Une lecture ‘Schock & Awe

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Une lecture ‘Schock & Awe

• Mais qu’est-ce que Poutine est donc allé faire en Ukraine ? • Avec la certitude de la vertu, on le savait infâme, corrompu, cruel, méchant, tout cela certifié par ‘La Voix de son Maître’ (marque de disque en vogue au milieu du XXème siècle), – mais fou, Poutine, pas du tout ! Diabolique mais pas dingue ! • Alors, qu’est-il allé faire en Ukraine ?! • Il faut lire Korybko, qui cite... Poutine sur une bonne moitié de son texte. • Alors, il est bon de connaître l’argument du ‘maître du Kremlin’ comme ils disent. • ‘Choc & effroi’... • Contributions, dedefensa.org et Andrew Korybko.

A propos de la guerre en cours en Ukraine, on emploie assez aisément le surnom ‘Schock & Awe’ de la fameuse, ou ‘infamous’ c’est selon, doctrine d’attaque, dite également par la grâce de la traduction ‘choc & effroi’. Passons aux aveux : nous l’avons fait nous-mêmes, et nous nous en sommes expliqués :

« On table sur un “effet de choc” qui met ‘groggy’ l’adversaire, dans la lignée de la doctrine tactique US dite ‘Schock & Awe’, mais en plus subtil... [ ...]  recherche d’un “effet” massif plus que de la destruction systématique qui a toujours été la conclusion implicite de cette doctrine proposée par Harlan K. Ullman mais très vite déformée dans ce sens de la destruction par la rage aveugle des neocons et imposée par leur système de la communication. (On retrouve tout cela dans la “politiqueSystème”.) »

Dans ce cas, si l’on conserve l’expression puisqu’elle est employée par notre auteur dont le texte est cité ci-dessous, nous l’employons également pour définir l’effet que doit produire ce texte sur toute raison mesurée et débarrassée de la subversion moderniste et des simulacres de la communication. Il n’est pas question ici de plaider pour Poutine (ou contre d’ailleurs), en aucun cas parce que cette sorte de posture intellectuelle (“pour” ou “contre” tel ou tel dirigeant, telle ou telle puissance) n’a pas sa place dans cette analyse. Nous parlons, ici et bien ici, d’événements souvent mal ou pas contrôlés, et des situations qui en résultent.

Qu’on nous pardonne, – c’est là notre fameuse thèse selon laquelle nous sommes dans une époque où les événements se font d’eux-mêmes, où ils sont les principaux acteurs de la dynamique historique (que nous désignons comme “métahistorique” justement à cause de ce fait de l’autonomie des événements, dépendant de forces supra-humaines) ; une époque où les acteurs humains, souvent réduits au rôle de figurants, “découvrent” les situation bien plus qu’ils ne les créent, – et, pour les plus initiés d’entre eux, où ils peuvent parfois identifier une “vérité-de-situation” au milieu du flot de simulacres que les acteurs-devenus-figurants ont eux-mêmes créés pour s’en faire accroire et satisfaire leur hybris.

Dans le cas ukrainien, il y a bien entendu des perceptions et des postures complètement différentes. On laissera de côté, – on en parle souvent par ailleurs, – les causes et les effets de ces disparités. Nous importe ici ce que nous dit l’article de Andrew Korybko, qui est un auteur atypique selon les normes de la communication habituelle, ou si l’on veut selon les normes de la presseSystème, où il est absolument inconnu. Pour notre compte, cet auteur de nationalité américaine vivant à Moscou, Korybko, est un expert remarquable et sérieux, qui travaille sur des faits et des documents qu’ils jugent établis et crédibles, et parvient à nous donner une vision originale et puissante des actuelles conditions conflictuelles du monde. Il a fait notamment un formidable travail sur “la Guerre Hybride”, dont le ‘Sakerfrancophone’ nous a donné la version française, – et qu’il définit ainsi, où l’on, retrouvera certainement certains aspects de l’affaire ukrainienne, certes...

 « Loi de la Guerre Hybride : Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets multipolaires transnationaux conjoints, par des conflits d’identité provoqués extérieurement (ethniques, religieux, régionaux, politiques, etc.) au sein d’un État de transit ciblé. »

Dans le cas qui nous occupe dans cet article, Korybko établit un lien serré et révélateur entre l’“opération spéciale” des Russes en Ukraine et ce qu’il nomme “la crise des missiles” avec le déploiement de batteries de missiles US, antimissiles mais qui se révèlent également offensifs sol-sol selon les modèles, en Pologne, en Roumanie, et peut-être prévue pour l’Ukraine. Cette “crise des missiles”, très lointainement enfantée par la “crise des ‘euromissiles’” de 1977-1987, a trouvé une renaissance chaotique dans l’ère post-9/11, avec divers et innombrables épisodes, paroxysmes, fureurs, apaisements, oublis avant redémarrage. (Pour le souvenir et peut-être quelque édification ou l’autre, quelques références parmi les très nombreuses accolées dans notre site au terme de ‘Euromissiles’, et l’on voit combien la période couverte est large, impliquant une dynamique crisique très spécifique et durable : 15 juillet 2004, 20 avril 2007, 5 juillet 2007, 12 décembre 2014, 23 octobre 2018, etc.)

Mais aujourd’hui, nous montre Korybko, nous sommes au cœur de la “mère de toutes les crises des ‘Euromissiles’” ! (Bien qu’il s’agisse de bien plus que l’Europe.)

L’originalité par adoxale de l’article de Korybko est qu’il appuie son propos sur des déclarations tout à fait publiques, récentes et très récentes de Poutine, les 21 décembre 2021 et 24 février 2022 précisément, dont il donne de très longs extraits. On découvre ainsi qu’à lire attentivement ces discours on a toute l’explication, du point de vue de Poutine et du point de vue russe, de l’“opération spéciale” lancée jeudi matin. On peut même envisager, à lire la précision et la technicité de l’argument, que cette “opération spéciale” est depuis longtemps dans l’esprit de Poutine, et qu’elle ne concerne pas que l’Ukraine. La perception des Russes, – qu’elle soit ou non fondée n’est pas ici le débat, non plus de savoir s’il y a effectivement un diable contre des anges de vertu, – est que le sort de la Russie est dans la balance, sans aucune restriction...

• « Au cours des années récentes, des contingents militaires de pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire ukrainien, sous prétexte d’exercices. Le système de contrôle des armées ukrainiennes a été intégré à l’OTAN. Cela signifie que le quartier général de l’OTAN peut envoyer des ordres directs aux forces armées ukrainiennes, jusqu’à leurs unités et escadrons individuels. [...]

• « Par conséquent, l’Alliance et ses infrastructures militaires ont atteint les frontières de la Russie. Il s’agit de l’une des clés de la crise de sécurité européenne... »

• « Les informations dont nous disposons nous donnent de bonnes raisons de penser que l’accession de l’Ukraine à l’OTAN, et le déploiement qui s’ensuivra d’infrastructures de l’OTAN, ont déjà été décidés et ne constituent plus qu’une affaire de temps... »

• « Je [préciserais également] que les documents étasuniens de planification stratégique confirment la possibilité de ce qu’ils appellent une frappe anticipée sur les systèmes de missiles ennemis. Nous savons également qui est l’adversaire principal aux yeux des États-Unis et de l’OTAN. Il s’agit de la Russie. L’OTAN documente officiellement notre pays comme principale menace à la sécurité Euroatlantique. L’Ukraine servira de tête de pont avancée à une telle frappe… »

Nous pensons que ces quatre citations, extraites des discours de Poutine, donnent une bonne idée de cette perception des Russes et de Poutine, et par conséquent de l’extrême gravité de la crise, effectivement “la mère de toutes les crises des ‘Euromissiles’”, et même, sans aucun doute, au-delà de toutes les crises spécifiques, de toutes les ‘subcrises’ qui forment la Grande Crise.

« Il s’agit, écrit Korybko, de la vérité objective et facilement vérifiable de ce qui constitue la crise de sécurité stratégique la pire de l’histoire, au vu du fait que celle-ci est désormais transformée en “guerre chaude”, alors que la précédente avait pu rester au stade de la guerre froide. »

Le texte de Korybko a été repris et traduit (24 février et 25 février 2022) par le ‘Sakerfrancophone’, qui l’accueille régulièrement dans ses colonnes. Le titre original est « La campagne russe ‘stupeur & effroi’ en Ukraine vise à résoudre la crise des missiles européens ». Nous l’avions modifié pour des raisons technico-esthétiques, qu’on nous pardonne.

dedefensa.org

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L’Ukraine et la crise des missiles

La crise non-déclarée des missiles, provoquée en Europe par les États-Unis, est en pratique une version contemporaine de la crise des missiles de Cuba, [en pire et] avec une inversion des rôles. Il s’agit d’une vérité concrète et facilement vérifiable : cette crise de sécurité stratégique est la pire qui ait existé selon le fait qu’elle vient de se transformer en guerre chaude, alors que la précédente était restée une guerre froide… On peut espérer que l’Occident, États-Unis en tête, ne vont pas faire monter cette crise à un niveau nucléaire ou menacer d’attaquer l’armée russe déployée en Ukraine, faute de quoi l’“horloge de la fin du monde” (“Doomsday Clock”)  pourrait finalement amener ses aiguilles sur l’heure terrible de “minuit”.

Le président russe Vladimir Poutine a autorisé ce qu’il a dénommé une “opération spéciale” en Ukraine au cours des premières heures du 24 février (heure de Moscou) dans une allocution spéciale à la nation. Les objectifs qu’il a énoncés sont de démilitariser et dénazifier l’Ukraine, avec la remarque : «Nous n’avons aucun projet d’occupation du territoire ukrainien ». Il a cité l’Article 51 de la charte des Nations Unies, qui a trait à l’auto-défense, pour justifier ses actions. Beaucoup d’éléments restent flous à ce stade, au vu du brouillard de guerre environnant ces actions, mais il semble que cette opération spéciale ait pour objectif de protéger de manière durable les lignes rouges de sécurité nationale que le président Poutine a déjà consacré beaucoup de temps à définir.

Entre autres exemples les plus parlants, il y a sa « Réunion étendue du Conseil du Ministère de la Défense » du 21 décembre 2021. C’est là que le dirigeant russe a réellement expliqué la nature existentielle de la menace posée à la Russie par la coopération militaro-stratégique adoptée par les autorités de l’Ukraine voisine, établies à l’issue du coup d’État fomenté par les États-Unis et l’OTAN. Les minutes de cette réunion méritent d’être parcourues dans leur intégralité pour bien comprendre les intérêts de sécurité nationale qui sont ceux de la Russie. Le présent article va en citer les extraits principaux, révélant les préoccupations de Moscou concernant les activités des USA pour roder de manière graduelle les capacités de seconde frappe nucléaire de la Russie :

« Il est extrêmement alarmant que des éléments du système de défense global étasunien soient en cours de déploiement près de la Russie. Les lanceurs Mk 41, positionnés en Roumanie et sur le point de l’être en Pologne, sont adaptés au lancement de missiles de frappe Tomahawk. Si cette infrastructure continue d’avancer, et si les systèmes de missiles étasuniens et otaniens sont déployés en Ukraine, leur temps de parcours jusque Moscou ne sera que de 7 à 10 minutes, voire cinq minutes pour des systèmes hypersoniques. Il s’agit d’un défi colossal pour notre sécurité. [...]

» Il y a parmi nous des experts, je reste en contact permanent avec eux. Les États-Unis ne sont pas encore en possession d’armes hypersoniques, mais nous savons qu’ils vont en disposer. C’est une chose que l’on ne peut pas dissimuler. Des informations sont disponibles sur les essais de ces systèmes, avec des résultats positifs ou négatifs. Nous pouvons estimer à quel moment ils en disposeront. Ils livreront des armes hypersoniques à l’Ukraine, et les utiliseront d’une façon dissimulée, – cela ne signifie pas qu’ils vont commencer à les utiliser demain, car nous disposons déjà du ‘Zircon’ et eux pas, – pour armer des extrémistes d’un État voisin, et les inciter à s’en prendre à certaines régions de la Fédération russe comme la Crimée, lorsqu’ils jugeront que les circonstances sont favorables.

» Pensent-ils véritablement que nous ne voyons pas ces menaces ? Ou pensent-ils que nous allons simplement rester les bras ballants, en regardant ces menaces contre la Russie émerger ? Le problème est que nous n’avons plus d’espace pour reculer. C’est là la question. »

Pour dire les choses simplement, l’objectif de la grande stratégie étasunienne est de neutraliser les capacités russes de seconde frappe par le déploiement régional de “systèmes anti-missiles” et d’armes de frappe offensive, – dont un jour des missiles hypersoniques et cela peut-être en fin de compte jusqu’en Ukraine — afin de placer la Grande Puissance eurasiatique en position de subir un chantage nucléaire. L’auteur de cet article a écrit le 24 janvier 2022, dans un autre article La grande stratégie de l’État profond étasunien vis-à-vis de la Russie et de la Chine »), que :

« L’objectif à long terme que la faction de l’“État profond” antirusse entretiendrait est de placer leur Grande Puissance ciblée en position de subir un chantage nucléaire. Ils y parviendraient en remportant la course aux armements en cours, qui se déroule en Europe, ayant trait au déploiement en masse des diverses armes de frappe étasuniennes – y compris des armes hypersoniques – et en y ajoutant des armes défensives comme des “systèmes anti-missiles” aussi près que possible des frontières de la Russie.

» L’objectif est de reprendre le contrôle de l’économie russe, pour la forcer à accepter des concessions unilatérales sans fin, afin de priver la Chine de ces ressources. Il s’agit évidemment à ce jour d’un fantasme politique, et il n’existe aucune raison crédible de s’attendre à voir un tel plan fonctionner d’une quelconque manière, même dans un avenir lointain, mais ce dessein vise néanmoins à expliquer les calculs de l’État profond’ antirusse d’une manière aussi ‘rationnelle’ que possible.

» Si la Russie peut en fin de compte être transformée en État client de l’Occident, États-Unis en tête, on pourrait lui ordonner d’adopter des mesures de ‘confinement’ contre la Chine. On pourrait ainsi voir la Russie ‘étrangler’ la République populaire, chose qui, dans les desseins de l’‘État profond’ étasunien, permettrait de lancer le même processus contre cette seconde Grande Puissance, après avoir réussi à dompter la première. L’objectif final, comme précédemment, serait de positionner leur cible en position de subir un chantage nucléaire et économique. »

Pour le lecteur qui n’en serait pas familier, l’auteur utilise le terme “État profond” pour désigner les administrations permanentes militaires, de renseignements et diplomatiques, qui existent bel et bien dans tout pays, qui sont pétries de factions décidant des politiques suivies par ces pays, et qui ne constituent en rien une “théorie du complot” comme certains l’affirment de manière ridicule. Deux jours avant, l’auteur avait publié un article Démystifier la FakeNews qui prétend que la Russie veut ‘envahir’, ‘occuper’ et ‘annexer’ l’Ukraine »), où il prédisait ce qui suit, qui s’est bel et bien produit au vu des développements dramatiques de ce jeudi matin :

« Dans le scénario du pire, mettant en jeu un conflit conventionnel russo-ukrainien, –  déclenché soit par la Russie en défense de ses intérêts de sécurité nationale après que Kiev aura provoqué une troisième salve d’hostilités de Guerre Civile et/ou aura même attaqué les forces russes directement en franchissant la frontière, – la Russie s’emploierait à “entrer, faire le travail, sortir” et non pas à “envahir”, “occuper” et par la suite “annexer” l’Ukraine, en tout ou partie, pour les raisons expliquées précédemment. Tout ce que Moscou viserait à faire serait de neutraliser la menace militaire posée à ses lignes rouges, même si cela doit être mené selon la stratégie dite Schock & Awe, selon le scénario. »

Les événements suggèrent bel et bien que la Russie applique en ce moment sa stratégie ‘Schock & Awe’ pour neutraliser les menaces imminentes et non dissimulées envers ses lignes rouges de sécurité nationale, en provenance d’Ukraine. Ces menaces ont été révélées en détail au cours de deux événements qui se sont produits lundi, la tenue télévisée du Conseil de Sécurité de la Russie, et l’allocution du président Poutine à la nation, dans la soirée, au cours de laquelle il a reconnu les Républiques du Donbass comme États indépendants.

Le premier événement a confirmé que les États-Unis et l’OTAN n’ont pas répondu de manière satisfaisante aux demandes de garanties de sécurité formulées par la Russie, qui leur demandait de s’engager légalement :
à mettre fin à l’expansion de l’OTAN vers l’Est ;
à ne pas déployer d’armes de frappe aux abords des frontières russes ;
à revenir au statu quo militaire continental de l’Acte Fondateur russo-OTAN de 1997, désormais failli.

Le second événement a vu le dirigeant russe révéler des informations détaillées au sujet des menaces en provenance d’Ukraine, constituées par les armées étasuniennes et de l’OTAN :

« Au cours des années récentes, des contingents militaires de pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire ukrainien, sous prétexte d’exercices. Le système de contrôle des armées ukrainiennes a été intégré à l’OTAN. Cela signifie que le quartier général de l’OTAN peut envoyer des ordres directs aux forces armées ukrainiennes, jusqu’à leurs unités et escadrons individuels.

» Les États-Unis et l’OTAN ont entamé un développement impudent, utilisant le territoire ukrainien comme théâtre de potentielles opérations militaires. Leurs exercices conjoints réguliers sont évidemment antirusses. Au cours de la seule année passée, plus de 23 000 soldats et plus d’un millier d’unités de matériels militaires ont été impliquées.

» Une loi a déjà été adoptée, permettant aux soldats étrangers d’entrer en Ukraine en 2022, pour prendre part à des exercices multinationaux. Naturellement, il s’agit principalement de soldats de l’OTAN. Cette année, ce sont au moins dix exercices conjoints qui sont programmés.

» De toute évidence, ces agissements sont conçus comme couverture pour des préparatifs permettant une accumulation rapide d’un groupement militaire de l’OTAN sur le territoire ukrainien. Cela est d’autant plus vrai que le réseau d’aéroports, amélioré avec l’aide étasunienne à Borispol, Ivano-Frankovsk, Chuguyev et Odessa, pour en citer quelques-uns, est capable de transférer des unités de l’armée en un temps très réduit. L’espace aérien ukrainien est ouvert aux vols stratégiques étasuniens, ainsi qu’aux aéronefs et drones de reconnaissance opérant des missions de surveillance du territoire russe.

» J’ajouterai que le Centre d’Opérations Maritimes, construit par les États-Unis à Ochakov rend possible le soutien d’activités de navires de guerre de l’OTAN, y compris l’utilisation d’armes de précision, contre la Flotte russe de la Mer Noire et contre nos infrastructures sur l’ensemble des côtes de la Mer Noire. [...]

» L’Ukraine est le foyer de missions d’entraînements de l’OTAN qui sont, dans la réalité, des bases militaires étrangères. Ils les ont appelées “missions” et le tour est joué.

» Kiev a proclamé de longue date sa stratégie de ralliement à l’OTAN. De fait, tout pays a droit de choisir son propre système de sécurité et ses alliances militaires. Cela ne constituerait pas du tout un problème, s’il n’y avait un ‘mais’. Les documents internationaux stipulent expressément le principe de la sécurité égale et indivisible, qui comprend des obligations de ne pas renforcer sa propre sécurité aux dépens de celle d’autres États. Ce point est énoncé dans la Charte de 1999 de l’OSCE pour la Sécurité Européenne, adoptée à Istanbul et dans la déclaration de l’OSCE d’Astana de 2010.

En d’autres termes, le choix des trajectoires assurant la sécurité ne devrait pas constituer une menace envers d’autres États ; que l’Ukraine rejoigne l’OTAN constitue une menace directe pour la sécurité de la Russie. [...]

» Qui plus est, nous sommes conscients de la position et des mots des dirigeants étasuniens, selon qui les hostilités actives dans l’Est de l’Ukraine ne portent pas ombrage à la possibilité que ce pays rejoigne l’OTAN s’il répond aux critères de l’OTAN et résout ses problèmes de corruption.

» Et pendant tout ce temps, ils s’emploient de manière répétée à nous convaincre que l’OTAN est une alliance éprise de paix et purement défensive, qui ne constitue aucune menace envers la Russie. …

» Par conséquent, l’Alliance et ses infrastructures militaires ont atteint les frontières de la Russie. Il s’agit de l’une des clés de la crise de sécurité européenne ; cela a eu l’impact le plus négatif sur l’ensemble du système de relations internationales, et a amené à la perte de la confiance mutuelle.

» La situation continue de se dégrader, y compris en matière stratégique. Ainsi, des zones de positionnement pour des missiles d’interception sont en cours d’installation en Roumanie et en Pologne dans le cadre du projet étasunien visant à créer un système de défense global à base de missiles. Nul n’ignore que les lanceurs déployés là-bas peuvent être utilisés pour déclencher des missiles de croisière Tomahawk — des systèmes de frappe offensive.

» En outre, les États-Unis développent leur ‘Standard Missile-6’ à usages multiples, qui peut assurer une défense aérienne et anti-missile, ainsi que frapper des cibles terrestres et en surface. En d’autres termes, le système de soi-disant défense étasunien se développe et acquiert de nouvelles capacités offensives.

» Les informations dont nous disposons nous donnent de bonnes raisons de penser que l’accession de l’Ukraine à l’OTAN, et le déploiement qui s’ensuivra d’infrastructures de l’OTAN, ont déjà été décidés et ne constituent plus qu’une affaire de temps. Nous comprenons clairement qu’au vu de ce scénario, le niveau de menaces militaires posées à la Russie va croître de manière très importante, et se multiplier de plusieurs ordres. Et j’aimerais souligner le point que le risque d’une frappe soudaine contre notre pays va se multiplier.

» Au cours des années récentes, des contingents militaires de pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire ukrainien, sous prétexte d’exercices. Le système de contrôle des armées ukrainiennes a été intégré à l’OTAN. Cela signifie que le quartier général de l’OTAN peut envoyer des ordres directs aux forces armées ukrainiennes, jusqu’à leurs unités et escadrons individuels

» Je [préciserais également] que les documents étasuniens de planification stratégique confirment la possibilité de ce qu’ils appellent une frappe anticipée sur les systèmes de missiles ennemis. Nous savons également qui est l’adversaire principal aux yeux des États-Unis et de l’OTAN. Il s’agit de la Russie. L’OTAN documente officiellement notre pays comme principale menace à la sécurité EuroAtlantique. L’Ukraine servira de tête de pont avancée à une telle frappe. [...]

» De nombreux aérodromes ukrainiens se trouvent aux abords de nos frontières. L’aviation tactique de l’OTAN déployée sur ces sites, comprenant des porteurs d’armes de précision, sera en mesure de frapper notre territoire aussi profondément que la ligne Volgograd-Kazan-Samara-Astrakhan. Le déploiement de radars de reconnaissance sur le territoire ukrainien permettra à l’OTAN de contrôler étroitement l’espace aérien russe jusqu’à l’Oural. [...]

» En fin de compte, après que les États-Unis ont détruit le traité FNI, le Pentagone s’est ouvertement mis à développer de nombreuses armes d’attaque à base terrestre, y compris des missiles balistiques en mesure de frapper des cibles à une distance se trouvant jusqu’à 5500 kilomètres. S’ils sont déployés en Ukraine, de tels systèmes seront en mesure de frapper des cibles en Russie sur l’ensemble de la zone européenne du territoire. Le temps de vol des missiles de croisière Tomahawk jusque Moscou sera inférieur à 35 minutes ; des missiles balistiques décollant depuis Kharkov auront un temps de vol compris entre sept et huit minutes ; et des armes d’attaque hypersoniques, quatre à cinq minutes. C’est comme un couteau sous la gorge. Je ne doute pas qu’ils espèrent mener à bien ces projets, comme ils l’ont fait à de multiples reprises par le passé, en étendant l’OTAN vers l’Est, en déplaçant leur infrastructure militaire vers les frontières russes et en ignorant totalement nos préoccupations, nos protestations et nos avertissements. »

Les extraits qui précèdent peuvent se révéler très surprenants pour les lecteurs qui n’ont jusqu’ici pas eu accès à ces informations très importantes, du fait des manipulations de leurs médias, qui les laissent délibérément dans le noir au sujet des préoccupations légitimes de sécurité exprimées par la Russie vis-à-vis de l’Occident, États-Unis en tête, afin de bâtir des fausses représentations de la Grande Puissance eurasiatique, qui est la victime de ces opérations, comme un agresseur, en dépit du rôle objectivement tenu par leurs propres gouvernements. Les tentatives menées par Washington de mettre Moscou en position de chantage nucléaire sont directement responsables de cette crise de sécurité sans précédent. Les « fabricants de perception » de Washington auront œuvré à présenter la situation pour que chacun pense que la Russie est fautive, alors qu’elle ne l’est pas.

La reconnaissance par la Russie des Républiques du Donbass a constitué la tentative finale menée par Moscou d’amener l’Occident, États-Unis en tête, à prendre au sérieux ses demandes de garanties de sécurité. Cette démarche a échoué, les homologues occidentaux des Russes n’ayant jamais entretenu de désir sincère de négocier avec la Russie sur ces sujets, comme l’établit leur réponse diplomatique indifférente depuis que la Russie a dévoilé ses propositions à la fin du mois de décembre 2021. Avec littéralement « aucun espacer pour reculer », comme le président Poutine l’a exprimé lui-même de manière inoubliable durant la réunion précitée du 21 décembre, ce n’était par conséquent plus qu’affaire de temps avant de voir la Russie réagir, de la seule manière possible pouvant lui permettre de ne pas voir franchies ses lignes rouges de sécurité nationale en Ukraine.

Le scepticisme manifesté auparavant par l’auteur au sujet du déroulement d’un tel scénario avait fait suite aux informations publiques précédant ce qui a été révélé le 21 février 2022, durant la réunion télévisée du Conseil de Sécurité russe, et de l’allocution du président Poutine à la nation. Jusqu’à ce stade, il restait ambigu de savoir si les États-Unis et l’OTAN constituaient une menace imminente envers les lignes rouges de sécurité nationale précédemment tracées par la Russie. S’appuyant sur des sources publiques — parmi lesquelles les déclarations officielles — la détermination était que la menace n’était pas encore pleinement matérialisée au point de déclencher une réponse russe décisive, mais cette conclusion s’est avérée incorrecte, comme l’ont révélé les informations dévoilées par la suite lors de ces deux événements du 21 février.

Le président Poutine n’aurait pas autorisé l’opération spéciale menée par la Russie en Ukraine si ses renseignements n’avaient pas été absolument certains du fait que ces menaces précédemment évoquées n’étaient pas réellement imminentes, ou peut-être même sur le point de se concrétiser. L’Occident, États-Unis en tête, a refusé de prendre en compte sérieusement les propositions russes de garanties de sécurités, pensées pour revoir l’architecture de sécurité européenne d’une manière qui aurait fini par déboucher sur une sécurité indivisible pour tous, conformément aux principes énoncés par l’OSCE. Cet objectif désiré aurait empêché qu’un pays mène des actions sous prétexte d’assurer sa sécurité, aux dépens d’un autre pays, comme les États-Unis ont procédé à l’encontre de la Russie au cours des trois décennies passées.

Rétrospectivement, cela a constitué la dernière chance de paix, mais l’Occident, États-Unis en tête, l’a ignorée avec arrogance, en s’imaginant peut-être à tort que la Russie “bluffait” et n’agirait pas exactement comme toute autre Grande Puissance disposant d’un respect de soi, en n’ayant littéralement « aucun espace pour reculer », après avoir apaisé la même alliance militaire dont la raison d’être est le confinement de son pays. Cela a constitué la plus grande erreur de calcul stratégique jamais observée : elle a amené la Russie à défendre ses lignes rouges de sécurité nationale alors qu’elles risquent d’être franchies en Ukraine. La crise demissiles provoquée par les USA en Europe constitue pratiquement une version contemporaine de la crise des missiles de Cuba, avec rôles inversés.

Il s’agit de la vérité objective et facilement vérifiable de ce qui constitue la crise de sécurité stratégique la pire de l’histoire, au vu du fait que celle-ci est désormais transformée en “guerre chaude”, alors que la précédente avait pu rester au stade de la guerre froide. Tout ceci aurait pu être évité si l’Occident, États-Unis en tête, avait simplement respecté les demandes légitimes russes de garanties de sécurité. L’Occident a refusé de manière inexplicable et a ainsi amené la Russie à assurer de manière décisive l’intégrité de ses lignes rouges, en lançant la campagne ‘Schock & Awe’ en Ukraine, qui vise à résoudre la crise des missiles en Europe provoquée de manière irresponsable par les États-Unis eux-mêmes. À cette fin, Moscou pourrait également tenter d’encourager des changements politiques à Kiev.

L’auteur avait émis l’avertissement, en début de semaine, que « La fin du mini-Empire de Lénine en Ukraine est proche », suite à la reconnaissance par la Russie des Républiques du Donbass, qui pourrait à son tour inspirer d’autres minorités persécutées dans ce pays — y compris d’autres membres de la population russe sur place — à se lever en résistance aux autorités (fascistes-)nationalistes” mises en places par le coup d’État soutenu par les États-Unis. Un tel scénario pourrait déboucher sur une décentralisation profonde de l’Ukraine, vers un statut de fédération de régions dont le gouvernement central accepterait de lever l’objectif enchâssé dans la Constitution de rejoindre l’OTAN et de finir par reconnaître la réunification démocratique de la Crimée à la Russie en 2014. Un tel débouché pourrait rapidement améliorer les liens avec la Russie.

Au fil de la campagne ‘Schock & Awe’, le monde ferait bien de se souvenir des raisons légitimes d’auto-défense avancées par Moscou pour mener cette guerre, en accord avec l’article 51 de la Charte de l’ONU. On va trouver de nombreux “fabricants de perception” essayant par tous moyens de présenter les événements de manière à dépeindre faussement la Russie comme l’agresseur, mais ces gens ne feront que répéter en boucle le récit de guerre de l’information ourdi par le gouvernement étasunien, qui ne tient pas la route lorsque l’on prend la peine de prendre connaissance des discours de Poutine cités ci-avant. On peut espérer que l’Occident, États-Unis en tête, ne va pas susciter l’escalader du conflit vers le domaine nucléaire, ou menacer d’attaquer l’armée russe en Ukraine, faute de quoi les aiguilles de la 'Doomsday Clock’ pourraient finir par atteindre l’heure catastrophique de minuit.

Andrew Korybko