Une crise diluvienne

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Une crise diluvienne

02 août 2013 – Il est difficile d’imaginer mieux pour une seule crise, fût-elle identifiée dans notre jargon comme une “crise première” (voir le 22 juillet 2013). Donc, en plus de l’être, “première”, la crise Snowden/NSA pourrait être qualifiée de “diluvienne”. (On pourrait dire aussi “torrentielle” si l’on veut être plus météorologique qu’eschatologique, mais l’on devine vers où va notre préférence.) Le 1er août fut une journée remarquable à cet égard, nous montrant ce que cette crise-là est capable de donner simultanément, lorsque les événements prévus et imprévus semblent justement investis de cette sorte de vertu de cette simultanéité révélatrice. Il s’agit des diverses éruptions de cette crise sur les divers fronts qu’elle a ouverts ; ainsi ne semble-t-elle jamais tout à fait assoupie, même temporairement. Peut-être tout cela (la journée du 1er août) était-il coordonné, mais nous dirions par le Ciel plutôt que par les machinations des sapiens.

Simultanément, effectivement, nous eûmes un déluge d’éruptions sur les trois fronts principaux, avec effets sur des fronts secondaires qui peuvent devenir essentiels : (1) la poursuite du déluge des révélations Snowden, (2) le droit d’asile temporaire en Russie accordé à Snowden, qui a quitté sa prison climatisée (est-ce sûr, pour la climatisation ?) de l’aéroport de Moscou, et (3) un pas de plus dans l’imbroglio NSA-Obama-Congrès devenant marais embourbé pour la vie washingtonienne en pleine paralysie schizophrénique. Ce désordre diluvien inaugure le mois réputé sans nouvelles intéressantes pour la presse-Système habituelle qui a en général pour fonction d’occuper les loisirs inconscients de ses lecteurs par des narrative spectaculaires mais inconsistantes. Mais le mois d’août reste égal à lui-même : on craint que rien ne s’y passe et pourtant il se passe toujours quelque chose (les guerres choisissent en général ce moment pour se déclencher). Procédons par ordre approximatif dans ce “désordre diluvien”.

• Le Guardian, fidèle à sa mission d’information (ce qui n’empêche pas la schizophrénie du libéral moderniste, un pied dans le Système, un pied précautionneusement en dehors, on le verra), a donc fait donner la Garde : deux déluges de révélations-Snowden en deux jours. D’abord celles qui concernent la veille permanente du piratages universel de l’internet par la NSA, via le programme poétiquement baptisé XKeyscore, dont nous irons chercher les détails, pour changer, dans Russia Today le 31 juillet 2013. («New revelations about NSA surveillance systems show that it was enough to fill in a short ‘justification’ form before gaining access to any of billions of emails, online chats, or site visit histories through a vast aggregation program called XKeyscore», bla bla bla...) Ensuite, le 1er août 2013 (dans le Guardian, allons directement à la source), des détails embarrassants sur la façon dont la NSA subventionne littéralement son compère britannique, le GCHQ, dans son travail d’écoute, de piratage, de surveillance illégale, etc., pour la mise en place du “Goulag électronique global” (voir le 1er août 2013). Bref, la NSA paye le GCHQ comme un vulgaire employé (£100 millions pour ces trois dernières années), pour le faire fonctionner : non seulement, on fait lit commun selon la mystique des special relationships, mais en plus la fière Albion est payée comme une fille... Pilule amère pour la fierté UK, ce qui nous vaut un commentaire type-haussement de menton et dignité proclamée, de la part de Nick Hopkins (le 1er août 2013) ; saviez-vous qu’aujourd’hui encore le respect de la souveraineté et de l’indépendance rendent chatouilleux ces messieurs-dames ? Nous compatissons, dear-chou : «There are many advantages to sharing intelligence. But sovereignty and independence are important too. The NSA and GCHQ seem deeply enmeshed and interlinked, but the line between the agencies needs to be drawn more clearly...»

• Le plus phoney, ou funny c’est selon, c’est bien dans ceci que ces révélations éclatent le même jour où l’asile politique temporaire est accordé à Snowden (voir ci-dessous). Il l’est donc, cet asile accordé, selon les termes émis par Poutine spécifiant que Snowden s’abstient de toutes activités pouvant “porter du tort aux USA”. C’est ce que Snowden semble faire effectivement alors que, pourtant, ses documents pleins de révélations agaçantes emplissent, le même jour, les colonnes de la presse-Système et de la presse-antiSystème conjointement. Preuve s’il en fallait une de ce que nous cessons de répéter (voir par exemple le 13 juillet 2013) au contraire de ceux qui lient l’asile politique de Snowden à la fin des révélations-Snowden, à savoir que les révélations-Snowden n’ont plus rien à voir avec Snowden. Simple, non ?

• L’asile politique temporaire (annuel, renouvelable, etc.) est donc accordé à Snowden qui a quitté sa prison climatisée de la zone franche de l’aéroport de Moscou. Il n’y a pas pourtant pas perdu son temps, nous a révélé son avocat russe Anatoly Koucherena. Snowden a appris l’alphabet cyrillique et s’est mis donc à l’apprentissage du russe, il a dévoré Crime et châtiment de Fédor Dostoïevski, quelques récits de Tchékhov et quelques extraits d’un travail important de l’historien du XIXème siècle Karamzine sur l’histoire de la Russie. Notre whistleblower, parti pour une destination inconnu, aurait donc l’intention de s’installer pour de bon en Russie. On attend qu’il y reçoive prochainement peut-être sa petite amie et certainement son père, qui se réjouit que son fils ait préféré, pour son intégrité et sa dignité humaine, la policière et dictatoriale Russie à la démocratique Amérique. Inversion du jugement, dira-t-on, mais vertueuse, – demandez au Private Manning, condamné à autour de 130 ans de prison après deux ans de détention “préventive” en isolation avec tortures et humiliations permanentes, quasiment au su et au vu de tous, demandez-lui ce qu’il en pense.

Moscou avait fait dire, répété, commenté, comme une litanie, l’idée que le cas Snowden est accessoire dans les relations USA-Russie, et qu’un éventuel droit d’asile ne changerait pas grand’chose à ces relations. Eh bien, ce n’est pas sûr. La Maison-Blanche est devenue blême et a dit qu’elle était “extrêmement désappointée” de cette décision russe, et qu’elle revoyait les plans de l’impérial et très cool président Obama pour le G-20, le sommet avec Poutine et autres serpents de mer habituels ; en ajoutant que, euh, pourtant, les relations USA-Russie restent essentielles et que, bon, on essaiera de ne pas trop faire de dégâts. (Voir Russia Today, le 1er août 2013.) Cela, ce dernier vœu pieux de limitation des dégâts, c’est compter sans le Congrès, formidable “fou du Système” partout où la folie peut s’exercer. Russia Today encore (le 1er août 2013) s’attache au cas folklorique et plein de feu du sénateur McCain, toujours en mal d’un séjour de repos dans un hôpital psychiatrique. McCain veut à peu près tout outre les serpents de mers précédemment mentionnés : “agression douce” contre la Russie en offensive super-turbo, encerclement agressif de la Russie, de la Géorgie à la Pologne, avec déploiement accéléré des antimissiles, extension agressive de l’OTAN avec manœuvres provocatrices, et ainsi de suite. Il ne propose pas l’attaque nucléaire mais quoi, nous n’en sommes pas loin. Les autres hérauts habituels de la chose, dont l’inévitable-inusable Lindsay Graham, deuxième clown du duo avec McCain, annoncent cette même révolution furieuse dans les relations USA-Russie.

L’excellent McClatchy.News pondère tout cela en constatant (le 1er août 2013) que les USA ont “peu d’options” contre la Russie, simplement selon l’évidence de bon sens que l’essentiel de ce qui peut être fait contre la Russie par les USA (le bloc BAO) est effectivement en cours, et que les relations sont au plus bas alors que les USA ont souvent besoin de la Russie pour leurs intérêts, et qu’elles l’étaient, au plus bas, avant Snowden, – alors, asile politique ou pas... Comme on l’a déjà noté, on ne peut dégrader ce qui l’est déjà si considérablement, et l’on ne peut rendre avisée dans la fermeté une politique noyée dans la stupidité de l’agressivité-turbo comme façon d’être. (Tout cela, en bonne part grâce au Congrès, “fou du Système” en activités paroxystiques constantes.)

«...But relations with Russia already are so frayed, analysts say, that there’s little the U.S. could do to punish Putin for taking in Snowden, who’s regarded by many here and abroad as a whistleblower for revealing a top-secret government spy program.

»As dramatic as Snowden’s revelations are, his hiding out in Russia may not even be the worst snag in bilateral relations, which have deteriorated over the past 18 months and killed Obama’s goal of a “reset.” Other strains include disagreements over Syria, Russia’s freeze on U.S. adoptions of Russian children, and Congress’ approval of a law barring several Russian officials from entering the U.S. “We don’t have a lot of leverage in that regard,” said Andrew Kuchins, director of the Russia and Eurasia Program at the Center for Strategic and International Studies, a research institute in Washington.»

• D’où la conclusion de Luke Harding, du Guardian, le 1er août 2013... «Vladimir Putin's decision to grant Snowden asylum – and make no mistake, Putin called this one – is a humiliating, wounding rebuff to the US. [...] Among other things, the Snowden story has exposed the impotence of 21st-century US power. With no US-Russia extradition treaty there is little the White House can do to winkle Snowden out...» Nous reviendrons par ailleurs sur ce commentaire de Harding qui, à part cette sorte de remarque, est un monument somptueux élevé à la gloire de l’hypocrisie du bloc BAO, des libéraux-progressistes du bloc BAO, et du Guardian (rejoignant ce que nous écrivons plus haut : “...la schizophrénie du libéral moderniste, un pied dans le Système, un pied précautionneusement en dehors, on le verra”). La position du Guardian dans ses accointances à la fois moralement et politiquement estimables et commercialement juteuses avec Snowden-Greenwald, à la fois organiques dans le genre viscéral et l’esprit en dessous avec le Système, cette position est un modèle du genre des circonvolutions hypocrito-schizophréniques rendues nécessaires par la crise d’effondrement du Système et les dévotions benoîtement rendues aux vertus modernistes de la liberté de parole et du droit à la transparence des whistleblower... Que nous importe, puisque le résultat est un formidable déluge (encore ce mot) antiSystème et une situation juteuse (pour nous) de “discorde trouillarde chez l’ennemi”.

• Le troisième front est le front intérieur washingtonien. Depuis l’énorme coup de tonnerre du vote de la Chambre sur les pouvoirs de la NSA (voir le 26 juillet 2013), depuis que l’un ou l’autre trublion s’est emparé de l’affaire, notamment le député Grayson qui avait organisé une audition anti-NSA à la Chambre le 31 juillet (voir le 27 juillet 2013), les employés-Système sont en mode de panique défensive, – Obama en premier certes, cet homme de tous les arrangements possibles au profit du Système. Comme nous l’avons noté dans notre F&C du 1er août 2013, Obama a court-circuité l’initiative Grayson ; comme ceci, selon les termes même de notre observation : «La dernière péripétie à cet égard est l’annonce-surprise [...] de l’annulation des auditions anti-NSA à la Chambre, auxquelles devait participer Greenwald. C’est Greenwald lui-même qui l’a annoncé à “Politico.com”, mettant en évidence l’étonnante “manœuvre” de l’administration Obama, qui ne prend plus aucune espèce de précaution pour lutter par tous les moyens contre l’offensive anti-NSA, montrant son état de panique à mesure, dans ce débat : “But Greenwald now tells Politico that the hearing has been canceled due to Obama's decision to meet with House Democrats. 'Obama developed a sudden and newfound interest in House Democrats and scheduled a meeting with them for that same time,’ he wrote in an email, adding that the committee was trying to re-schedule the meeting to take place before congress goes on recess.”»

Le point intéressant est que, pour justifier cette annulation, Obama a effectivement reçu des démocrates, pour leur parler de la NSA. Tout cela est de la pure communication-bidon dans le mode chausse-trappes, sauf qu’il a bien fallu que le BHO meuble son entretien. Il a donc fait des promesses ; si l’on connaît la capacité d’Obama d’oublier les promesses, il n’empêche qu’elles ont été faites et qu’elles ne sont pas tombées dans les oreilles d’autant de sourds qu’il y avait parmi les démocrates invités. Cela fait que, la fronde anti-NSA devant se poursuivre en septembre, certains disposent désormais de munitions présidentielles (promesses-bidon mais tenues pour vraies et qui ne peuvent être démenties) pour mener leur charge, tandis que les républicains s’apprêtent déjà à dénoncer la honteuse capitulation d’Obama aux dépens de la sacro-sainte sécurité nationale. Le marigot washingtonien le sera encore un peu plus, en septembre... Quelques mots dans le Guardian du 1er août 2013.

«President Obama told key members of Congress on Thursday that he was “open to suggestions” for reforming the National Security Agency surveillance programs that have embroiled his administration in controversy.

»Ron Wyden, the Oregon Democrat who is among the Senate's leading critics of the NSA's bulk phone records collection, said he left a meeting at the White House confident that “constructive” changes to the programs would soon take shape. “The president said, and I accept what he said, that he was open to suggestions,” Wyden told the Guardian after the White House meeting. “And I smiled and said, ‘You all are going to get a number of them from me.’” Wyden said he “just plain out said” to Obama that the NSA's bulk ongoing collection of hundreds of millions of Americans' phone records “must end”.»

La crise Snowden/NSA vaut-elle celle de l’automne 2008 ?

Cet épisode “multidimensionnel” du 1er août confirme d’une façon éclatante le caractère exceptionnel de la crise Snowden/USA, et sa capacité à se développer, simultanément, sur les divers fronts qu’elle a ouverts. Encore ne mesure-t-on pas, dans une telle occurrence, les retombées indirectes de ces “éruptions” sur la situation générale. Par exemple, la fureur du Congrès, ce “fou du Système” qui engendre un désordre extraordinaire, s’exprime certes contre la Russie dans le chef des républicains, mais aussi contre Obama si Obama ne se montre pas assez ferme au goût du duo clownesque McCain-Graham, avec conséquences, notamment, contre les projets de la Maison-Blanche d’entreprendre un rapprochement avec l’Iran... Tout se tient, dans un Washington emporté par plusieurs folies simultanées et dominé par une constante radicalisation verbale et de communication, d’autant plus exubérante qu’en réalité les USA n’ont plus les moyens de ces emportements, – il s’en faut de beaucoup.

Toujours pour le même exemple, cette pression républicaine antirusse à potentialité anti-BHO “sur la droite” du susdit BHO, ne réduit absolument pas la pression “sur la gauche” (les étiquettes sont de pure convenance, tout se mélangeant à cet égard), dans le domaine complètement différent des libertés civiques et de la surveillance type-Goulag de la NSA. L’épisode d’hier, qui devait achever de neutraliser l’opposition type-Grayson/Amash rassemblant des républicains libertariens et populistes, et des démocrates libéraux-progressistes, sinon populistes dans le chef d’un Grayson, donne au contraire des arguments pour relancer l’offensive passant par le relais forcé d’un BHO qui sera d’autre part serré de près par les républicains. Le président, qui veut contenir toutes les tendances regroupées en deux courants en offrant des concessions de façade aux uns et aux autres, est affaibli sur ses deux flancs par les poussées de toutes les tendances, chaque affaiblissement par l’une devant profiter indirectement à l’autre. Le désordre domine ainsi plus que jamais, Obama étant le pôle magnétique central de ce désordre, qu’il suscite involontairement et renforce par ses attitudes ambiguës et ses manœuvres dissimulées. Le désordre domine plus que jamais, alors que l’on sait bien, ou que l’on devrait savoir, que l’enjeu n’est pas dans le paysage washingtonien la réforme de l’irréformable NSA, mais bien, finalement et sous la pression de cette crise dans son exploitation du système de la communication, la première attaque directe portée contre le bras armé du Système, c’est-à-dire son infrastructure agressive et déstructurante, – qu’on la nomme complexe militaro-industriel, National Security State ou quoi que ce soit d’autre. Et personne dans cette mêlée, bien entendu, – y compris les anti-NSA, – n’a vraiment conscience de la vérité de l’enjeu et du bouleversement qui pourrait en résulter, qui mettrait en cause l’équilibre même du système de l’américanisme et, au-delà, du Système lui-même.

... Comme l’on voit, nous parlons peu des Russes, alors que, tout de même, la principale nouvelle hier est venue de Russie. C’est bien là que la crise Snowden/NSA est exceptionnellement “première“ et, par son caractère diluvien, tout à fait exceptionnelle. Où et de quelque façon qu’elle se manifeste, dans quelque direction qu’elle s’oriente lors de tel ou de tel épisode, l’effet de cette crise est toujours le plus fort et le plus affirmé à Washington même, au cœur du cœur du bloc BAO, manifestant ainsi sa puissante convergence avec la crise d’effondrement du Système... Par conséquent, cette “crise première” et cette “crise diluvienne” en une seule crise, plus que jamais maintenue et développée selon l’hypothèse qu’elle pourrait bien être le “modèle” exemplaire de la crise d’effondrement du Système. Dans cette occurrence, c’est plus que jamais notre conviction que les Russes ont peu à perdre et beaucoup à gagner dans cette aventure, parce qu’ils sont fixés dans leur rôle antiSystème, que l’“importance” des relations USA-Russie est une chose du passé enterrée avec les restes de la Guerre froide et les efforts louables (des Russes) mais sans espoir de rétablissement de relations internationales ordonnées. La crise Snowden/NSA, là aussi, devrait définitivement enterrer le “modèle” classique des relations internationales héritées de la guerre froide, déjà torpillé par 9/11 malgré les efforts stabilisateurs et principiels des Russes. La crise générale emporte tout et c’est elle qui dicte sa loi chaotique.

“Snowden, combien de divisions ?”, auraient dit, in illo tempore, nos experts en géopolitique voyant surgir ce “scandale” qui n’aurait même pas mérité dans leurs rapports confidentiels le nom de crise passagère. Ce temps-là est bien fini, et comptent essentiellement les effets du système de la communication (voir le 25 décembre 2006, – comme le temps passe) ; lequel système est d’ailleurs, on le comprend sans plus s’y attarder comme devant une évidence, le seul capable de mettre à nu des monstres du calibre de la NSA dont tout le monde chez nos experts connaissait bien entendu l’existence mais dont personne n’était capable de la substantiver avec cette puissance et les effets de choc qu’on constate aujourd’hui. De ce point de vue, ce “freluquet de 30 ans”, ou ce “29-year-old hacker” (BHO : «[N]o, I'm not going to be scrambling jets to get a 29-year-old hacker»), ce Snowden est en train de faire le travail d’un nombre incalculable de divisions, en lisant modestement Dostoïevski et en déchiffrant avec zèle l’alphabet cyrillique. Ses “divisions” à lui sont le produit extraordinaire de la miniaturisation de la surpuissance du système du technologisme, retournée contre le système du technologisme par les effets innombrables, type billard à milliards-de-bandes, du système de la communication en mode Janus, par lequel le Système bascule si aisément de sa dynamique de surpuissance vers sa dynamique d’autodestruction... Et le reste suit, tant bien que mal, toutes les puissances terrestres du Système, et l’orientation des réactions antiSystème nécessaires, selon les trajectoires improbables mais complètement inéluctables des effets multiples de cette crise.

La crise Snowden/NSA est bien diluvienne en plus d’être “première”, en plus d’être impérialement inscrite dans l’infrastructure crisique qui assure à la fois sa pérennité et son efficacité. Elle apporte cette dimension nouvelle de la “pluridisciplinarité” que peut atteindre une crise, en partant dans toutes les directions et en touchant tous les domaines, tout en maintenant avec une rigueur étonnante la cohésion de sa logique qui, chaque fois, la ramène au centre bouillonnant du Système et du bloc BAO, à Washington même. Devant une telle persistance qui transforme la résilience, d’une capacité de renaître à une affirmation constante de son existence avec les effets à mesure, on doit commencer à s’interroger pour savoir si l’on ne se trouve pas, avec cette crise Snowden/NSA, à une étape aussi importante dans le course de l’ébranlement du Système, que l’étape précédente qui est la crise financière de l’automne 2008.