées par la pandémie. En même temps, ce repli partiel augmente l’intérêt des militaires pour la situation intérieure, pour les structures de luttes contre la pandémie, pour un regard toujours plus critique sur la conduite catastrophique de la caste politicienne dans cette crise. Il s’agit d’un reflux vers une sorte d’isolationnisme de “loi martiale” structurelle, une sorte d’“isolationnisme martial” suivant un “flux impérial” présentant désormais plus d’inconvénients dont certains mortels, que d’avantages.
» “Dans ce cadre et selon cette logique, une intervention des forces armées [dans la situation intérieure US]  paraît de plus en plus envisageable, surtout bien sûr si la situation continue à se détériorer comme elle a commencé à le faire à une vitesse extraordinaire depuis à peine une décade...” »

 

Mis en ligne le 10 avril 2020 à 16H00