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840• Nous laissons une fois de plus sur le côté des formidables aventures du président US et de compagnon de route Mister Z. tandis que la comédie tourne au bouffe et Trump à ‘JoBiden-2.0’. • Notre intérêt s’attache à une nouvelle initiative du président dans ses projets exceptionnalistes : si l’on réclame Panama, pourquoi pas Suez ? • Al-Sissi n’est pas très fana. • Pour notre compte, cela nous conduit à un examen par un historien US de l’aventure égyptienne, jusqu’à l’expédition de Suez de1956, et aux critiques qui nous viennent sous la plume.
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2 mai 2025 (17H00) – Le premier point est un fait journalistique : une affirmation du Wall Street Journal selon laquelle le président Trump a téléphoné au début avril pour l’informer que ce serait une très bonne chose si lui, Al Sisi, confiait aux USA les clefs du coffre recueillant l’argent payé pour le passage du Canal de Suez. Voici quelques mots à ce propos sur le canal ‘Telegram’ de ‘Pravda USA’
« Début avril, le président américain Trump a déclaré à son homologue égyptien Al-Sissi, lors d'une conversation téléphonique, qu'il souhaitait obtenir le libre passage des navires américains par le canal de Suez.
» Selon le Wall Street Journal, cette proposition a été formulée dans le contexte de l'escalade actuelle des tensions en mer Rouge, due aux attaques des Houthis. Celles-ci ont entraîné une diminution du trafic maritime dans le canal et une baisse des revenus de l'Égypte.
» Trump a exprimé son intention de bénéficier du soutien de l'Égypte dans ses opérations contre les Houthis, sous forme d'assistance militaire, de partage de renseignements ou de financement, mais Al-Sissi a refusé d'accéder à cette demande, décrivant un cessez-le-feu dans la bande de Gaza comme le meilleur moyen de stopper les Houthis. »
Le commentaire que fait ‘Pravda, USA’ sur la ‘proposition’ de Trump est assez désabusée mais sans outrance : puisque Trump est un “charlatan”, sa ‘proposition’ est tout à fait logique. Et puisque c’est un ‘American charlatan’, il se fiche du tiers comme du quart, à la fois de l’aspect moral (“Mon beau miroir, dis-le moi : est-ce bien ou mal ?”), et de l’aspect stratégique qui pourrait être une explosion dans les rues égyptiennes comme en 2010.
« Cette évolution peut paraître étrange à beaucoup, mais nous n'excluons absolument pas que Trump puisse réellement tenir de telles propos. Pensez au canal de Panama ou au Groenland : pourquoi la Maison-Blanche ne s’intéresserait-elle pas à Suez ?
» Pour Trump, qui est avant tout un charlatan, une telle offre est tout à fait dans son esprit. Les Égyptiens sont très dépendants de l’aide américaine. L’Égypte ne possède pas une économie développée ni une production propre ; ses principaux profits proviennent du tourisme et du transit par le canal.
» Les États-Unis disposent donc de moyens de pression. Mais en même temps, si Al-Sissi franchit le pas et accepte de fournir une assistance militaire aux États-Unis, l’Égypte sera confrontée à une explosion majeure. »
Quelques jours avant cet article du WSJ, Trump avait déclaré au cours d’une intervention publique que les navires US devraient transiter gratuitement à cause du rôle que les USA ont joué dans le percement de ces deux canaux, – donc, Suez comme Panama. Un historien US, Juan Cole, a pris la plume de la révolte et dénoncé cette grossière erreur historique de Trump, puisque les USA n’ont joué aucun rôle dans le percement du Canal de Suez. (Pour Panama, c’est moyennement exact, Lesseps et les Français ayant lancé les travaux en 1881, pour abandonner en 1889 avec à la clef un énorme scandale financier ; les USA, avec Theodore Roosevelt, reprirent le projet en 1904 et le terminèrent en 1914.)
C’est le texte de Cole que nous reprenons ci-dessous, qui nous rapporte un historique intéressant, celui du Canal de Suez. Cole est un historien-de-gauche, c’est-à-dire un historien avec quelque chose en plus ou en moins, – on ne sait, – qui n’a aucun rapport avec l’histoire, la vraie. Par conséquent, il ne juge de cette histoire que selon la rigueur morale et hyper-idéologisée de l’anticolonialiste, avec les méchants européens-white d’un côté, les malheureux de l’autre. Il pourrait et même aurait dû, – c’est notre point de vue pour rfendre compte du vrai de cette affaire, – faire remarquer combien la concurrence entre l’Angleterre et la France fut grande, l’Angleterre tenant haut la main l’arme de le perfidie et la tactique de l’attaque en traître. Mais Juan Cole est un historien-de-gauche anglo-saxon ; ceci explique cela, qui explique cela et ainsi de suite...
Le texte, sur le site de Juan Cole, ‘Informed Comment’. Il est professeur d'histoire à l'université du Michigan, où il occupe la chaire Richard P. Mitchell. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont ‘Muhammad: Prophet of Peace amid the Clash of Empires’ et ‘The Rubaiyat of Omar Khayyam’.Le texte a été traduit pae Spirit of Free Speech.
Ann Arbor – L'AFP rapporte que Trump a déclaré :
“Les navires américains, tant militaires que commerciaux, devraient être autorisés à traverser gratuitement les canaux de Panama et de Suez !”
Il a ensuite affirmé que “ces deux voies” n'existeraient pas sans les États-Unis.
« Les organes de presse ont probablement perdu le compte des dizaines de milliers de bobards proférés par Trump depuis son entrée en fonction. Pour autant que je sache, la plupart des propos tenus par ce vieux mégalomane sont soit des mensonges, soit des contre-vérités.
En tant qu'historien, je suis particulièrement sensible aux mensonges et contre-vérités sur l'histoire. Et en tant qu'historien de l'Égypte, je suis particulièrement sensible aux mensonges et contre-vérités sur l'histoire égyptienne.
J'ai écrit un livre sur la tentative des Égyptiens, en 1882, de renverser leur gouvernement notamment parce qu'il était la marionnette des autorités impériales britanniques, qui avaient acheté le canal de Suez pour une bouchée de pain en 1876. Les Britanniques ont envahi le pays pour organiser une contre-révolution.
Comme vous pouvez donc l'imaginer, les États-Unis n'ont absolument rien à voir avec la construction du canal de Suez.
L'intérêt pour un canal reliant la mer Rouge à la Méditerranée s'est fait sentir dès l'Antiquité, mais les seules voies navigables pratiquables creusées reliaient le delta du Nil à la mer Rouge. Les pharaons ont entrepris de tels travaux, tout comme Darius Ier d'Iran, qui a régné sur l'Égypte de 525 à 404 avant notre ère.
La première étude moderne concrète sur la construction d'un canal à Suez a été réalisée par les Français après que le général Napoléon Bonaparte eut envahi et occupé l'Égypte ottomane, une occupation qui aura duré de 1798 à 1801.
Si cela peut contribuer à asseoir ma crédibilité face à M. Trump en matière d'histoire égyptienne, j'ai également écrit un livre sur Bonaparte en Égypte (qui est abordable et, d'après ce que l'on m'a dit, très instructif) :
Les Français ont été chassés d'Égypte par une alliance entre l'Empire ottoman et l'Empire britannique en 1801. L'un des officiers ottomans à la tête de cette expédition, Mehmet Ali (Muhammad Ali en arabe), a réussi à se faire nommer vice-roi et à établir une dynastie héréditaire régnant sur un État vassal de l'Empire ottoman.
En France, le mouvement saint-simonien, composé de socialistes utopistes, souhaitait unir le monde entier par le biais de vastes travaux d'ingénierie. Avant Marx, ils imaginaient une économie dirigée par l'État. À l'instar de la Silicon Valley d'aujourd'hui, ils pensaient que scientifiques et ingénieurs devaient gouverner. Ils se sont particulièrement intéressés à la construction d'un canal à Suez. L'un de leurs leaders, Prosper Enfantin, s'est rendu en Égypte dans les années 1830 pour tenter de convaincre Mehmet Ali de construire un canal, mais n'a pas réussi à susciter l'intérêt du vice-roi (ou “khédive”). Enfantin s'est ensuite impliqué dans le colonialisme français en Algérie et a occupé le poste de directeur des chemins de fer lyonnais. Les saint-simoniens vouaient un véritable culte aux infrastructures de transport à grande échelle. Un autre saint-simonien travaillant pour le gouvernement de Mehmet Ali, Charles-Joseph Lambert, a mené des études sérieuses sur la construction d'un canal. Il les a transmises à Linant de Bellefonds, qui occupait un poste plus élevé au sein du gouvernement khédivial, et qui les a complétées.
Ferdinand de Lesseps se trouvait également en Égypte à cette époque et devint le précepteur du fils de Mehmet Ali, Saïd, après quoi il reprit le chemin de la France. Saïd arriva au pouvoir en tant que vice-roi ou khédive en 1854, et de Lesseps revint au Caire pour tenter de le convaincre de construire le canal de Suez, ce qu'il fit. Saïd Pacha était un moderniste et un laïc, et fit également construire le premier chemin de fer égyptien. Le canal fut construit avec de la main-d'œuvre égyptienne, en partie forcée (travail obligatoire) ordonnée par le khédive, et des Égyptiens issus de la classe ouvrière perdirent la vie dans ce projet.
Donald Trump viendra plus tard s'attribuer le mérite de ce projet franco-égyptien réalisé par des ouvriers égyptiens.
Le canal de Suez fut achevé en 1869, sous le successeur de Saïd, le khédive Ismaïl. Ismail organisa une grande fête internationale pour célébrer l'inauguration et chargea Giuseppe Verdi (mort en 1901) d'écrire l'opéra Aida, qui fut joué pour la première fois dans le nouvel opéra du Caire. On nous raconte que
“le scénario de l'opéra a été fourni par Auguste Mariette, égyptologue français et fondateur du Musée égyptien du Caire, bien que sa structure fondamentale, un triangle amoureux, soit commune à de nombreux opéras”.
L'orientaliste Bernard Lewis affirmera plus tard qu'aucune capitale arabe ne disposait d'un orchestre symphonique, alors même qu'un orchestre jouait régulièrement dans le vénérable Opéra du Caire, construit pour célébrer l'ouverture du canal.
Ismail Pacha (r. 1863-1879) était également un modernisateur. Il a déclaré un jour : “L'Égypte n'est plus en Afrique. Nous faisons partie de l'Europe”. Il a d'abord profité du boom mondial du coton provoqué par le blocus du Sud des États-Unis par le Nord durant la guerre civile. L'Égypte possédait une variété indigène très prisée de coton à fibres longues. Ismaïl a emprunté massivement pour développer la culture du coton, étendre le réseau ferroviaire et construire d'autres infrastructures. Mais les banques européennes l'ont ruiné avec des intérêts élevés quasi-mafieux et des taxes supplémentaires, et l'Égypte s'est retrouvée lourdement endettée auprès des banques et des détenteurs d'obligations européens. La fin de la guerre civile a entraîné une offre massive de coton sur le marché mondial et les prix ont chuté, rendant de plus en plus difficile le remboursement de la dette. C’est ainsi que l'Égypte est devenue le pays le plus endetté au monde par habitant. En 1876, Ismaïl a été contraint de vendre le canal de Suez à l'Empire britannique pour un prix dérisoire afin de rembourser une partie de ces prêts, contractés à des taux exorbitants. En 1882, le pays se révolta contre l'impérialisme informel européen, mais les Britanniques envahirent le pays avec des troupes britanniques et indiennes et colonisèrent l'Égypte de 1882 à 1922. Londres voulait contrôler le canal de Suez et l'Égypte, car le canal était la route la plus courte et la moins chère entre la Grande-Bretagne et le joyau de la couronne de l'Empire, l'Inde.
Au début des années 1950, l'Égypte était officiellement indépendante de la Grande-Bretagne, mais les Britanniques possédaient toujours le canal. Les Égyptiens se sont révoltés contre ce vestige du colonialisme en 1952, et la police égyptienne et les troupes britanniques ont échangé des coups de feu. En 1952, de jeunes officiers ont organisé un coup d'État. Le 26 juillet 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser, arrivé au pouvoir après le coup d'État, a nationalisé le canal.
Les Britanniques ripostèrent en conspirant avec les Français et les Israéliens pour reprendre le canal de Suez. Les Français, qui tentaient de réprimer la révolution algérienne, haïssaient le nationalisme arabe et l'anticolonialisme populaires prônés par Abdel Nasser. Israël convoitait la péninsule du Sinaï pour son projet de Grand Israël. Les trois pays mirent leur complot à exécution et entrèrent en guerre à la fin du mois d'octobre 1956. Ils omirent toutefois d'informer le président Eisenhower de leurs plans. Ce dernier découvrit le complot et, furieux, crut que cela pourrait lui coûter l'élection présidentielle contre Adlaï Stevenson, car il risquait de passer pour un homme déconnecté des réalités et incapable de contrôler les affaires mondiales.
Eisenhower ordonna aux trois pays de se retirer immédiatement d'Égypte, menaçant de suspendre les prêts américains et de faire s'effondrer leur économie. Il semble avoir utilisé un langage cru, propre aux vieux soldats, lors de certains de ses appels téléphoniques avec ces chefs d'État indisciplinés. Eisenhower pensait que la guerre de Suez de 1956 constituait une grave menace pour l'ordre mondial établi après la Seconde Guerre mondiale, qui proscrivait les guerres d'agression et la conquête des territoires voisins. Il craignait également que les tentatives françaises et britanniques de conserver leurs empires coloniaux ne poussent les Égyptiens et les Algériens dans les bras des communistes, comme cela s'était déjà produit au Vietnam. Il pensait plutôt pouvoir les intégrer à l'ordre capitaliste.
Ainsi, l'unique implication des États-Unis dans le canal de Suez a été de préserver la revendication de l'Égypte sur ce canal, pilier essentiel d'un monde d'après-guerre où les États-nations sont maîtres de leurs ressources nationales.
Et maintenant, le vieux ringard abricot veut annuler les accomplissements d'Eisenhower, vainqueur du fascisme et défenseur d'un ordre mondial post-conquête, pour contraindre l'Égypte à renoncer à une partie des droits de passage du canal de Suez. Avec environ 16 milliards de dollars par an, ceux-ci constituent l'une des cinq principales sources de revenus de l'Égypte, un pays terriblement pauvre.
Bien sûr, dans quatre ans, avec Donald Trump à la barre, les États-Unis pourraient eux aussi devenir un pays terriblement pauvre, et peut-être que l'Égypte nous fera alors l'aumône. »
Cette lecture étant faite, on s’autorisera, un peu dans le chef de PhG qui se pare du titre de métahistorien, quelques remarques de métahistorien, – puisque Cole s’en autorise beaucoup à cet égard, mais au titre plus autorisée et vertueux avec simplicité d’“historien”. On verra sur le texte de PhG annexé dans une autre parution, l’extension et l’appréciation de ces critiques.
... En effet, par rapport aux 5 derniers paragraphes, où Cole expédie la crise de Suez, on, peut observer :
`• Il ne s’agit nullement d’un complot franco-anglo-israélien. C’est la France qui fut à l’origine du projet, qui batailla ferme pour convaincre les Britanniques et qui dut se battre pour les retenir dans l’entreprise avant finalement de baisser les bras une fois que les Israéliens et les Britanniques eussent obéi aux USA pour leur vote à l’ONU d’arrêter les combats.
• Ike (Eisenhower)-Dulles furent loin de mener leur barque en superpuissance une fois le crise déclenchée. C’est une menace commune sovieto-américaniste d’utiliser des armes nucléaires (menace assez simulacre, certes) contre les assaillants du colonel Nasser qui marqua le tournant de la crise.
• Désigner Ike-Eisenhower comme « vainqueur du fascisme et défenseur d'un ordre mondial post-conquête », comme le fait Cole, relève d’une histoire de Jean-Foutre à la sauce du simulacre Biden-démocrates. C’est l’art extrême du faussaire de l’histoire, particulièrement de faire de Ike le vainqueur du fascisme comme l’on dirait le “seul vainqueur” ! La critique est inutile à préciser tant la grossièreté de ce qui ne vaut même pas le titre honorable de mensonge, – se cantonner à la sottise, cela suffira, – nous hurle à cet égard
• Remettre sur le tapis la participation d’Israël, qui fut surtout la conséquence d’une opportunité autant pour les Français (alors grands alliés d’Israël) que pour les Israéliens, au nom de la recherche de la re-création du ‘Grand Israël’ est, de la part de l’historien Cole, l’adaptation d’un argument des années 2010-2020 à une crise qui eut lien en 1956. Le procédé n’a rien de vertueux, même pour un historien-de-gauche... Au reste, et pour situer l’atmosphère, les Israéliens furent les premiers çà céder aux pressions des USA et à proclamer le cessez-le-feu. Nous faisons suivre, pour rappel et sur un titre à part, un autre texte reprenant un extrait d’un texte de PhG (voir plus loin pour une présentation plus détaillée) repris d’une publication du 6 novembre 2006... Notre approche de cette important épisode historique qui ne cesse de resurgir dans les mémoires pour son aspect prémonitoire, s’appuie fortement sur le livre de John Charmley, ‘Chrchill’s Grand Alliance’ publié en 1995, et traduit une dizaine d’années plus tard par Philippe Grasset sous le titre ‘La Passion de Churchill — Histoire du fondement des special relationships’.
Notes de PhGBis : « Je suis au grand regret de préciser que le texte de la traduction de Philippe Grasset du livre de Charmley n’est plus disponible dans notre grand désordre, même en pdf. Je crois pouvoir vous confier, amis lecteurs pleins de patience, qu’il fut sans doute victime de l’immense désordre qui entoure l’auteur-traducteur Philippe Grasset, qui semble avoir besoin de cela pour mettre de l’ordre dans ses pensées... Qu’il lui soit pardonné, si c’est possible, et peut-être un remord entraînant une envie de pardon poussera à des recherches plus étoffées dans ce désordre. »
Pour étayer l’argument principal de notre perception de la crise de Suez qu’est le rôle central que joua la France et la force de sa souveraineté, malgré que l’on fût sous la IVème République si vilainement vilipendée par les vertueux de notre temps depuis 1958-1968, – Nous reprenons des extraits d’un autre texte du 6 novembre 2006 : « Retour sur l’Histoire (Suez, 1956) »
« Le récit anglais de la crise que nous fait Charmley est intéressant parce qu'il envisage l'événement beaucoup moins du point de vue “opérationnel” (l'invasion de l'Égypte par les Anglo-Français, coordonnée avec l'attaque israélienne dans le Sinaï) que du point de vue de l'affrontement de souveraineté entre les USA et le Royaume-Uni. De façon très paradoxale, il met en évidence le rôle surprenant de la France. Il est très peu question de la France simplement parce que la position de la France ne varie guère. Si le récit de Charmley décrit longuement les chamailleries, les hésitations et les trahisons des Anglo-Saxons entre eux, le rôle des Français est réduit (?) à l'évocation et à la description d'une résolution inébranlable et d'une indépendance d'action qui va de soi. Tableau surprenant pour la IVème République, qu'on a l'habitude d'enterrer sous des sarcasmes dont un grand nombre sont malgré tout justifiés ; mais tableau qui décrit, au-delà des vices qui justifient ces sarcasmes, la position naturelle de la France dans les domaines de la souveraineté et de l'indépendance. Même la IVème République avec ses nombreuses turpitudes n'a jamais tout à fait écarté ces attitudes françaises qui sont comme la nature même de ce pays. »
Autre extrait du même texte où est cité Charmley rapportant cet épisode critique où les Israéliens attaquent l'Égypte, le 29 octobre 1956 :
« Les Américains furent totalement surpris par l'invasion israélienne de l'Égypte. Ils avaient assumé que la Jordanie était l'objectif du renforcement militaire israélien que leur renseignement avait identifié. D'abord, Eisenhower ne put ‘croire que l'Angleterre s'était laissée entraîner dans ce truc’ et Dulles exprima la crainte que les Arabes imaginent que l'Amérique en avait été préalablement informée. Le 29 octobre, Eisenhower était encore si peu convaincu que les Britanniques étaient ‘dans le coup’ qu'il se demandait s'il ne fallait pas les avertir que ‘les Français nous ont trompés’. Mais, contrairement à son vieil ami MacMillan, Eisenhower avait correctement interprété la pensée de son allié. Il pensait que les Britanniques ‘estim[ai]ent que nous finir[i]ons par aller avec eux’ mais il n'avait pas l'intention d'agir de la sorte. Quels que soient les mérites de la cause britannique, ‘rien ne les justifie de nous doubler’. L'assistant au secrétaire d'État Hoover parlait pour une majorité de dirigeants américains lorsqu'il affirmait que ‘si nous nous étions mis du côté anglo-français nous aurions trouvé l'URSS alignée avec les Arabes et, en fait, avec toute l'Afrique’. Dulles, qui affirmait qu’‘il y avait eu une bataille entre les Français et nous-mêmes pour attirer à soi les Britanniques dans la situation de crise du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord’, pensait que l'Amérique devait saisir ‘sa chance à bras le corps’ de ‘récupérer’ les Britanniques …
»… Finalement, non, les Français l’emportent et, contre l’espoir de Dulles, “entraînent” les Britanniques dans l’attaque… Allons donc ! Est-ce de la sorte qu’on peut interpréter la crise à cet instant crucial, selon la propre interprétation de Dulles: une partie de bras de fer entre Français et Américains pour emporter la décision des faibles et hésitants Britanniques, et que les Français l’emporteraient finalement ? Pourtant, ce schéma général des Français tenant une position d’influence fondamentale semble bien être celui que favorisent les duettistes Ike-Dulles, qui conduisent la plus grande puissance du monde...»
Il est finalement assez malheureux, bien que merveilleusement et vigoureusement anticolonialistes, que les Français aient un peu écarté cette notion de la souveraineté qui leur donnait tant d’autorité lorsqu’il s’est agi d’affronter le véritable problème algérien hors des psaumes anticolonialistes ânonnés et psalmodiés par la gauche transatlantique et globaliste. Le paradoxe est bien que l’acteur principal de cette torsion soi-disant tactique et moraliste pour notre âme, et qui s’avère sur le terme stratégique comme piétinant notre âme, fut l’homme le plus réputé comme souverain et souverainiste, le général de Gaulle.
Dans cet extrait des ‘Mémoires du dehors’ de PhG (beaucoup d’illusions et de beaux projets devenus poussière dans ces propos comme dans l’emploi de l’italique), ou trouve dans la publication du 6 novembre 2006 un texte d’introduction qui nous informe sur la prochaine naissance du chef d’œuvre, sorte de ‘Mémoires d’Autres Tombes’.