Ukrisis, calvaire du Quatrième Pouvoir

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Ukrisis, calvaire du Quatrième Pouvoir

• Voyons deux “polémiques” (valent-elles ce mot ?), celle du rapport Amnesty sur le comportement des armées ukrainiennes, celle du documentaire CBS.News sur le décompte faisant que cette armée reçoit autour de 30% des armes qu’on lui envoie en express. • Tout cela, bien de notre temps, permet de mesurer l’étendue extraordinaire de la corruption totale de la communication (la presseSystème) dans le bloc-BAO. • Rien pour s’étonner que 89% de la population US n’a pas confiance dans sa presse. • Contributions : dedefensa.org et Fabrizio Casari.

Dans le texte présenté ci-dessous, il est question d’une enquête Gallup sur le degré de confiance du public aux États-Unis, dans la presse écrite depuis 1973, et dans la presse radio-télévisée depuis 1993, – jusqu’à nos jours, bien entendu. Il faut retenir l’année 1973 comme point de départ parce que cette année est celle de l’enquête Bernstein-Woodward du Washington ‘Post’ sur le Watergate. 1973 est donc à la fois le bouquet du feu d’artifice de la ‘Grande Illusion’ sur la probité quasiment Providentielle du ‘Quatrième Pouvoir’ aux USA (c’est-à-dire “dans le monde”, si l’on s’en tient au mythe), et l’ultime marche menant au sommet du ‘Principe de Peter’ à cet égard ; celle-ci suivie immédiatement de la chute jusqu’à présent, dans cette autre symbolique cinématographique dite en langue originale, – ‘The Harder They Fall’ (version 1956, un “Plus dure sera la chute” correspondant mieux à notre propos puisqu’il y est question du journalisme corrompu).

La présentation de l’enquête Gallup par notre auteur Fabrizio Casari est ainsi rédigée, de façon à nous faire bien comprendre que s’emmêlent tous les fils multiples du Système, que le Système produit lui-même pour lui-même, en une illustration de plus de l’équation “Surpuissance = Autodestruction”.

« La grande nouvelle, ces jours-ci, cependant, est que seulement 11 pour cent de la population américaine, conserve un degré de confiance dans ce que les médias publient, 89 pour cent ne les considèrent pas comme fiables ou véridiques. Dire cela, ce n'est pas être un rebelle ou un militant du système des médias alternatifs, loin de là.

» C’est ce qu’affirme Gallup dans son sondage annuel sur la confiance des citoyens dans les médias. Il s’agit d'une enquête qui analyse le niveau de confiance dans la presse écrite depuis 1973 et dans la radio et la télévision depuis 1993. Gallup ne peut certainement pas être épinglé pour avoir affiché des positions anti-système, car c'est l'une des plus grandes multinationales américaines dans le secteur des sondages d'opinion. Son poids dans l'orientation et le décryptage des flux électoraux aux Etats-Unis est reconnu. Son enquête a donc tous les stigmates de la véracité et de la crédibilité. Précisément ce que le système médiatique ne semble plus apprécier. »

Nous laissons à Casari, qui le fait excellemment, la tâche d’analyser la maladie mortelle qui, depuis 1973-1993, emporte l’homme (ou/et la femme, certes) en charge de l’information dans un tourbillon de corruption d’abord intellectuelle, dans tous les cas psychologique, et cela jusqu’à l’abjecte soumission qui en résulte sous nos yeux d’une façon incroyablement brutale depuis quelques mois, depuis quelques années si l’on veut en juger sur le fond. Pour autant, ce n’est pas nécessairement un mal, ou bien est-ce un mal nécessaire qui ne fait que découvrir, mettre en pleine lumière, la réalité profonde du Quatrième Pouvoir. Pour nous et à l’image du scandale, simulacre lui-même du pseudo-triomphe d’une pseudo-morale politique, 1973 et le Watergate consacrent un simulacre de triomphe journalistique.

« Woodward est l’archétype du vrai-faux héros journaliste de la narrative américaniste, à l'audition de laquelle nos intellectuels germanopratins béent d’admiration, avec le Premier Amendement en bandoulière. Le héros du Watergate, qui a reçu tous les lauriers et s’est bâti une fortune sur cette gloire, à la différence de son compère Bernstein qui eut la peau de Nixon avec lui, Woodward, donc, est un ancien agent du renseignement naval, proche du chef d'état-major de la Navy devenu président du Joint Chiefs of Staff (JCS) d’alors (l’amiral Moorer en 1970-74), avant d’entrer au Post et de se retrouver avec l’affaire du Watergate. L’élimination de Nixon, à partir d’informations obtenues plus par des complicités suscitées directement et indirectement par le JCS que par des vertus journalistiques et progressistes, tombait à pic pour les militaires qui craignaient de fortes réductions du budget du Pentagone et un arrangement avec l'URSS. (Voir notamment le livre ‘The Silent Coup’, de 1992, de Len Colodny et Robert Gettlin, sur cet aspect du Watergate, et sur la carrière de Woodward à la gloire du journalisme le plus libre du monde.) Bref, Woodward a toujours copiné avec les militaires ; il a poursuivi durant les années Bush, avec un accès idéal au président pour pouvoir publier quelques best-seller qui ont arrondi sa fortune ; il semble qu’il continue aujourd’hui parce qu'il n'y a aucune raison d'abandonner les bonnes choses… »

Aujourd’hui, précisément ces jours-ci, la presse américaniste avec en bandouillère soumise la presse du bloc-BAO, est en train de rencontrer quelques écueils redoutables après plusieurs mois extraordinaires d’une propagande d’une puissance jamais vue, jamais simplement imaginée comme possible, à propos d’Ukrisis et de tout ce qui va avec. On visionnera deux vidéos françaises, celle de Florian Philippot du parti des ‘Patriotes’, surtout celle de l’excellent duo Régis de Castelnau-Sylvain Ferreira (hebdomadaire depuis un mois sur le site ‘VuduDroit.com), qui s’attachent notamment, avec beaucoup de verve et de précision par rapport à la presseSystème hexagonale, à deux polémiques de ces cinq derniers jours. Dans ces deux cas, on rencontre des circonstances peu ordinaires puisque les deux polémiques ont lieu entre des acteurs du Système, et qu’elles se concluent (pour l’instant) par des prises de position et des argumentations convenues, ambigües, contradictoires, et extrêmement révélatrices des troubles que suscite l’obligation, ou le “devoir” de suivre des narrative qui ont, si souvent, si peu de rapports avec la réalité qu’on se croirait emportés dans un autre monde.

• La première de ces polémiques concerne le rapport d’Amnesty International impliquant, dans des termes d’une prudence extraordinaire, les forces ukrainiennes dans des opérations qui ont été le théâtre de l’“utilisation” de civils comme “boucliers humains”, – selon le terme consacré. La question concernant le sujet traité porte simplement sur l’absence de la presseSystème dans de telles possibilités, par ailleurs très souvent affirmées et documentées de la part de sources indépendantes ou dissidentes. Il s’agit ici de l’indifférence totale de la presseSystème pour de tels agissements de la part des Ukrainiens, comme si effectivement “de tels agissements” étaient impensables de leur côté.

Il s’agit également, de la part d’Amnesty qui constitue une source (en général complètement alignée sur le Système) d’information autant qu’un journal d’information, d’un comportement non moins extraordinaire tendant à “s’excuser” auprès de ceux qui ont pu être “choqués” par le rapport, tout en maintenant complètement les conclusions de ce rapport. Le caractère extraordinaire est donc dans ceci qu’une source d’information présente toutes ses “excuses” à ceux qu’on pourrait désigner comme des opérateurs du “catéchisme de la narrative”, qui se sont manifestés par des pressions considérables (réseaux sociaux notamment), du fait que la réalité ait refusé de se conformer à la narrative...

« ...Le document en question a été publié jeudi. Tout en fustigeant les forces russes, l’enquête a également visé l’armée ukrainienne, affirmant qu’elle avait fait preuve d’une tendance troublante à “mettre les civils en danger et à violer les lois de la guerre” en opérant depuis des infrastructures résidentielles, y compris des écoles.

» Dans un courriel envoyé à Reuters dimanche, Amnesty a déclaré regretter “profondément la détresse et la colère que notre communiqué de presse sur les tactiques de combat de l'armée ukrainienne a provoquées”, comme le cite Reuters.

» Le groupe de défense des droits a poursuivi en expliquant que son “seul objectif” en publiant cette analyse était de veiller à ce que “les civils soient protégés”. Il a également précisé qu'il “s'en tient entièrement à ses conclusions”. »

• La deuxième polémique concerne l’affirmation, extraite d’un documentaire de CBS.News que seulement 30% des armements livrés à l’Ukraine par des pays du bloc-BAO parviennent à leurs destinataires. Cette affirmation n’est d’ailleurs pas nouvelle et elle revient à la surface régulièrement, d’ailleurs sans vraiment étonner quiconque, même si quelques parlementaires s’en émeuvent.

Les personnes interviewées et parlant plus ou moins précisément dans ce sens (30% expédiés, 70% envolés) sont Jonas Ohman, Lituanien fondateur d’une organisation s’employant à faire passer ces équipements en Ukraine, et Donatella Rivera d’Amnesty International (décidément), affirmant qu’« il n’y a vraiment aucune information sur la destination [des armes] ». Le documentaire avait été mis en ligne jeudi, puis il a été retiré à la suite de pressions du même type que vu précédemment à propos du rapport d’Amnesty, avec promesse de modifications adéquates.

« Le documentaire a été retiré du site Internet de CBS dimanche soir, et la citation d'Ohman a été supprimée du compte-rendu écrit. CBS a placé une note d’avertissement disant que les livraisons d'armes se sont “considérablement améliorées” depuis le tournage en avril, et que les États-Unis ont envoyé un haut responsable militaire à Kiev ces derniers jours “pour le contrôle et la surveillance des armes”.

» L'organisation d'Ohman a publié une déclaration affirmant que le documentaire avait sorti ses propos “de leur contexte”, mais n'a pas nié que 70 % de l'aide militaire reçue avait disparu en avril. Les armes n'étaient pas “volées” ou “vendues sur le marché noir”, a expliqué l'organisation, mais finissaient dans les mains de “différents acteurs du pouvoir" qui tentaient de “consolider leurs positions”. L'identité de ces acteurs n'a pas été précisée. »

Il s’agit donc, dans les deux cas, de journalistes qui n’en sont pas vraiment, de “précisions” erratiques sinon grotesques (qui nous dira ce que sont, dans l’armée ukrainienne, « différents acteurs du pouvoir [tentant de] consolider leurs positions » ?), d’un des plus grands réseaux TV du monde passant un documentaire sur une guerre en cours qu’il affirme daté de 3-4 mois, et ainsi de suite. On comprend bien que ce désordre-bouffe marque essentiellement un point-limite, avec notre monde de la modernité entrant sur une terra incognita où il n’est plus possible de faire tenir la narrative dans les limites exigées par les réseaux sociaux ; avec un “Principe de Peter” si totalement dépassé depuis si longtemps et depuis si bas désormais, que l’on se trouve presque dans la totale impuissante incapacité de pratiquer le métier de journalisteSystème, inverti, soumis, attentif aux consignes, etc. Nous préférons en effet cette explication de l’impuissance de la soumission à trouver à propos le mensonge qui sied à celle qui ferait de ces polémiques qui n’en sont d’ailleurs pas vraiment, des avertissements voulus à l’attention de Zelenski qu’on se préparerait à lâcher.

En fait, Zelenski n’a jamais été tenu très fortement, nul dans nos directions américanistes-occidentalistes n’a cette force ; nul, non plus, n’a vraiment besoin de lui précisément... Mais nul, par ailleurs, n’a ni la capacité de le liquider, ni l’idée ou l’audace de lui chercher un successeur, ni la volonté finalement de décider quoi que ce soit sinon d’imposer des sanctions et de livrer des howitzer qui finiront à un prix abordable sur le ‘Dark-Net’. S’attarder plus longtemps sur les tenants et les aboutissants de ces affaires, c’est leur faire bien de l’honneur et leur donner une importance qu’elles n’ont évidemment pas. Tout se passe entre bandes aguerries et entre bandits, qu’on soit sur la ligne de front ukrainienne, à Kiev avec les époux Zelenski, au Pentagone ou chez CBS.News. Ces affaires en forme de polémiques au rabais sont la marque de la panique autant que de la désintégration, de la dissolution du monstre puant qui se décompose, – le Système soi-même... Alors, les petites mains s’affolent un peu, certaines allant jusqu’à dire une vérité-de-situation, mais par inadvertance, rien de plus, qu’on puisse ensuite la rectifier en bidouillant un documentaire comme l’on a coutume de faire de toutes les façons.

Et tout cela nous vient du Quatrième Pouvoir, dont Fabrizio Casari trace un historique de sa chute dans le cadre du système de l’américanisme. Sur ‘euro-synergies.hautetfort.com’ en version française à partir de l’original.

dedefensa.org

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Au chevet des médias américains

Il était une fois le journalisme américain. Comme dans tous les ganglions vitaux du système de circulation des idées, la mythification de la profession de journaliste a constitué la toile de fond du récit médiatique contemporain. Ce récit parlait d'une presse libre et véritablement puissante, d'un quatrième pouvoir qui faisait trembler tous les autres. On a vanté les mérites de son école de journalisme d'investigation (qui se résume en gros à “suivre l’argent” [“Follow the Money”]) et de son modèle de reporter sans peur et sans reproche, qui ne recule devant rien ni personne, qui ne craint ni la vengeance ni les représailles car son seul objectif est la Vérité, avec un grand “V”, sans médiation et sans contexte.

Pour alimenter le mythe du journalisme made in USA, ils ont décidé de sanctifier cette image. Ils ont même inventé le prix Pulitzer, une sorte de prix Nobel du journalisme qui devait être décerné chaque année à ceux qui s'étaient distingués dans leur travail de découverte et de dénonciation des maux du monde. Que ce soit les maux qu'il était commode pour les États-Unis de dénoncer est un autre aspect de l'histoire.

La grande nouvelle, ces jours-ci, cependant, est que seulement 11 pour cent de la population américaine, conserve un degré de confiance dans ce que les médias publient, 89 pour cent ne les considèrent pas comme fiables ou véridiques. Dire cela, ce n'est pas être un rebelle ou un militant du système des médias alternatifs, loin de là.

C'est ce qu'affirme Gallup dans son sondage annuel sur la confiance des citoyens dans les médias. Il s'agit d'une enquête qui analyse le niveau de confiance dans la presse écrite depuis 1973 et dans la radio et la télévision depuis 1993. Gallup ne peut certainement pas être épinglé pour avoir affiché des positions anti-système, car c'est l'une des plus grandes multinationales américaines dans le secteur des sondages d'opinion. Son poids dans l'orientation et le décryptage des flux électoraux aux Etats-Unis est reconnu. Son enquête a donc tous les stigmates de la véracité et de la crédibilité. Précisément ce que le système médiatique ne semble plus apprécier.

La chute verticale de la perception positive des médias n'est évidemment pas tant liée à des signatures ou à des émissions individuelles, mais au brusque renversement de rôle que le journalisme occidental a entrepris depuis la fin des années 1980. A supposer qu'il ait jamais été ce qu'il prétendait être, – le chien de garde du pouvoir – il n'y a aucun doute sur le brusque et profond revirement qui voit aujourd'hui l'ensemble du système médiatique devenir un authentique appareil de défense de la pensée unique. Le quatrième pouvoir s'est, en somme, aligné sur les trois autres, et l'acte d'équilibrage, produit des rôles distincts entre contrôleur et contrôlé, est devenu un exercice rhétorique dépourvu de toute preuve réelle.

Ce que propose cette étude Gallup, c'est la courbe descendante d'un système médiatique conçu comme un soutien militant de la chaîne systémique. Il expose le manque de crédibilité manifeste qui est le résultat d'un mode d'information dont la structure de propriété comprend les grands groupes bancaires et d'assurance internationaux, et qui convoque les lecteurs et les auditeurs à une interprétation des événements politiques adaptée aux intérêts des propriétaires des médias.

Ce que Gallup ne peut pas dire, mais qui est clairement écrit entre les lignes du rapport, c'est que le rôle des médias comme courroie de transmission entre les institutions et les citoyens n'est plus rempli. Cette relation dialectique a été remplacée par une fonction à sens unique, à savoir celle des corps intermédiaires (tels que les médias) qui servent de caisse de résonance à la parole des puissants pour obtenir le consensus dont ils ont besoin. C'est clair pour tous désormais: le manque de fiabilité du système parce qu'il repose sur une chaîne d'approvisionnement mortelle, les banques possédant les gouvernements et les médias et utilisateurs d'informations étant appelés à partager alors qu'ils ne possèdent rien. La liberté de la presse n'est que la liberté des maîtres de la presse, qui décident ce qui est diffusable, comment et quand les faits et les commentaires sont diffusés. L'objectif, de grande envergure, est clair: convaincre les citoyens que ce sont les plus pauvres d'entre eux, et non les plus riches, qui sont à blâmer pour leurs incertitudes et leurs difficultés économiques ; ils leur demandent de se lancer dans la guerre contre le socialisme, qui, si elle est gagnée, les rendra pauvres, mais qui, au passage, leur enlèvera leur maison, leur emploi, leur santé, leur bien-être, leur éducation, leurs transports. Ce que dit l'enquête Gallup, en fin de compte, c'est que ce récit ne peut plus être répété à l'envi.

La participation émotionnelle des meilleurs et (surtout) des pires journalistes, qui font étalage d'un pathos digne d'autres causes envers les politiques gouvernementales et qui renoncent à émettre des doutes, à poser des questions, à creuser ce qui est occulte, sont quelques aspects de ce journalisme réduit à la propagande, fonctionnel à la diffusion de messages politiques occidentaux et non à l'information sur ce qui se passe, pourquoi cela se passe, quels intérêts cela déplace et à qui cela profite. Ce qui apparaît, c'est un mode de transmission politique de l'information qui est toxique, manquant de crédibilité et de fiabilité, les deux composantes les plus importantes d'une information saine.

Puis il y a le revers de la médaille ; encore plus agressif, il atteint les sommets criminels de la censure sans trace apparente. Prenez, par exemple, Julian Assange, qui a fait de la déontologie journalistique sa mission et qui, pour cela, a dû affronter la traque, le rôle du réfugié, les complots inventés pour le discréditer, la génuflexion honteuse de l'Équateur face aux exigences américaines. Ou Edgar Snowden, contraint de se réfugier en Russie pour avoir raconté ce qu'on lui a apporté, après avoir vérifié sa crédibilité et son sérieux. Et il y a aussi des journalistes moins connus du grand public, comme le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué dans son ambassade, dépecé et mis en pièces dans une valise envoyée à Ryad au prince héritier.

Mais si l'on veut prendre un bon exemple de la manière dont le journalisme d'investigation est soumis à la persécution politique, il faut ériger sur le plus haut podium Gary Webb, le journaliste américain du San Francisco Examiner, auteur du livre The Dark Alliance, où il dénonce le rôle de la CIA et de la Maison Blanche, alliées au terrorisme et au trafic de drogue, avec la complicité et l'intérêt partagé de l'armée de l'air salvadorienne dans le trafic d'armes et de drogue servant à fournir des armes aux Contras au Nicaragua. On l'a trouvé mort avec deux coups de fusil dans la poitrine, mais on a dit qu'il s'était suicidé. C'est un miracle d'automutilation acrobatique que de se tirer une balle dans la poitrine, puis de ramasser le fusil et de se tirer à nouveau dessus.

Sur ces crimes odieux, auxquels on peut ajouter la liste des journalistes tués par des soldats israéliens dans les Territoires occupés, le silence est d'or. Ceux qui devraient - par statut et par objectif - attirer l'attention du public sur de telles déviances font au contraire partie prenante du système politique qui dirige les médias. Comme Reporters sans frontières, une organisation qui doit ostensiblement dénoncer les attaques contre les travailleurs de l'information mais qui, comme l'a amplement avoué son fondateur, Robert Menard, est une structure entièrement financée et dirigée par la CIA pour protéger ses intérêts. Un cas explicite du contrôleur acheté par le contrôlé, presque une périphrase du schéma général dans lequel nous nageons quotidiennement, risquant de voir au loin et de prendre les requins pour des canots de sauvetage.

L'enquête de Gallup ne dénouera pas les enchevêtrements pervers du système médiatique, otage du système économique, des journalistes qui commencent avec un esprit indépendant et finissent peu après comme thuriféraires. Elle ne lèvera pas le voile sur les raisons pour lesquelles ceux qui écrivent, parlent et passent à la télévision aujourd'hui militent avec ardeur dans les rangs du néolibéralisme atlantiste. Elle ne proposera pas non plus l'insoutenabilité d'un système international qui assigne à l'Occident le contrôle total du circuit des médias et qui, dans le même temps, définit sans vergogne la fameuse minorité non alignée comme un objet de "censure".

Mais si le récit du système unipolaire perd en crédibilité et en fiabilité, c'est tout le système politico-médiatique de l'empire qui en pâtira. Gallup ouvre ainsi un scénario plus large. Les files de sans-abri aux portes des villes américaines ignorées par la presse, la radio et la télévision représentent bien le degré de confiance dans les médias et leur capacité à décrire la réalité. Ce qui ne fonctionne probablement plus dans les médias est ce qui ne fonctionne plus dans le système politique.

Fabrizio Casari