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239124 avril 2017 – J’ai laissé s’écouler quelques heures avant d’y revenir, pour m’assurer de mon sentiment dans cet instant-là... Un instant, juste un instant, cela ne dure pas longtemps. Qu’il soit d’ailleurs bien compris que cela ne présuppose rien, ni des prévisions de ma part, ni de la supposition d’une probabilité concernant la personne qu’on trouvera à l’Elysée dans un peu moins d’un mois, ni même d’une certitude quelconque sur tel ou tel personnage, ni enfin, encore moins, de mes goûts et choix en la matière qui sont d’ailleurs proches d’être inexistants pour ce qui tient à l’essentiel de mes préoccupations.
(Après tout, Micron [*], puisqu’on va très vite comprendre que c’est de lui principalement qu’il s’agit, pourrait se révéler comme ce tigre caché tout au fond de son moteur de la globalisation et prêt à se brandir lui-même hors des sentiers battus et dans le vent de la vitesse, et nous serions alors tous à nous exclamer, considérant le funambulesque personnage qui se serait dissimulé derrière la non-essence du moteur en question : “E miracoloso sporgersi”.)
J’ai connu cet instant exactement lorsque j’ai fait une incursion sur l’une ou l’autre chaîne TV de type-News aux alentours des 20H00 fatidiques, pour avoir une rapide idée des résultats, avec Micron en tête, puis j’ai changé de chaîne pour retomber je ne sais comment sur un téléfilm enregistré par une main citoyenne et situé à Verdun, où il y avait, hors d’une intrigue sans joie ni grandeur d’aucune sorte, au moins des images qui sont faites pour m’émouvoir, celle du grand champ de bataille sous la lune dont j’ai souvent parlé. La cohue citoyenne des commentateurs à propos des résultats, l’hystérie à peine contenue des commentaires-Système à propos de la position de leur champion, leur certitude absolue dissimulée derrière leur exultation contenue qu’il serait président, tout cela qui faisait brouhaha démentiel autour des résultats entrevus un instant était un peu trop pour ma fragile constitution psychologique. “Un instant de honte” ai-je d’abord pensé à écrire comme titre sans rien savoir de mon texte, puis passant à “un instant de dégoût”, puis après tout additionnant les deux ; la honte était celle d’être un Français alors qu’il y avait ce spectacle en-France [je ne dirais pas “de la France”], le dégoût concerne ce spectacle lui-même, France ou pas France.
Je m’explique bien clairement sur le fait absolument impératif qu’il ne s’agit en aucun cas d’une réaction partisane, ou bien politique ; ce n’est pas que je regrette ou pas que tel ou tel n’ait pas été dans les deux premiers, ce n’est pas que je ressentais ou non à l’instant, pour un instant, cette sensation de l’inéluctabilité de l’issue dans deux semaines, car cet ensemble hypothétique reste dans le jugement rationnel coloré d’emportements de la psychologie tout en gageant sur une prospective que je me refuse à faire. Non, il s’agit de l’intuition d’un instant, notamment mais symboliquement face à un personnage que je ne connais pas sinon par les ouï-dire de campagne mais que je perçois comme un puissant symbole de ce temps absolu où les déconstructeurs triomphent absolument : Micron, peut-être brave type au demeurant, comme candidat du rien, comme champion de la déconstruction et de la déstructuration accomplies. C’est un peu ce que Tom Engelhardt dit de Trump, alors qu’il s’était opposé à lui pendant la campagne selon l’argument quasi-explicite et absolument grotesque que Trump serait un nouveau Hitler, et qu’il le voit désormais, avec bien plus de sagesse et de lucidité, comme un “président-caméléon”. (“Président-caméléon” vaut assez bien l’autre image de “candidat du rien” : qui est caméléon n’est rien, – je parle du sapiens, n’est-ce pas ; pour ce qui est de l’animal, tout le contraire : son adaptabilité et son changement d’apparence selon le milieu se justifient par une tactique vitale dans la mécanique et l’esprit même de la nature où il évolue ; bref, le caméléon-animal a son destin à défendre, il n’est pas comptable de la charge de nos vertus démocratiques.)
Engelhardt écrit notamment ceci, à la date d’hier :
« Il [Trump] n’a pas été le créateur de la téléréalité, non plus qu’il n’a été à ses origines. Il a simplement perfectionné une forme qui était d’ores et déjà en développement. [...] Si vous voulez savoir exactement où nous en sommes dans cette Amérique qui a été pendant longtemps sur la voie de la recherche d’une sorte de société et d’une forme de gouvernement différentes, regardez-le. Il n’est le créateur de rien, mais il vous dit ce que vous avez besoin d’entendre. Pour l’instant, la guerre marche bien pour lui, pour sa stature domestique, quels que soient ses effets dans le monde réel, alors il adore la guerre. Pour l’instant, ces généraux sont évidemment “ses généraux” et il fait siennes leurs guerres. »
Cela introduit bien ce que je pense de ce Micron, succinctement, pour ce qu’il nous en a été donné de voir et éventuellement revenant sur mon jugement si, élu, il s’avérait nimbé par une sorte de grâce divine. Micron a été et continuera sans doute à être un “candidat-caméléon”, “créateur de rien” et qui “dit ce que vous avez besoin d’entendre”. Son discours de l’entre-deux sera une magnifique démonstration du “rien”, avec évidemment les colifichets d’assortiment sur la “mobilisation d’union nationale-et-républicaine contre le fascisme”. Je ne prends même pas la peine d’en faire le “candidat des banquiers”, qu’il est naturellement comme vous et moi car comment faire autrement, ni la chose fabriquée par les Attali-Minc, génies du temps du cercle carré de la raison, ni une sorte d’Emmanuel-Hollande, notaire devenu banquier pour devenir notaire et ainsi de suite. Il est tout cela mais, vraiment, quelle importance ? Le fait est d’abord que, brave type peut-être, il n’est rien par la force de choses qui le dépassent, sorte de rhizome à-la-Deleuze, créature de forme in-forme née de la pensée déconstructiviste et déstructurante de la caravane philosophique du même nom cheminant dans la postmodernité extrêmement sablonneuse et de dune en dune vers l’infini de la poudre aux yeux. (Je vous demande de m’excuser : plongé encore dans le bouquin de Mattei, je suis en plein dans la description rigoureuse de la catastrophe, du désastre déconstructeur.)
On me dira : par conséquent, vous croyez dur comme fer que Micron l’emportera ? Je ne crois rien du tout puisque tout est toujours possible... Ou bien, l’on me dira : alors, vous allez voter Le Pen ? Même pas... Ou bien : alors, vous auriez voté Mélenchon, si cela avait été possible ? Même pas sûr du tout. (D’ailleurs, hop ! Je ne vote pas, et passez muscade.) Ce qui est assuré, par contre, c’est que je ne fais là-dedans ni de l’analyse politique, ni une confession du type repentance sur mes penchants cachés et affreusement pervers. De tout cela, de l’intendance de la politique type-village global des salons parisiens, je me fiche bien complètement. Je vais même vous dire mon sentiment secret, rationnel celui-là : si Micron était élu comme 186% des commentateurs-Système attendent qu’il soit, peut-être bien qu’il apporterait, par différents voies et moyens, autant de bordel au sein du Système que n’en apporte Trump à Washington D.C... Le Système a le chic et le choc pour produire des non-êtres, des zombies-Système à son image exactement, ou pour transformer qui l’approche dans ce sens. Raisonner comme cela, c’est faire comme je fais couramment depuis quelques années, – que le Système triomphe, qu’il emporte tout dans sa surpuissance puisque lui seul détient la formule unique de son autodestruction nichée au cœur de cette surpuissance.
Non, ce dont je vous parle, c’est d’une époque exceptionnelle dans sa chute abyssale, et entraîneuse du monde vers le Mordor postmoderne, et je vous parle par conséquent du casting de la chose et de rien d’autre. Alors, je vous parle de la honte ou du dégoût qui m’ont saisi un instant devant cette production de bassesse et de médiocrité, devant l’aveuglement des votants, devant le vide du rien, et même de cette honte et de ce dégoût de moi-même cédant un instant à la honte et au dégoût ; parce que, vous savez finalement, tout cela se fait sans véritable conscience ni volonté de nuire dans le chef de toutes ces petites têtes bien faites, par simple attraction et fascination de la Chute dont seule la faiblesse de leurs psychologies épuisées est comptable.
Juste un instant, comme ça, vous dis-je...
(*) Bref, le vrai est que mon clavier continue à se rebeller et que je ne suis pas encore parvenu à le mater. Quand je tape le nom de l’heureux finaliste jusqu’alors candidat parmi d’autres, le “a” fout le camp et est remplacé par le “i”, de M[?]cron à Micron. S’il est élu, je ferai le nécessaire et je vous jure que le “a” rentrera dans le rang, et comment.
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