Un “triomphe” pour l’Europe et un défi pour les USA

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Un “triomphe” pour l’Europe et un défi pour les USA


28 mai 2003 — L’Europe, quoiqu’elle en veuille selon qu’elle est la “vieille Europe” ou la “new Europe”, est enchaînée à la logique de la puissance que les États-Unis imposent aux relations internationales. S’il y a unipolarité, ce n’est pas au niveau de la structure du monde comme le prétend Tony Blair pour donner un alibi à sa politique, c’est au niveau de la logique de la dynamique des relations internationales. Dès lors que le principal acteur impose une logique de la puissance, celle-ci, par son poids et son potentiel de destruction, entraîne le reste. L’Europe est condamnée à “l’Europe-puissance”, ou bien à ne pas exister.

La journée d’hier est une illustration de cette réalité. Trois décisions ont été prises, auxquelles on ajoutera, comme une cerise symbolique sur le gâteau, l’annonce de la performance de l’euro qui a atteint son record absolu par rapport au dollar, à $1,19, avant de retomber légèrement. On comprend que la logique que nous décrivons, et notre commentaire, conduisent à une appréciation qui se développe par rapport à une concurrence entre l’Europe et les États-Unis.

Les trois décisions d’hier sont les suivantes :

• La signature du contrat entre sept pays européens et Airbus pour le lancement de l’A400M de transport militaire stratégique, et la production de 180 exemplaires. Le programme a un fort potentiel d’exportation. (L’Allemagne achète 60 exemplaires, la France 50, l’Espagne 27, le Royaume-Uni 25, la Belgique 7, le Luxembourg 1. Le programme est évalué à 20 milliards d’euros.)

• Le lancement du système de navigation par satellite Galileo a été formellement décidé (premier lancement d’un satellite, septembre 2005) . Ce système est concurrent du système GPS, américain.

• L’Agence Spatiale Européenne a décidé de relancer le lanceur spatial Ariane 5 (achat de nouveaux lanceurs, commande de la version 5ECA pour lancements doubles), ce qui devrait contribuer à sortir le consortium de ses difficultés économiques.

Nous ne nous attachons pas aux aspects économiques et industriels de ces décisions. Considérées de la sorte (économiquement et industriellement), ces décisions apparaissent comme innocentes. D’autre part, et toujours considérées stricto sensu, elles constituent en général des décisions défensives (Ariane) ou tardives et illustratives des difficultés européennes (A400M, Galileo). Sous ce regard, elles seraient plutôt le signe de la faiblesse et des hésitations européennes, d’ailleurs une appréciation assez proche des réalités.

Considérées d’un point de vue politique et stratégique, l’appréciation est complètement bouleversée, exactement inverse : ce sont trois pas en avant de l’Europe dans le domaine stratégique souverain de l’industrie stratégique par excellence, — l’industrie aérospatiale. C’est de ce point de vue que les USA observeront ces trois décisions, et ils les percevront comme un défi de puissance (au grand dam des Européens, n’en doutons pas et soyons compatissants à leur égard). Par exemple, certains Européens n’ignorent pas que les principales agences de sécurité nationale des USA considèrent la “destruction” de Galileo (par blocage, abandon, etc) comme « la deuxième priorité stratégique des États-Unis pour les 5 prochaines années ». Les Américains iront même jusqu’à considérer que certains de leurs “amis” en Europe (UK, Espagne, Italie), en participant à l’un ou/et l’autre de ces programmes, ne font rien moins que “trahir” leur engagement pro-américain.

On peut argumenter justement qu’il s’agit d’une interprétation, par rapport à la réalité. C’est vrai. Cela correspond aux méthodes actuelles et à la structure psychologique même de la perception de la puissance aujourd’hui. L’aspect offensif et stratégique d’affirmation d’une “Europe-puissance” a, de ce point de vue, autant de réalité que le soi-disant “triomphe” américain en Irak, dont on sait combien il est cousu de fil blanc.

C’est la perception qui compte, puisque les Américains le veulent ainsi. Cette perception dit que l’Europe s’affirme comme une puissance, au travers de ces trois décisions. C’est ainsi que les Américains les interpréteront. Ils y verront un défi majeur jeté à leur propre puissance.