Une sollicitation solennelle

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Une sollicitation solennelle


18 septembre 2002 — Il y a un grand choix, par les temps qui courent, pour trouver un sujet immédiat d'intérêt (c'est le but de cette rubrique). Aujourd'hui, nous en choisissons un qui a pour lui une force symbolique inattendue, qui constitue une circonstance où l'on observe une réelle solennité, quelque chose qui nous dit que l'heure est grave.

Il s'agit de la pétition signée par près de 1.300 historiens américains, pour réclamer du Congrès un vote sur une déclaration de guerre. (La pétition a été remise hier au Congrès.) C'est une circonstance solennelle parce que l'appel se réfère implicitement, et même explicitement pour certains points, au coeur même des fondements de la grande République américaine, celle dont la création fut vécue puis présentée (par les historiens américains, notamment) comme un des grands actes révolutionnaires de l'histoire de l'humanité, sur la route vers sa libération. Sur cette interprétation (la Révolution américaine et ce qui suit comme événement libérateur), il y a beaucoup à écrire et on n'en a pas encore écrit assez ; il n'empêche qu'en ces heures graves, qui sont vécues par la majorité d'entre nous dans la sous-information, l'indifférence et la légéreté les plus stupéfiantes (produit du système, cette asthénie des facultés critiques de la psychologie), cette action solennelle prend toute sa place et acquiert toute sa grandeur. Dont acte, même pour les antiaméricains les plus notoires.

L'initiative est clairement définie par Joyce Appleby, Professor d'Histoire Emerita, et Ellen Carol DuBois, Professor d'Histoire à l'University of California in Los Angeles (UCLA), dans un article publié sur le site TomPaine.com, sous le titre « American Historians Speak Out — 'Consulting' Congress On Iraq Is Not Enough ». Les deux historiennes écrivent notamment :


« The nation stands on the verge of war with Iraq and American historians are speaking out. Consultation with Congress is not enough. A congressional resolution authorizing military action falls short. We believe the Constitution is clear: Congress must debate and vote on whether to declare war on Iraq.

» Over 1,200 historians have signed our petition to that effect. We believe the president is flouting the Constitution, which explicitly gives to Congress, not the president, the power to declare war. »


L'initiative des historiens US est relayé, sur Internet, notamment par le site TomPaine.com et par le site historynewsnetwork.org. L'initiative peut être également utilement résumée par un article récent d'un des plus prestigieux historiens américains, Arthur Schlesinger, Jr, dont le titre nous dit tout : «Unilateral Preventive War: Illegitimate And Immoral».

L'importance que nous accordons à cette initiative peut être explicitée par quelques points ; par là, nous espérons mieux faire comprendre ce que nous jugeons d'important également dans ce que nous avons distingué de solennité dans cet événement. (Nous sommes certes parmi les premiers à observer, c'est un simple constat de la société des hommes, combien la solennité qui renvoie aux institutions et au pouvoir est souvent un acte d'imposture dont l'effet est la tromperie ; chaque discours de GW, fait et présenté avec solennité, est aujourd'hui une imposture, quelles que soient les intentions de l'homme dont on veut croire à sa décharge qu'il pourrait n'être, comme sont souvent les esprits simples, qu'une bonne volonté égarée dans un monde trompeur et corrompu. Dans certaines occasions, pourtant, quand elle découvre soudain une vérité ancestrale qui renvoie à notre histoire et à nos traditions, la solennité devient une démarche bénéfique, elle acquiert une vertu indicible. Nous croyons que c'est le cas ici, d'autant plus que l'appel n'a pas un sens partisan.)

• Près de 1.300 historiens, ce n'est pas rien. Notre appréciation de cet appel est qu'il n'est certes pas partisan, que la vaste majorité de ces historiens sont de purs produits du système, que certains sont d'ardents défenseurs de l'américanisme avec lesquels, sans aucun doute, nous serions souvent en désaccord. Mais la solennité et le fond de la requête, dont la forme rappelle également les traditions de la grande République (la tradition de la “pétition au Congrès”, voulant par là passer par-dessus le pouvoir et le suffrage universel dont on juge qu'ils sont dans l'erreur pour un cas), transcendent les querelles du jour et même celles de l'histoire. Il s'agit d'un appel au bon sens par le biais du rappel d'une tradition et d'un acte fondamental de la république.

• ... En effet, ce que dit la pétition au Congrès n'est pas : votez pour la guerre (ou votez contre, même esprit), mais bien : assumez vos responsabilités sacrées d'élus du peuple, prononcez-vous avec solennité sur cet acte qui est le plus grave qu'une nation civilisée puisse poser, — déclarer la guerre à une autre nation.

• La pétition rappelle les valeurs sacrées de la République que sont la Constitution et l'importance originelle donnée au Congrès face au pouvoir législatif. Elle invite les élus, par l'acte solennel qu'elle leur demande, à réfléchir sur la légitimité de ce pouvoir aujourd'hui en place et dont on sait l'action et les actuions.

• Enfin, et cela c'est politique, en demandant un vote sur l'état de guerre, la pétition demande implicitement une réflexion sur cette stratégie décrétée par l'équipe GW, qui est la guerre préventive. La pétition dit aux élus du peuple : ce vote solennel que vous poserez, — et non plus la dérisoire « consultation » proposée par GW dont on sait qu'elle implique combine, magouille et corruption, — vous verra émettre un jugement non moins solennel, “pour l'histoire” en un sens, sur cette idée extraordinaire par rapport au droit que régit les rapports entre les peuples civilisés qu'est l'idée de guerre préventive. On verra si les élus du peuple partagent le jugement de Schlesinger sur l'aspect « illégitime et immoral » de cette formule de guerre, — dont on ne voit guère ce qui la distingue de la “guerre d'agression” qui fut le premier chef d'accusation du Tribunal de Nuremberg de 1946.

• En un sens, cette pétition est un pari : elle fait le pari qu'il reste encore, chez ces élus du peuple qui n'ont montré ces derniers mois que démagogie, pleutrerie et conformisme, un peu du sens de la dignité de leur fonction. Cela aussi, est un acte solennel.

• Tout cela, pour terminer, pour nous-mêmes, par ce constat qui est aussi un voeu : il serait bon que le Congrès accepte la suggestion de la pétition et vote, dans la solennité qui convient, sur la question de la guerre ; cela serait bon pour nous faire sentir de la façon brutale qui convient, à nous le “reste du monde”, la gravité de la circonstance et la gravité de la menace qui pèse sur la grande République qui fascine tous nos élus et tous nos penseurs conformes, et menace pour nous aussi par conséquent.

• Si le Congrès ne fait rien (revenons sur terre : c'est bien probable), nous aurons compris ...