Un petit bout d’histoire

Les Carnets de Badia Benjelloun

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 4715

Un petit bout d’histoire

Les directions syndicales ne défendent plus les travailleurs ni leurs droits depuis longtemps. Les raisons de cette abdication sont multiples et intriquées.

Il y eut la reprise en mains de la lutte (des classes et c’est bien parce qu’il y a lutte qu’elles existent) et l’offensive idéologique du patronat après 1968. 

Le pouvoir avait chancelé et la bourgeoisie a pris peur devant l’ampleur des grèves et de la protestation sociale.

Résultats immédiats de mai 68

35% d’augmentation de salaires et une amélioration substantielle des conditions de travail furent obtenus. L’accroissement du pouvoir d’achat a alors fait tourner à plein régime la production capitaliste. Les réformes ont conforté le système, largement appuyé sur un capitalisme d’Etat. Elles ont plongé les couches sociales susceptibles de contestation dans une frénésie consumériste tandis que la frange intellectuelle petite-bourgeoise a adopté la version rebelle sociétale du lanceur de pavé chevelu. Le capitalisme dans son centre historique a généré des amortisseurs de crise en son sein, alors qu’à sa périphérie, les guerres et les coups d’Etats ont assuré la mise en pratique des théories économiques de Milton  Friedman, ennemi de l’Etat Providence, chantre du libéralisme à outrance et théoricien du nécessaire chômage structurel. Le coup d’envoi solennel de cette contre-révolution mondiale fut le renversement du gouvernement socialiste au Chili et l’assassinat de Salvador Allende le 11 septembre 1973.

L’autre effet de la révolte de mai 68 en France fut l’implantation reconnue légitime d’antennes syndicales dès le 5 décembre 1968 dans le paysage de l’entreprise.

Travail fragmenté

Les rues pavées de Paris furent recouvertes de bitume, les grandes écoles et les instituts furent déménagés en banlieues, les enseignements délivrés en faculté morcelés entre divers sites.  Les entreprises ont commencé leur mouvement de déconcentration, fragmentant leur production. Elles ont confié une part de leur activité à des sous-traitants et bientôt, plus qu’externaliser ce qui ne leur semblait pas concerner le cœur de leur métier, à délocaliser vers des pays au moindre coût salarial et sans tradition syndicale, ou tout au moins là où les régimes étaient en mesure d’étouffer toute opposition.

Ainsi, le nombre de syndiqués s’effondre, faute de sites avec forte concentration de travailleurs.

Émiettement syndical

De plus, le mouvement syndical s’est émietté au cours des décennies, faisant une large place à des formations et des courants réformistes, soutenus et structurés par le Parti Socialiste. Le mode de promotion des représentants syndicaux dans les instances dirigeantes évolue, il tient compte d’une diversification selon la sensibilité politique et la confession au lieu de s’en tenir aux militants de terrain munis d’une expérience en entreprise ayant acquis une culture syndicale.

La bureaucratisation en germe ira en se développant, transformant l’outil combatif en ‘corps intermédiaire’ dédié au dialogue social. La participation à l’élaboration du Programme Commun de la Gauche qui assurera le triomphe du PS et l’extinction progressive du PC a certainement contribué à l’amorçage vers une pratique de conciliation avec le patronat plutôt que l’engagement dans les négociations. 

De même, l’émergence de coordinations professionnels impliquant syndiqués et non syndiqués va faire évoluer la convergence des luttes concrètement organisées dans des confédérations vers un corporatisme où ne s’arrache que le rejet d’une réforme sans perspective d’ensemble ni d’action à long terme.

Abandon des luttes, financement opaque 

La CGT a rejoint la  Confédération européenne des syndicats en 2000  et la CSI (*) en 2006, rejoignant la CFDT. Elle a rompu avec sa doctrine internationaliste, tout à fait étrangère au globalisme, stade actuel du capitalisme, et progressiste.

Faute de cotisants, la France est le pays ayant le moins de syndiqués en Europe, les ressources financières des syndicats sont  distribuées par le CES, lui-même pouvant être considérée comme organe de relai des décisions du Conseil européen. L’Union européenne élabore des programmes d’information et de formation des organisations de travailleurs (18,2 millions d’euros annuels), de relations industrielles et du dialogue social (13,95 millions d’euros annuels). Depuis 2014, les entreprises versent 0,016% de leur masse salariale à un fonds,  l’AGFPN,qui reçoit également des subventions de l’Etat afin qu’il redistribue cette manne aux ‘partenaires sociaux’. La Cour des Comptes qui estime que l’AGFPN devrait contrôler mieux l’emploi de cet argent destiné essentiellement à la formation professionnelle, émet des  réserves sur l’opacité  du financement du dialogue social.

Un nombre faible d’affiliés, un financement délivré par l’Union européenne, le patronat et l’Etat, voilà de quoi ligoter des organisations qui ont pour objectif la défense des travailleurs contre ses trois entités donatrices. Dans le même temps, les changements opérés par les gouvernements successifs, à partir de l’arrivée au pouvoir du PS, dans les bastions où les syndicats exerçaient leur pouvoir de représentation ont amoindri leurs capacités de négociations.

Réduction du périmètre

La réforme de Rocard en 1991 a institué la  Contribution Sociale Généralisée  comme un impôt qui modifie le paradigme du financement de la Sécurité sociale. Jusque là composé des revenus du travail avec une part patronale et une part versée par le salarié, il permettait à la Sécu d’être sous le contrôle de ses cotisants paritairement. Au fil des années, le taux de prélèvement sur les revenus d’activité, de remplacement et du patrimoine s’est élevé tandis que le champ de la protection sociale auquel elle contribue s’est élargi.

Depuis début 1996, sous le gouvernement de Juppé, le budget de la Sécurité Sociale est voté au Parlement. La gestion des fonds récoltés échappe à la prérogative des travailleurs cotisants ainsi qu’à leurs représentations syndicales. 

En 2018, parmi la salve de réformes imposées par Macron, Monarc 1er, aux Français réfractaires figure la modification du financement des caisses d’indemnisation des chômeurs. Depuis octobre 2018, la cotisation salariale d’assurance chômage (2,4% du salaire brut) a été annulée et remplacée par une augmentation de la CSG de1,7 point. Ce qui constituait un salaire différé a été transformé en impôt distribué par l’Etat. Ainsi redéfini, il échappe au domaine de négociation des syndicats.

Les institutions de représentation ont ainsi perdu des pans entiers de leur activité antérieure.

Le 5 décembre, cette fois de l’an 2019

C’est dans le cadre de cette impuissance des structures syndicales progressivement construite face au patronat que va avoir lieu cette grève du 5 décembre contre la réforme des retraites.

Bien sûr, c’est la base des travailleurs qui l’a imposée. Le passage en force de la loi Travail improprement intitulée El Khomri tant elle  puait la signature de son véritable auteur, Macron, le futur Monarc 1er, a eu raison de la patience des salariés qui ne comprenaient pas le rituel des manifs du samedi sans lendemain et qui malgré leur innocuité ont été le prétexte de gazage et de répression féroce des forces de l’ordre. Les mercenaires du capital avaient été surmenée par les mois de mobilisation sans repos nécessités par l’état d’urgence décrété pat Hollande suite aux attentats. Ils étaient entraînés à répondre sur le mode de guerre urbaine et c’est ce qu’ils ont fait  y compris lors du traditionnel et paisible premier mai 2016.  

Toutes les garanties sociales se sont effritées, l’assurance maladie, l’assurance chômage. Les allocations familiales sont passées sous le régime de la fiscalisation et l’aide soumise à des conditions de ressources. L’Union européenne a engagé ses Etats membres à généraliser les reculs sociaux établis par les lois Hartz en Allemagne en 2002. L’accord d’entreprise sera préféré aux accords de branches et les salariés devront accepter le non paiement du chômage technique et la réduction de leurs salaires pour conserver provisoirement un emploi.

Le mouvement des Gilets Jaunes, son obstination, l’absence de hiérarchisation dans ses rangs intrépides ont contaminé le monde des travailleurs. 

Les directions ont dû s’incliner sous la poussée de leurs bases.

Le pouvoir habitué depuis des décennies à l’apathie d’un peuple qu’on a voulu confiner à l’acquiescement, entériner son appauvrissement et son exploitation cynique, n’a pu imaginer le surgissement d’un événement inattendu et durable. Il s’affole.

La grève va être massive et concerner toutes les branches professionnelles. Elle risque de durer plusieurs jours. La  SNCF a suspendu  les ventes des billets pour les 6, 7 et 8 décembre.

Le gouvernement reculera et d’une manière ou d’une autre la réforme des retraites sera remisée. Ce succès ne sera pas suffisant pour renverser le système capitaliste, capable de se régénérer tant qu’il n’est pas mis hors d’état de nuire, soit aboli.

 

Note

(*)  La FSM a été fondée en 1945 à Paris comme fruit de la lutte victorieuse des travailleurs du monde entier lors la Seconde Guerre mondiale. Cette unité de classe réalisée par les travailleurs du monde a incité le gouvernement américain les pays capitalistes alliés à utiliser tous les moyens pour l’affaiblir. Avec les interventions de la CIA et d’autres mécanismes impérialistes qui visaient à saper la FSM, se fonde la CISL en 1949. La CISL s’est dissoute lors de son congrès du 31 octobre 2006 pour permettre l’intégration de ses membres au sein de la nouvelle Confédération syndicale internationale. Son siège, partagé avec la Confédération européenne des syndicats se trouvait à la Maison syndicale internationale à Bruxelles.

Donations

Nous avons récolté 1525 € sur 3000 €

faites un don