Ukrisis’ métahistorique est de retour

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Ukrisis’ métahistorique est de retour

20 février 2024 (16H15) – L’UE a aussitôt trouvé sa riposte après le “désastre d’Avdeyevka” très vite apparue comme “déroute d’Avdeyevka”... On eût cru voir, – pour ne pas citer Rommel, tout de même, – Patton réincarné faisant pivoter sa IIIème Armée de 90° pour aller dégager la 82ème aéroportée encerclée dans Bastogne :

« L'UE demande une "enquête internationale" sur la mort de M. Navalny.

» L'Union européenne est “outragée” par la disparition du militant de l'opposition, a déclaré le plus haut diplomate de l'Union. »

La traduction automatique avait proposé “scandalisée” pour “outraged”, mais “outragée” nous a semblé tellement mieux approprié à cette réunion charmante des messieurs-dames de la Haute, à Bruxelles, entre thé-champagne, petits fours et pince-fesses wokenisé, soudain préoccupés par le sort infâme que la Russie de Poutine a réservé au Plus-Grand-Héros de notre temps. A côté de cela, – “vous comprenez”, plaidèrent impérativement les communicants du Berlaymont et de LaHyène, – Avdeyevka réduit à sa véritable dimension de simulacre n’intéressera plus personne et l’affaire ukrainienne sera entendue comme il convient qu’elle soit.

Pour nous et pour moi : inutile de perdre son temps à commenter, les communicants ont tout dit et c’est tellement vite-dit qu’on a juste le temps de ne pas réfléchir du tout à l’insondable bêtise-traîtrise du propos.

Le mieux, le beaucoup-mieux est d’écouter Mercouris dans deux de ses interventions d’hier (une avec Christoforou, l’autre seul), au mieux de sa forme (et de ses sources, que je devine multiples et certaines absolument inédites au vu de l’assurance qu’il met à les citer, lui si connu pour sa prudence de langage). Son verdict ?

« Ce n’est pas une défaite courante, ce fut un effondrement total et chaotique [des forces ukrainiennes]... Deux jours plus tôt, il parlait encore de contre-offensive avec l’arrivée de la 3ème brigade [ex-Azof] et d’autres renforts en matériels étaient programmés. Vous comprenez on ne parlait que de riposte, et tout cela était complètement déconnecté de la réalité sur le terrain, de la situation [au bord de la rupture]... [...]

» Les divers chiffres des pertes ukrainiennes que m’ont donnés [cette source] qui s’est montrée depuis toujours absolument crédible et juste sur la situation sur la ligne de front, – ces chiffres sont stupéfiants. Le nombre de corps en décomposition trouvés à Avdeyevka est tel qu’il a fallu affecter une partie des forces russes à leur transport. Il m’a donné des estimations des pertes subies par les Ukrainiens, et il suffit de dire qu’elles sont supérieures à celles données par toutes les autres sources. Il semble qu’il y a eu, pour toute la bataille bien sûr et pas seulement lors des deux derniers jours, des milliers, – pas des centaines, des milliers de soldats ukrainiens qui se sont rendus... »

Ces précisions sont données dans une description d’un contexte de totale désorganisation, qui explique autant que l’action des Russes l’immensité du revers subi et surtout l’intensité extrême de ses effets dévastateurs dans leds psychologies. Mercouris explique notamment comment l’ex-“régiment Azov” rebaptisé 3ème brigade, envoyé en renfort d’élite pour contenir les premiers signes cde déroute, a finalement refusé d’assumer cette mission après avoir goûté quelques jours, sinon quelques heures de la situation catastrophique à Avdeyevka, et décidé de sa propre autorité une retraite précipitée. (Les gens d’Azov, bien connus depuis 2014, ne sont pas vraiment des amis de Zelenski, ni des tendres comme l’on sait, et si le président est furieux contre eux, cela ne fait qu’aviver un point de grave tension au sein du camp ukrainien, – « La discorde chez l’ennemi », disait de Gaulle.)

De ce point de vue, la responsabilité des divers commandements, civils et militaires, du côté ukrainien, leurs concurrences au moment où un nouveau chef d’état-major général était nommé à la suite de batailles politiques internes avec le précédent, cette responsabilité est largement engagée. Le chaos engendré par des conditions internes, – l’état d’esprit, la corruption, le simulacre, l’incompétence du commandement ukrainien « à tous les échelons », les fanfaronnades occidentales, – tout cela forme la responsabilité principale du massacre. Là-dessus s’est installée la fureur de Zelenski, recevant la nouvelle lors de la Conférence de Munich, et demandant une enquête contre les “responsables”.

Il s’est agi véritablement de laisser croupir une armée, et donc un peuple, à l’abattoir, – pour qu’on puisse se réunir et se féliciter, à Washington D.C., à Bruxelles, entre un Macron satisfait de se voir en son miroir et une Annalena Baerbock écologiquement verte d’excitation... Tout cela, avant une bonne et grosse minute de silence pour Navalny. La responsabilité est totale, complètement partagée, et nulle part n’apparaît une force ou un homme capable de prendre en mains cette situation désespérée.

Le très-mesuré Mercouris ne voit pas un tel chaos dans la déroute qui ait un équivalent « dans l’histoire militaire moderne ». Pour autant il ne croit pas qu’une telle rupture entraîne nécessairement une offensive puissante d’exploitation de la part des Russes. Il cite une interview (dans le journal de l’armée ‘Etoile Rouge’) du chef des Opérations de l’état-major, le N°2 du général Gerasimov, estimant que l’armée ukrainienne garde des capacités importantes, pouvant aller jusqu’à l’organisation de mouvements offensifs, et que va se poursuivre pendant un certain temps la tactique dite de l’“attrition agressive” (l’expression tr ès juste est de Mercoiuris : guerre d’attrition non pas statique et caparaçonnée mais très souple, cherchant à harceler/à provoquer l’adversaire sur la ligne de front pour l’amener à s’exposer et accentuer les destructions), – avant d’envisager une offensive générale pour asséner le coup de grâce à l’Ukraine de Zelenski.

« Une telle attaque ne semble pas imminente, bien que sa possibilité ait largement progressé avec ce qui vient d’arriver à Avdeyevka... »

Certainement, cette restriction vaut d’être retenue, d’autant qu’elle contient autant d’interrogations politiques que militaires (et que l’interview a eu lieu avant Avdeyevka). La catastrophe d’ Avdeyevka est aussi bien, sinon plus, le produit du désordre sordide d’une élite politico-militaire complètement corrompue, complètement sous la coupe des élites américanistes-occidentalistes elles-mêmes complètement corrompues. Il est assez logique d’envisager des chocs en retour au sein de ces groupes où les ambitions, les jalousies et les haines dans un climat d’incompétence et d’inculture brandies comme autant de vertus, font mieux l’affaire qu’une illusion d’“union sacrée”, alimentée par un simulacre auquel on continue à s’accrocher, ne serait-ce qu’en s’adressant aux mannes glorieuses de Navalny qui n’a jamais dû en revenir, même à l’heure de sa mort, d’avoir été consacré héros de la démocratie.

Il est impossible de détacher la catastrophe d’Avdeyevka de la situation politique, non seulement en Ukraine mais dans tout l’Occident-compulsif, et de faire l’hypothèse que la stricte et prudente analyse des chefs militaires russes peut arriver à la conclusion qu’un tel désordre favoriserait une initiative offensive majeure plus rapidement que prévu. Cela nous conduit à la conclusion que, brusquement, le conflit ukrainien qui semblait l’avoir cédé en importance stratégique et politique au terrible conflit du Moyen-Orient depuis le 7 octobre, est en train de retrouver toute la puissance de sa dimension métahistorique.

Ce constat est bien entendu renforcé par la proximité des élections présidentielles US et les prises de position d’une fraction importante des parlementaires US et du courant populiste grandissant contre l’aide à l’Ukraine au détriment d’un renforcement sécuritaire sur la frontière Sud des USA (l’aide militaire US à Israël étant beaucoup plus “intouchable” en raison de l’influence des lobbies sionistes).

C’est de ce point de vue qu’il faut considérer la catastrophe d’ Avdeyevka. L’important n’est pas qu’elle ferait prendre conscience de la vérité-de-situation aux dirigeants occidentalistes, – ce qui reste à voir comme un rêve impossible tant ils se trouvent bien dans leur simulacre comme dans un hamac. Finalement, que ces incompétents “y croient” ou non ne change pas grand’chose à l’affaire. L’important est le changement de climat, – c’est cela! Mais la voilà, la crise climatique ! – que Avdeyevka va provoquer, d’ailleurs d’une façon éventuellement inconscient pour les populations.

C’est l’événement qui compte ! L’événement a affirmé la puissance russe contre des ensembles corrompues et totalement incompétents. Cela n’est pas faire le pari de l’affirmation expansionniste russe, qui n’est nullement un “but de guerre”, ni pour Poutine ni pour quiconque, mais celui de la confirmation de l’effondrement de la structure vermoulue et pourrie de la civilisation occidentale. Si c’est le cas, comme nous le croyons et comme moi-même je m’y laisserais aisément conduire, il faut envisager la survenue d’autres événements, nés du choc d’Avdeyevka mais n’ayant pas nécessairement de rapports directs avec Avdeyevka, – sinon, dans toute sa grâce et sa majesté, le retour de cette guerre dans le domaine de la métahistoire.

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