Un nouveau “front” au Sud ?

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Un nouveau “front” au Sud ?

• Nous parlons cette fois, essentiellement, du Mexique qui est un de ces pays qui nous intéressent, parce qu’il est sur une immense frontière avec les USA, parce qu’il ne cache pas son opposition à tout antirussisme dans l’Ukrisis, parce qu’il a un président de gauche qui vaut quatre ou cinq présidents de droite standards en Europe. • Or, les militaires US dénoncent Mexico comme un “nid d’espions russes”. • Le même jour, les Mexicains inaugurent avec des diplomates russes un “Comité d’amitié” Mexique-Russie. • Il est aussi question de pétrole. • Suivons le Mexique...

“Front-Sud” ? On ne parle pas de la Géorgie, que la valeureuse phalange churchillienne qui conduit l’Ukraine voudrait voir prendre les armes contre la Russie, – et qui s’est méchamment fait renvoyer dans les cordes par les amis géorgiens (politique neutre et anti-sanctions) et les sondages populaires (64,7% des Géorgiens contre les sanctions) ! On parle bel et bien du continent sacré et isolationné, où se font entendre les premiers bruits concrets d’une mésentente entre le Mexique et son dynamique président AMLO d’une part, les États-Unis et leur président-EPHAD d’autre part.

Il y a plusieurs points intéressants à cet égard, montrant à la fois le mécontentement inquiet de la communauté de sécurité nationale du système de l’américanisme, et la posture défiante d’AMLO dans un environnement latino-américain plutôt sacrément favorable à la Russie. D’abord quelques détails à propos des préoccupations US, venant du général VanHerck, commandant le Northern Command qui couvre le territoire même des USA, ses frontières et son “extérieur proche”.

« S’exprimant lors d’une audition publique, jeudi au Congrès, le général VanHerck a déclaré que l’ambassade de Russie à Mexico était l'une des plus grandes de toute l’Amérique latine. Il a ajouté que l'ambassade accueille un nombre inhabituellement élevé d’officiers de la Direction principale de l'état-major général des forces armées russes. Connue sous ses initiales russes, GRU, cette direction est la principale agence de renseignement militaire de Moscou. Selon le général VanHerck, le GRU utilise les installations diplomatiques russes au Mexique comme base pour accéder aux États-Unis.

» Le général a ajouté que les agents de renseignement russes et chinois étaient “très agressifs et actifs” dans toute la zone qui relève de la mission régionale du Commandement nord des États-Unis, y compris dans les îles des Caraïbes, comme les Bahamas. Alors que la concurrence en matière de renseignement entre les États-Unis et la Russie s'intensifie au sujet de l'Ukraine, l'Amérique latine et les Caraïbes ont le potentiel d'attirer du personnel de renseignement des États-Unis et de la Russie. »

Pratiquement en même temps que le général VanHerck nous exprimait ses inquiétudes, une autre nouvelle venait encore plus obscurcir les cieux de la frontière entre USA et Mexique. Cette fois, cela se passait à Mexico, et il s’agit de la mauvaise humeur de l’ambassadeur US du nom de Salazar, – “Salazar”, suprême adresse des services de la com’ de cette immense puissance multiculturelle et multiethnique que sont les USA, – Salazar dont certains mots (« Cela, désolé, ne doit pas arriver. Cela ne doit jamais arriver ») résonnent un peu comme une menace...

« L’information [VanHerck et la fourmilière du GRU à Mexico] est apparue pratiquement en même temps que les plaintes que l'ambassadeur des États-Unis au Mexique, Ken Salazar, a formulées après que la Chambre des députés a procédé mercredi à l'inauguration d’un “comité d’amitié” Mexique-Russie en présence de diplomates du Kremlin. Cette décision a été prise juste avant que l'invasion de l'Ukraine n'entre dans son deuxième mois.

» “Nous devons être solidaires avec l'Ukraine et contre la Russie”, a déclaré Salazar devant la chambre basse du Congrès mexicain jeudi. “L’ambassadeur russe était ici hier, faisant beaucoup de bruit sur le fait que le Mexique et la Russie sont si proches. Cela, désolé, ne doit pas arriver. Cela ne doit jamais arriver”, a-t-il ajouté. »

Toute cette agitation n’entame en rien l’allant et l’ardeur de Lopez-Obrador, dit président-AMLO. Au contraire, il prend toutes ces choses avec une certaine hauteur tonitruante et rappelle qu’on ne peut pas parler du Mexique de cette façon, – surtout les gringos-yankees d’au-delà du Rio Grande. Si la dépêche écrit qu’AMLO “semble éluder” la question sur les propos de VanHerck, nous dirions plutôt qu’il s’assoit dessus dans le genre “Circulez, y’a rien à voir”.

« Vendredi, lors d’une conférence de presse prévue à Mexico, le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, a semblé éluder une question d’un journaliste sur les allégations du général VanHerck. Lorsqu'on lui a demandé de répondre à ces allégations, le président Obrador a déclaré que lui et son équipe “n'ont pas d'informations à ce sujet”. Il a ensuite déclaré que le Mexique était un “pays libre, indépendant et souverain”, ajoutant que le territoire du pays n'était pas une base à partir de laquelle “Moscou [...] Pékin ou Washington" pouvaient "espionner qui que ce soit”. »

Il est intéressant que l’inquiétude exprimée par VanHerck vienne du commandement essentiellement interne de Northern Command et non de Southern Command, qui couvre les territoires des pays d’Amérique Latine, où le Mexique a sa place (les deux commandements se chevauchent un peu, ce qui ne doit pas être triste au niveau bureaucratique). Cela signifie que la “menace”, puisque “menace” il y a, est perçue du point de vue de la sécurité intérieure des USA, et non de sa projection stratégique vers le Sud, – donc plutôt défensivement qu’offensivement.

Par ailleurs et malgré l’immense sympathie qu’on, peut avoir pour AMLO, on admettra que la situation ainsi décrite n’est pas sans précédent. Le Mexique a déjà abrité des personnalités communistes ou antiaméricanistes, et admis souvent une activité importante des Russes, qu’ils soient de l’URSS ou de maintenant. Le cas le plus important est bien entendu celui de Trotski, résidant au Mexique dans les années 1930, jusqu’à son assassinat par le dénommé Ramon Mercader. Il est évident que le FBI et toutes les diverses agences de sécurité nationale, civiles et militaires, n’ont pas oublié cette sorte d’avatars, dont les effets à craindre sont effectivement intérieurs et relèvent de la subversion révolutionnaire.

Là-dessus se greffe un autre problème qui est celui des relations USA-Mexique en matière d’énergie, sujet d’une formidable importance dans ces semaines d’Ukrisis, avec les remous formidables de circulation et de  contraintes nées de l’affrontement entre les USA et la Russie et la pression des diverses sanctions. AMLO a décidé depuis 2018 de réorganiser complètement la politique d’exportation-importation de pétrole avec les USA, c’est-à-dire de la liquider : exporter le brut mexicain aux USA et importer d pétrole raffiné des USA (« C’est comme exporter des oranges et importer du jus d’orange » explique-t-il joliment pour mettre en évidence l’absurdité de la chose, ou la dépendance mexicaine artificielle des USA qui grève la souveraineté mexicaine). Ces plans ont été finalisés en 2020 et 2021, avant Ukrisis, mais apparaissant soudain, du point de vue des USA, comme une attaque contre les USA faisant du Mexique un allié objectif de la Russie :

« Le Mexique est le deuxième plus grand exportateur de pétrole vers les États-Unis, et le plus grand importateur de pétrole raffiné américain. Mais l'année dernière, le gouvernement mexicain a annoncé qu'il arrêterait toutes les importations de pétrole vers les États-Unis pour répondre à sa propre demande intérieure et a réduit de moitié ses exportations vers les USA. Cette réduction soudaine n'a pu être compensée par les USA que par du pétrole russe. Le Mexique a en outre annoncé qu'il arrêterait toutes les exportations de pétrole vers les États-Unis à la fin de 2023, ce qui signifie que, lors des élections présidentielles américaines de 2024, les Américains peuvent s'attendre à payer plus de 8 dollars pour chaque gallon d'essence. Le président mexicain  déclaré qu'il voulait éliminer la dépendance du Mexique à l'égard des importations de carburant, comparant la vente de pétrole brut et l’achat de raffiné à la vente d’oranges et l’achat de jus d'orange. »

A toute cette liste amère, on ajoutera, cerise sur ce drôle de gâteau, la crise en activité constante de la frontière mexicaine des USA par où, affluent les illégaux. Difficile à estimer, ce flot semble atteindre une ampleur considérable depuis que l’administration Biden a semble-t-il (l’incertitude à cet égard vaut bien celle de l’Ukraine) abandonné toutes les contraintes de la politique mise en place par Trump, – 150 000 à 200 000 par mois, ou plus de deux millions d’illégaux prévisibles pour l’année fiscale 2022 selon des estimations d’adversaires de Biden, les autres s’abstenant d’une telle comptabilité.

L’ensemble donne la perception d’une situation de montée de tension. L’intervention du général VanHerck comme celle de l’ambassadeur Salazar montrent que les USA recherchent une situation de confrontation où ils pourraient rejeter la faute selon les canons de leur obsession antirusse et, à partir de là, mettre le Mexique en accusation. A partir de cette position, ils jugeraient avoir une bonne posture de pression pour obtenir des  garanties, et du pétrole éventuellement, du président mexicain. Toujours la même technique de la brutalité et de la force comme moyens de “négociation”, à partir d’une situation de puissance absolument désormais absolument fantasmée par leur référence à l’exceptionnalisme américaniste. Rien de nouveau dans la méthode, qui échoue de plus en plus souvent à mesure de l’affaiblissement de la puissance US ; par contre, la situation elle-même est objectivement nouvelle, avec le climat belliciste et l’obsession antirussiste déchaînés dans les élites et la direction US. Tout cela ne prélude guère à un apaisement de cette discrète mais bien à une réelle montée de la tension qui aurait cette fois pour cadree, non les frontières de la Russie mais celles des USA.

Plus mystérieuse est la  position et le comportement de AMLO. Le président mexicain, qui se place résolument à gauche, ne cache pas sa paradoxale méfiance de l’administration Biden, alors qu’il s’entendait plutôt bien avec Trump pourtant beaucoup plus à droite. La question posée est de déterminer si Lopez-Obrador n’a pas l’intention de dramatiser la situation à l’occasion d’Ukrisis, en cherchant à prendre une position de leadership rassemblant les diverses hostilités à l’encontre de la politique US, dans les pays d’Amérique Latine. Cette situation rejoint d’une certaine façon celle de la majorité des pays africains où Ukrisis est l’occasion d’exprimer une opposition jusque-là dissimulée mais devenue radicale, à la politique globaliste, néolibérale dirigée par les USA.

Tout cela fait sans aucun doute l’affaire des Russes, et réussir à faire inaugurer à Mexico un “comité d’amitié” Mexique-Russie après plus d’un mois de guerre en Ukraine montre bien qu’ils (les Russes) sont en survitesse pour profiter d’un tel climat ; et ce même événement montrant évidemment les Mexicains d’AMLO semblant de leur côté absolument engagés à renforcer cette évolution. Ukrisis est véritablement un facteur révélateur d’une puissance incroyable, destiné à mettre au grand jour un nombre considérable de tensions et de frustrations dissimulées ; un facteur révélateur qui élargit et élargira le champ de l’événement en le globalisant et en mettant en lumière et en cause à la fois la principale dynamique de déstructuration qu’est la “politiqueSystème” des USA.

 

Mis en ligne le 28 mars 2022 à 18H50

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