Un “incident” pas si innocent...

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Un “incident” pas si innocent...

15 avril 2016 – Nous revenons sur l’“incident” des 11-12 avril entre des avions de combat Su-24 et un hélicoptère Ka-27 russes, et la frégate USS Donald Cook, éventuellement avec d’autres unités navales ou aériennes du côté US/OTAN. Pour plusieurs raisons que nous allons développer, il nous semble que cet “incident” (en fait une série d’“incidents”) a une signification beaucoup plus considérable qu’une simple rencontre de démonstration ou d’avertissement entre des unités militaires russes et du bloc-BAO comme il peut y en avoir de façon assez banale lorsqu’il s’agit de signaler sa force, sa vigilance et sa détermination, l’un à l’autre.

(Cette pratique est d’autant plus courante qu’elle fut largement utilisée durant la Guerre froide, principalement entre l'URSS et les USA, dans les airs et sur mer, au point que certaines règles furent établies pour éviter une perte de contrôle de l’engagement, notamment par un traité sur les règles de conduite navale entre les USA et l’URSS en 1973. C’était alors une époque où un traité avait encore un sens, avec les deux parties conscientes de la nécessité de l’observer, cette observation valant essentiellement sinon exclusivement pour la partie US/OTAN qui avait alors une appréciation rationnelle des situations de tension ; elle en est aujourd’hui absolument et complètement dépourvue.).

Une première remarque concerne la gravité de l’“incident” du point de vue russe, ou plutôt russo-chinois parce qu’une intervention de communication de la Chine, dans la publication Global Times, permet d’avoir une appréciation indirecte de cette gravité. (La “gravité” de l’“incident” peut même être décrite physiquement, par l’impressionnante proximité du Su-24 de la frégate US à certains de ses passages, lorsque l’avions russe, selon un officiel US, volait si bas et si près du navire qu’il laissait un sillage dans la mer du au déplacement d’air.)

Même si Global Times est souvent plus tranchant que la plupart des publications chinoises, il n’en est pas moins une publication officielle de la direction chinoise, donc reflétant un aspect du sentiment de cette direction. L’article concernant l’“incident” Su-24-USS Donald Cook est extrêmement virulent et ne cache en aucune façon l’interprétation selon laquelle les Russes ont effectué une manœuvres (de communication par démonstration) extrêmement agressive, au sens propre et au sens figuré, contre l’US Navy ; ce qu’ils (les Chinois) approuvent totalement jusqu’à sembler même en redemander, et laisser entendre que les Russes n’en resteront pas là et, au contraire, riposteront de plus en plus durement à des actes du bloc-BAO considérés comme des “provocations”. De ce point de vue, on a la confirmation de l’importance de l’événement d’une part par son aspect d’extrême agressivité, désormais affiché indirectement, du côté russe ; d’autre part, part l’affirmation qu’il permet d’affirmer de la part de la Chine, que cette puissance se trouve du côté des Russes sans restriction, y compris dans des actes “agressifs” répondant à la pression agressive constante du bloc-BAO.  

Certes, les Chinois sont extrêmement sensible à ce genre de situations et cette sorte d’“incidents”, à cause des pressions qu’ils subissent du fait la constante pression, sinon de la pression intrusive de l’US Navy dans les mers de leurs côtes orientales, et cela d’une façon constante et agressive depuis plusieurs années. (De ce point de vue, il est évident que la Russie soutient les réactions chinoises comme la Chine soutient les réactions russes, comme autant de ripostes opérationnelles de communication.) Il n’empêche, la façon dont le journal chinois décrit l’“incident” est très emphatique, très agressive à l’encontre des USA, et saluant l’acte russe comme délibéré, offensif, etc., ce qui devrait correspondre à une vérité-de-situation admise par les Russes et les Chinois, entre eux, pour déterminer la présentation de la chose. L’alliance “défensive” sino-russe l’est de moins en moins, défensive, dans tous les cas dans les moyens et la dynamique de ces moyens. De la part des Chinois, c’est un changement de nature du jugement et de l’engagement au côté des Russes...

Quelques extraits de l’article chinois sont présenté et commenté par Paul Joseph Watson de Infowars.com, le 15 avril, de cette façon :

« The mouthpiece of the ruling Chinese Communist Party asserts that Russia “humiliated” an “arrogant” United States with its warplane passes near a U.S. missile destroyer in the Baltic Sea on Tuesday, an incident that the Pentagon described as a “simulated attack”. [...] [The editorial] characterizes the incident as a huge blow to American prestige. “The Russian pilots have demonstrated high professional skills to conduct such extremely dangerous maneuvers,” states the editorial. “The US military, which intends to provoke Russia in the Baltic Sea, was humiliated by its Russian counterpart instead. The US must feel furious.”

» The piece goes on to portray the warplane activity as an “embodiment of Putin,” who has helped achieve a power balance between Russia and the United States by repeatedly standing up to “arrogant US pressure”. Moscow will continue to use military provocations to challenge Washington even as its economy crumbles, asserts the editorial. [...] The fact that China, which is still embroiled in tensions with the U.S. over America’s involvement in the South China Sea dispute, is praising Russia’s willingness to use its military muscle to antagonize Washington, is perhaps not a great sign of things to come. »

L’interprétation chinoise de l’“incident” indique bien son importance, à la fois politique et symbolique, en plus d’être opérationnelle. Qu’il le veuille ou non (et il n’est pas assuré qu’il adopte cette politique avec enthousiasme), Poutine est conduit à suivre une ligne de durcissement qui répond aux préoccupations des militaires russes. Le caractère “agressif” de la démonstration des Su-24 est avéré et il répond directement aux préoccupations des militaires russes qui pèsent aujourd’hui, à cause de l’évolution des événements, d’un poids objectivement de plus en plus important dans la direction politico-stratégique russe. (Cette direction, c’est ce qu’on appelle “les Organes”, ce qui serait l’équivalent russe du concept d’“État profond”, mais considéré d’un point de vue positif puisque le principe de souveraineté des intérêts nationaux le domine. Poutine doit impérativement en tenir compte, outre le fait bien sûr qu’il partage au moins en partie la réaction de durcissement de ses militaires.)

...Mais on ne peut échapper au constat que ce caractère “agressif” de l’“incident” du point de vue des Russes répond au caractère “agressif” de manœuvres impliquant directement ou indirectement l’OTAN et se déroulant à 70-110 kilomètres (selon les sources, les unes parlant en kilomètres, les autres en miles nautiques), d’une base navale, proche de Kaliningrad, essentielle dans le dispositif de défense-offensive des Russes. Certes, cela rejoint les “manœuvres” durant la crise ukrainienne ou un zeste de brigade blindée US avait suivi la frontière russe des pays de l’OTAN, quasiment à quelques centaines de mètres, en manœuvre de démonstration, mettant ainsi des chars US à moins de 200 kilomètres de Saint-Petersbourg. Les dirigeants du bloc-BAO ont perdu à cet égard tout sens des choses, et ce qu’ils tiennent couramment et rationnellement pour “normal”, “légal”, sinon “de vigilance normale”, etc., leur apparaît hystériquement du côté russe comme des provocations qui deviennent à la fois inacceptables et insupportables. (Inutile de s’enfoncer dans les exemples du type “imaginez le Moskva faisant des manœuvres à cent kilomètres des côtes californiennes”, etc. Ils sont l’évidence même et suscitent des comparaisons hypothétiques écrasantes mais ne déclenchent strictement aucun écho chez les zombies-Système. Il n’y a rien à en attendre de ce point de vue, donc inutile effectivement de trop se perdre dans des démonstrations qui sont déjà faites par l’évidence des situations.)

Cet autisme de la redoutable catégorie des élites-Système du bloc-BAO ne cesse de s’accentuer et prend des dimensions absolument bouffonnes et abracadabrantesques. Ce que nous constatons, selon les échos que nous avons de milieux européens et même de milieux du renseignement, c’est qu’il n’y a là-dedans aucune construction machiavélique, sinon dans l’exécution, dans l’élaboration. Sur le fond des choses, savoir la question de la responsabilité et de la culpabilité russe, il existe une quasi-unanimité des services de sécurité et de renseignement (essentiellement européens, les US étant plus partagés) pour ne cesser de renforcer cette thèse, jusqu’à en faire un automatisme de jugement qui colore toutes leurs analyses. Nous parlons bien également des services de renseignement qui, après avoir connu une période où ils adaptaient, sans trop y croire, leurs analyses à la politique des directions nationales et supranationales, sont désormais en régime de croisière dans leurs narrative correspondant complètement à celles des directions politiques.

Cette situation psychologique sans précédent entraîne une politique de communication qui a nécessairement des conséquences opérationnelles. De ce côté, il existe un formidable courant de mobilisation et de vocifération antirusses qui est notamment alimenté par l’activisme absolument irrationnel, complètement réduit à l’affectivisme, notamment des membres de l’OTAN anciennement partie de l’Europe soviétisée. L’OTAN, essentiellement dans le chef des USA, y répond par une rhétorique agressive de constant renforcement de la préparation à un affrontement avec la Russie, pour conserver, toujours selon la préoccupation US, la cohésion de l’OTAN sous une influence exclusivement américaniste. Il y a un échange étrange de narrative, les anciens pays d’Europe de l’Est doublant leur hystérie paranoïaque antirusse d’une croyance absolue à la supériorité militaire des USA ; l’appareil de sécurité nationale des USA répondant à cet appel par des rodomontades, des gesticulations, des manifestations opérationnelles, des avertissements incessants à l’adresse des Russes.

Les militaires US, impliqués évidemment dans ce mouvement, vivent dans un univers complètement schizophrénique. A côté de ces roulements de tambour et de ces avertissements d’une montée en puissance imminente et irrésistible, ils ne cessent de décompter l’affaiblissement de leurs capacités face à la Russie, jusqu’à l’extrême de reconnaître la possibilité de la défaite. On a déjà vu tout cela, d’une façon directe ou indirecte dans des textes précédents (voir le 9 avril et le 13 avril). Tous les rapports, toutes les études, ne cessent de confirmer cet état de fait où rien, ni dans la programmation, ni dans la méthodologie, ni dans la situation du Pentagone, ne donne le moindre espoir de changement. Un exemple de cette évaluation de la situation vient encore d’être très récemment fournie avec un nouveau rapport catastrophique évaluant la situation de l’OTAN/des USA dans la zone de Baltique, à la lumière de très récents exercices dont nous avions dit qu’ils montraient l’écrasante situation de supériorité des Russes dans la zone Baltique/Pologne/Kaliningrad... Encore ce rapport suggère-t-il un renforcement immédiat avec l’envoi de matériels comme les engins blindés MI Abrams et M2 Bradley, que l’US Army considère d’ores et déjà comme dépassés et complètement vulnérables aux nouveaux systèmes antichars russes, ou comme l’avion F-35 (JSF) dont on connaît les caractéristiques absolument catastrophiques suggérant qu’il serait plutôt préférable d’envoyer des vieux F-16 de l’USAF réactivés hors de leur mise en sommeil dans la naphtaline des dépôt d’anciens avions déployés dans l’air particulièrement sec de l’Arizona, à Davis-Monthan Air Force Base.  Quelques extraits de ce rapport, de Sydney J. Freedberg, Jr., le 13 avril dans Breaking Defense.

« NATO would be dangerously slow to respond to a crisis scenario in the Baltics, warns a new report on a closed-doors wargame. That raises the unsettling possibility that in a Crimean-style land grab, Russia could simply seize what it wants before the US and its allies react. Compared to Vladimir Putin’s nimble mix of propaganda, cyber warfare, deniable proxies, and increasingly well-drilled regular forces, both NATO combat forces and decision-making processes are unwieldy and out of practice. US forces, meanwhile, are mostly too far away. Because units based in the US would take too long to deploy in time of danger, the report urges the return of US forces to Europe. Specifically, the authors call for adding two armored brigades with M1 tanks and M2 Bradleys, maritime patrol aircraft like the P-8, attack submarines like the Virginia class, and fighter aircraft like the stealthy F-35A.

 » “At this point, we only have a company” — less than 200 soldiers — “in each of the three Baltic States,” said report co-author Julianne Smith, a former White House and Pentagon official. “The feeling among US analysts and in the Baltic States is that’s not enough to serve as a deterrent.”

» The authors worry particularly about Sweden‘s Gotland Island, strategically located in the heart of the Baltic Sea — and utterly ungarrisoned. Since Sweden is not a member of NATO, moreover, an attack on Gotland would not trigger the alliance’s mutual defense clause, Article 5. As a result, the report warns, in the event of a crisis, the Russians might be tempted to grab Gotland. Russian anti-ship and anti-aircraft missiles on the island could then shut down the Baltic Sea to NATO reinforcements, what’s known as an “anti-access/area denial” (A2/AD) approach... »

La pensée réduite au cerveau reptilien du postmoderne

Il apparaît évident que les Su-24 ont effectué contre la frégate USS David Cook des manœuvres extrêmement “agressives” dans le langage des évolutions militaires navales de temps de paix, – avec cette réserve de savoir si nous sommes vraiment “en temps de paix” et si nous savons encore ce que c’est qu’un “temps de paix”. Il apparaît également évident que depuis des mois et des mois, pour ne pas dire des années et des années, les forces de l’OTAN, et principalement les forces armées des USA effectuent sur une base routinière des missions diverses, des manœuvres, des évolutions extrêmement “agressives” à l’encontre de la Russie d’une façon générale alors que l’alliance bien-connue de l’OTAN s’est étendue d’une manière “défensive” jusqu’aux limites les plus extrêmes de l’ère de sécurité de la Russie, c'est-à-dire la frontière de la Russie. Il apparaît enfin également évident que cette seconde vérité-de-situation est irrémédiablement et totalement étrangère, sinon ennemie absolue de la perception des élites-Système que l’on ne peut, en conséquence, qualifier dans le domaine de la qualité et de la capacité de la pensée que de “zombies-Système”.

La situation psychologique est à cet égard absolument effrayante ; elle n’a fait qu’empirer depuis, disons la première phase de la crise syrienne et surtout depuis la crise ukrainienne. A mesure que ces crises connaissent des périodes de répit dont il est tout aussi évident qu’elles sont pour beaucoup sinon pour l’essentiel l’effet de l’action apaisante de la Russie, cet antagonisme absolument aveugle contre la Russie n'a fait que se renforcer, que s’aggraver, qu’évoluer de paroxysme en paroxysme. La situation serait trop simple si l’on évoquait la schizophrénie, comme dans le cas vu plus haut des militaires US qui, par leurs obligations y sont d’une certaine façon contraints (contraintes du pouvoir civil et de sa politique versus comptabilité et évaluation de leurs forces). On parlera plutôt d’une état général désigné par le terme barbare d’anosognosie, qui caractérise une schizophrénie dans certains cas mais aussi d’autres affections, puisque définie comme « un trouble neuropsychologique qui fait qu'un patient atteint d'une maladie ou d'un handicap ne semble pas avoir conscience de sa condition » ; et il faut souligner que cela ne peut être compris comme un “déni”, particulièrement un déni de ce que nous nommons une situation-de-vérité, qui implique une démarche intellectuelle, volontaire ou pas, inconsciente ou pas, mais bien d’une pathologie et ainsi nous trouvons-nous dans le domaine médical, ou psychiatrique, et nullement dans le domaine politique... (« À l'inverse du déni, qui est un mécanisme de défense psychologique “normal”, cette méconnaissance par l’individu de sa maladie [l’anosognosie] est pathologique et peut refléter une atteinte de certaines aires cérébrales »).

Nous parlions plus haut de la situation dans nombre de services de renseignement, essentiellement européens parce que les Européens n’ont aujourd’hui plus aucune liberté de pensée à cet égard, avec la seule obligation obsessionnelle de leur propre psychologie suivre la narrative développée dans l’aire transatlantique, à laquelle les services correspondants US ne croient que partiellement, ou d’une manière changeante ou différente selon les circonstances et les différents services ou agences, et à laquelle les élites-Système des pays de l’UE de l’Est croit hystériquement parce qu’elle constitue leur raison d’être par rapport au passé communiste auquel ils ont collaboré. Cette situation est passée, dans ces services européens auxquels nous faisons allusion, du stade conjoncturel (comme cela peut l’être encore aux USA) à un stade de plus en plus structurel, et cela évoluant en fonction de la structuration psychologique fondamentale des individus, devenant zombies-Système, qui les composent de plus en plus.

Des échos intérieurs à ces services que nous recevons indirectement confirment absolument cette analyse, avec l’arrivée de nouvelles recrues qui sont issues de processus d’éducation et d’études de type postmoderne qui contribuent à l’acculturation des milieux sociaux et de mœurs sociétaux, avec l’installation d’une inculture et de psychologies totalement contraintes, le développement de cerveaux soi-disant cognitifs et réduits en fait à l’autonomie d’un cerveau reptilien se faisant passer pour producteur d’une pensée autonome. Ces individus qu’on pourrait quasiment identifier comme d’un type complètement nouveau, une sorte d'individus de “genre postmoderne” sans indication de sexe, influencent évidemment leurs propres directions qui se sont soumises aux narrative, mais qui oublient de plus en plus qu’il y eut effectivement à l’origine un acte de soumission et nullement une réflexion analytique. Le résultat de cette évolution est que la phobie antirusse, depuis le stade de “la seule façon autorisée de penser”, atteint le stade de “la seule façon possible de penser”, c’est-à-dire la seule véritable façon d’être pour ces divers services, – le renseignement certes, dont nous parlons, mais en cercles de plus en plus étendus, toutes les bureaucratie des organisations multinationales et de leurs États-membres venant s’agglutiner à ce noyau conducteur de la “seule façon possible de penser”.

Nous ne pouvons absolument rien voir comme issue normale qui puisse débloquer cette situation psychologique, avec la catastrophe intellectuelle qui s’ensuit évidemment. Ce tableau est évidemment lui-même absolument catastrophique, dans la mesure où il décrit non plus un emprisonnement mais bien une volonté arrêtée et d’autant plus forte qu’elle est inconsciente et impossible à débattre (anosognosie) d’établir la pensée dans un cadre qui serait considéré par un esprit normal comme un emprisonnement. C’est une situation psychologique qui trouve une lointaine parenté, – nul ne s’en étonnera pour cette situation des élites-Système européennes, qu’on pourrait considérer désormais comme bien plus américanisées que leurs équivalentes américanistes, – dans l’image de “la prison sans murs” s’appliquant à la psychologie et à la pensée qui en émane ; cette image venue de la réflexion que nous rapportions dans notre Glossaire.dde du 10 mars 2016, de la part d’auteurs US concernant les constats que Tocqueville avait rassemblés lors de sa visite des USA, en 1831, mais en se référant au système carcéral US qui était le premier objet d’étude de son voyage...

« Kroker, Kroker & Cook notent ceci : alors que “l’Europe aurait pu être appréciée comme ‘un musée sans les murs’ (où la force de l'ensemble social est distribuée par les résidus de culture qui forment un système guidant le déplacement des touristes, des artistes, et, de plus en plus, des capitalistes et de leurs gouvernements), [...] pour Tocqueville, l'Amérique était ‘une prison sans murs’, [... où] la puissance reposerait sur la quotidienneté technologique de la reproduction sociale, dans laquelle les deux pôles de la discipline et de la détente se nourriraient alternativement l'un à l'autre.” »

Cette situation de blocage rend absolument futile tout espoir d’avancée politique de la situation, tandis que, de son côté, la Russie ne cesse de durcir involontairement sa position. (Par “involontairement”, nous voulons signifier qu’elle y est contrainte, par réaction logique et normale, par la tendance générale qu’imposent les évènements, et l’“incident“ du Su-24 versus USS Donald Cook est une illustration de cette tendance.) Comme on l’a vu, il existe également un blocage du côté US, illustré par la schizophrénie imposée aux militaires entre leur politique de provocation et le constat de l’affaiblissement de leurs forces. Ce blocage existe dans ce sens où la direction politique américaniste est dans un état psychologique également proche d’une sorte d’ anosognosie, dans le sens où elle continue à affirmer l’exceptionnalité et la supériorité de puissance (notamment militaire) des USA malgré la vérité-de-situation inverse, l’ensemble de ces facteurs contribuant à faire des relations avec la Russie à la fois la référence et le test suprêmes de la politique-Système que constitue la politique extérieure US, donc la référence et le test suprêmes de l’exceptionnalité et de la supériorité de puissance des USA. Là aussi, nous évoluons vers un paroxysme selon ce constat que puisque la Russie continue à exister, une seule voie est possible qui est celle de l'élimination d’une façon ou l’autre (cela rejoignant la fameuse remarque de l’ancien chef du renseignement extérieur soviétique [russe], Chebarchine : « L’Ouest veut seulement une chose de la Russie : que la Russie n’existe plus »).

C’est à cette lumière que l’“incident“ du Su-24 versus USS Donald Cook est intéressant, parce qu’il apparaît comme un signe assez clair de l’évolution psychologique des Russes vers l’acceptation d’une issue conflictuelle, cette psychologie répondant à la situation stratégique qu’on a décrite par ailleurs. Les constats que nous faisons dans ce texte sont une sorte de confirmation de l’analyse citée, mais cette fois du point de vue de la psychologie. Encore une fois, on en revient au constat fondamental que les évènements intérieurs US sur lesquels nul n’a vraiment prise, d’une façon décisive en aucune façon, constituent la clef de la séquence actuelle, selon ce qu’il se passera aux USA, plus encore au niveau de la stabilité de la situation intérieure (de sa déstabilisation) qu’au niveau de l’élection elle-même.

Ce qui est à la fois fascinant et terrible à observer, autour de cet affrontement entre la Russie et les USA que rien de rationnel n’explique, mais qui est tout entier contenu dans la logique des évènements hors de notre contrôle, c’est la dissolution extraordinairement rapide de l’entité européenne, ou disons de la prétention européenne à figurer comme une entité structurée pouvant prétendre jouer un rôle quelconque. L’Europe est totalement prisonnière d’elle-même, complètement impuissante, encore plus du point de vue psychologique et intellectuel que selon des normes opérationnelles courantes dans le champ de la politique au sens le plus large. L’Europe est la première des grandes constructions du Système et de la postmodernité à se dissoudre dans cet état étrange de la pensée réduite au cerveau reptilien, et du caractère réduit à la désormais-fameuse (pour nous) anosognosie.

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