Trump après Kim

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Trump après Kim

13 juin 2018 – Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, quel que soit son (dés)équilibre psychologique et ses épouvantables défauts, quelque reproche qu’on puisse lui faire, quelque jugement peu favorable sinon méprisant et scandalisé qu’on puisse porter sur lui, – et nous ne sommes guère privés de tout cela, depuis qu’il joue un rôle politique, et sans revenir sur notre jugement pout autant, – Trump reste, au-delà de ce qu’il est, ce qu’il était devenu dès que sa candidature fut devenue un facteur politique sérieux, et cela contre ou à l’insu de son plein gré peu importe : un “cocktail Molotov humain” lancé par l’électorat dans la tronche de l’establishment et contre l’ordre (le désordre) établi. Pour cela, il lui sera beaucoup pardonné, d’autant que d’En-Haut c’est bien de cette façon qu’On entendait qu’il conduisît sa mission...

Cette image magnifique (“cocktail Molotov humain”) trouvée par un de ses ennemis les plus acharnés, Michael Moore, a le mérite de montrer la capacité explosive considérable et surtout inéluctable de Donald Trump, puisque montrant parallèlement l’absence complète de plan et de projet du personnage. (Un “cocktail Molotov”, cela ne pense pas, cela pète.) Cette fonction cardinale du candidat-devenu-président exonère toutes les critiques ou absences de critique à son égard, sans le moindre intérêt pour l’essentiel. Il est vrai que nous devons impérativement considérer Trump au sens vrai de l’expression comme un OVNI, c’est-à-dire une chose extra-terrestre, hors du contrôle humain des autorités constituées, hors de son propre contrôle à lui enfin, et utilisé comme une force explosive et totalement destructrice de l’ordre, c’est-à-diredestructrice du désordre établi et donc du Système. L’épouvantable Trump, l’insupportable Trump est antiSystème parce que le Très-Haut en a décidé ainsi, – et comme Ses voies sont impénétrables, – Amen... 

Il est d’autant plus nécessaire de rappeler tout cela qu’il se trouve que nous nous trouvons à un moment extrêmement fécond de l’aventure. En quelques jours, les catastrophes antiSystème se sont empilées, où Trump a bien plus que sa part habituelle de responsabilité, dont il porte même la charge essentielle, pas loin d’être exclusive. L’effort qu’il a entrepris depuis le 8 mai (sortie du traité nucléaire iranien) a abouti durant les quatre derniers jours à une fracture formidable entrecoupée d’injures de charretier au sein du bloc-BAO, et à un sommet presqu’amoureux avec le dictateur le plus exotique des restes devenus antiSystème du monde d’avant la fin de la Guerre froide, dans des conditions telles que l’establishment-Système dans son entier considère que le président des États-Unis a complètement capitulé devant Kim, qu’il s’est quasiment mis à genoux devant lui... Oyez ces quelques mots glanés lors d’un de ces talk-shows télévisés (“Politiquement Show”, hier soir, sur LCI)

«Nicole Bacharan : ... C’est un désastre, un pur désastre... On voit que Donald Trump est un homme autoritaire, qui ne s’identifie pas au régime démocratique, qui fait exploser les alliances démocratiques et qui préfère ‘dealer’avec des dictateurs par lesquels il se fait avoir... [...]

» Arlette Chabot : Donc, il vaut mieux être un ennemi de Trump qu’un de ses alliés... »

Ainsi la rencontre Trump-Kim a-t-elle été accueillie comme une nouvelle catastrophe pour le Système, suivant la catastrophe du G7. Le jugement a été que Trump a fait toutes les concessions et que Kim n’a rien cédé : c’est un jugement excessif mais c’est le jugement d’un Système qui est si complètement aux abois que la moindre parole qui ne soit pas d’une affirmation péremptoire de lui-même est perçue comme une capitulation. L’annonce de l’arrêt des manœuvres conjointes USA-Corée du Sud à la demande de Kim, – concession du président US, certes, – a été perçue par la plupart des commentateurs-Système comme l’amorce d’un retrait accéléré des USA, de Corée du Sud, mais aussi éventuellement du Japon (on a oublié  Taïwan, mais elle serait certainement dans le lot), – bref, d’un retrait des USA d’Asie, rien que cela. Nicole Bacharan, représentant parfaite à Paris de l’establishment washingtonien, ou bien est-ce quelqu'un d'autre, – bref, on a même parlé, lors du même débat déjà cité, de Trump “se mettant à genoux” devant Kim : Singapour, ou le Canossa inverti...

Tout cela nous paraît extrêmement excessif, presque caricatural, par rapport à la réalité de l’engagement stratégique US mais ce qui compte en l’occurrence, on ne le répètera jamais assez, c’est bien la perception. On ne peut éviter de conclure que cette perception-Système d’un retrait US de Corée/d’Asie comme représentation fantasmée des résultats du sommet Trump-Kim suivant la fracture explosive au sein du groupe transatlantique donne effectivement aux commentateurs-Système la perception d’un retrait général des USA.

De ce point de vue, l’essentiel est fait... Nous-mêmes, nous le répétons bien assez souvent, la perception règne absolument et partout, essentiellement pour le Système qui s’est enfermé dans une carapace de communication pervertie à sa mesure, à son avantage, à ses phantasmes. La désintégration totale de la réalité conduit au fait que ces perceptions, avec les narrative qui vont avec, gouvernent le jugement et fondent les situations nouvelles... Ainsi, la phase des quatre derniers jours représente-t-elle, pour le Système, un désastre sans précédent, un “désastre pur” pour les USA, pour le bloc-BAO, pour le Système.

Ce qui nous conduit au cas-Trump, vu du point de vue du Système...

« Quand, où et comment l’Empire va-t-il riposter contre Trump ? », – c’est le titre d’un article de James George Jatras (l’original dans Strategic-Culture.org le 9 juin 2018, la traduction française le 12 juin 2018 dans Mondialisation.ca). Le thème de Jatras est simple : le système de l’américanisme, et le Système par conséquent, ne pourront pas supporter longtemps les effets catastrophiques qu’engendre la politique de Trump, notamment pour ce qui concerne l’influence et l’autorité hégémonique des USA ; encore ce thème est-il exploré par Jatras avant le 9 juin, et l’on comprend combien il s’est formidablement renforcé ces quatre derniers jours avec les évènements qu’on sait, qui se sont empilés dans une débâcle colossale, – toujours du point de vue du Système. Alors, interroge Jatras, que peut faire le Système pour réagir contre Trump : “Où ? Quand ? Comment ?”

En fait, l’argument de Jatras est complexe en raison de la complexité de l’action de Trump, incontrôlable et erratique, qui parfois et même assez souvent semble aller dans le sens du Système, et dont l’effet est pourtant catastrophique. Nous ne serions pas loin de faire l’hypothèse que la responsabilité de Trump n’est qu’en partie engagée, qu’il y a aussi une pente naturelle de l’évolution du Système, en train de passer du déclin accéléré à l’effondrement de lui-même, du fait de sa politique (celle du Système, la politique-Système). Trump n’est pas la cause de tout cela, il est d’abord une conséquence, un greffon si l’on veut, mais sa personnalité extraordinairement fantasque (hypomaniaque-narcissique) autant que sa position en-dehors du système politique washingtonien proprement dit en font un accélérateur très efficace du processus. Pour le Système qui ne peut s’imaginer faire lui-même quelque erreur que ce soit et ne pas posséder la vertu inaltérable de sa nécessité, Trump est le coupable de tout cela, et le bouc-émissaire idéal.

Jatras imagine plusieurs possibilité de riposte, mais la plupart d’entre elles constituent des manœuvres classiques de montages, de narrative, etc., qui agissent contre une politique supposée d’“apaisement” ou de retraite de l’hégémonie US qui n’est pas nécessairement celle de Trump, – tant s’en faut, tant lui-même est l’homme qui voudrait justement perpétuer l’hégémonie US par d’autres moyens (celle de la “dominance“ énergétique). Ce n’est que dans tous les derniers épisodes, notamment au G7 et avec la rencontre avec Kim telle qu’elle a été interprétée, que Trump a pu sembler agir contre le Système. Par contre, par exemple, son retrait du traité nucléaire avec l’Iran rencontre les souhaits d’une partie non négligeable, des extrémistes du système de l’américanisme, – les neocons & Cie... Ainsi toutes les “ripostes” anti-Trump du Système envisagées par Jatras sont-elles ambiguës par rapport à la sinusoïde erratique que forme la “politique” trumpiste. Le désordre de ce caractère si extraordinairement instable constitue une variable aussi aisée à saisir qu’un savon mouillé sur un parquet glissant.

Seule la dernière hypothèse a l’intérêt de la netteté et nous ramène-t-elle à une pratique dont l’histoire des États-Unis est loin d’être exempte : l’assassinat. Si vraiment le Système en vient à estimer que Trump est en train de pulvériser les positions de l’hégémonie, ou des restes de l’hégémonie US dans le monde, alors effectivement l’élimination physique se présente comme une mesure que l’on peut concevoir. Après un premier passage présentant les alternatives s’offrant au Système, on reprend le passage de l’article, qui clôt d’ailleurs le texte, concernant cette hypothèse...

« ...Si le passé nous suggère un enseignement, on suggérera que l’Empire ripostera – durement et salement.

» On se souvient des sept années de guerre en Syrie, où chaque fois que les États-Unis ont indiqué leur volonté de se désengager, ou lorsque les forces syriennes ont fait des gains militaires importants, alors – Boum ! – une attaque d’armes chimiques lancée immédiatement, attribuée sans aucune preuve aux forces gouvernementales, suivie de nouveaux cris de “Assad tue son propre peuple ! Assad doit partir !”. (C’est un stratagème qui remonte au moins à la guerre de Bosnie des années 1990. Chaque fois qu’un cessez-le-feu négocié semblait se dessiner, une autre “attaque au mortier serbe”contre des civils avait lieu, conduisant à des appels à une action militaire de l’OTAN.)

» La question n’est pas “si” il y aura une provocation, mais plutôt quand, où et comment. S’il est difficile de faire des prédictions, notamment sur l’avenir, il est néanmoins possible d’anticiper certaines possibilités... »

[Suivent diverses très classiques possibilités de manœuvres supposées anti-Trump de réactivations de crises et des classiques un peu lassant du genre, comme une “attaque” chimique en Syrie en préparation, un vrai-faux-vrai assassinat d’un faux-vrai journaliste vraiment-faussement russe, un peu de mort-aux-rats déguisé en un agent chimique fabriqué par des agents tsaristes sortis des Protocoles des Sages de Sion,utilisé contre des transfuges nazis devenus anti-Poutine et intégrés dans des manœuvres OTAN, etc. Il s’entend comme allant de soi que tout cela doit mécaniquement et démocratiquement être attribué à Poutine, ce qui n’est que constater l’inévitable vérité. Nous reprenons à la cinquième et dernière possibilité, celle qui nous intéresse, jusqu’à la fin du texte.]

« [...] • Assassinat : L’une des prédilections bien connues de Poutine est de tuer, ou du moins de tenter de tuer, quiconque pourrait lui déplaire. Ou comme Assad avec ses armes chimiques, peut-être que Poutine tue juste pour le pur plaisir. La liste des victimes est longue : Babchenko (non, pas lui), les deux Skripal (pas eux non plus), les opposants politiques comme Boris Nemtsov et Sergei Yushenkov, les journalistes de muckraking comme Anna Politkovskaya et Natalia Estemirova, l’ancien tchekiste Aleksandr Litvinenko, le fondateur du réseau RT Mikhail Lesin, les avocats en croisade comme Stanislav Markelov et Sergei Magnitsky, l’oligarque Boris Berezovsky, etc. Une élimination opportune d’un personnage suffisamment visible [comme Trump] aurait un impact salubre sur toute démarche ennuyeuse de rapprochement est-ouest. Aucune preuve n’est nécessaire – la simple identité de la victime serait une preuve irréfutable de la culpabilité de Poutine.

» En ce qui concerne la dernière possibilité, l’assassinat, il faut toujours garder à l’esprit qu’en fin de compte, l’homme qui menace de ficher par terre l’ordre mondial libéral n’est pas Poutine – c’est Trump. Cela suggère une solution ultime qui pourrait devenir tentante si le fonctionnement du The-Donald à des températures supérieures à la température ambiante devient trop dur à supporter, en un mot s’il menace de faire péter la chaudière.

» Comme l’a dit fameusement Joseph Staline,“la mort résout tous les problèmes. Pas d’homme, pas de problème.” Trump, qui pour beaucoup de gens puissants est en effet un problème, a été comparé avec enthousiasme à Jean-Marie Le Pen, Silvio Berlusconi, Vladimir Poutine – même à Hitler et à Mussolini ; et dans un contexte américain, à Andrew Jackson, Huey Long et George Wallace. Notons que chacun de ces trois Américains a été la cible d’un assassinat. Jackson (un personnage que Trump admire) a survécu parce que les pistolets de son assaillant s’étaient enrayés, cela salué par certains à l’époque comme un miracle. Le “Kingfish” Huey Long a été tué, Wallace paralysé à vie.

Il y a des raisons de penser que Trump est bien conscient du sort du dernier président américain qui a tellement menacé l’ordre habituel des choses et l’establishment retranché, impitoyable, qui en profite si puissamment. Il a manifesté à plusieurs reprises son intérêt à publier le dossier complet de l’assassinat de Jack Kennedy, puis il a reculé pour des raisons non divulguées. La mort par balle du frère du président Robert Kennedy, qui aurait pu être élu président en 1968 et aurait pu rouvrir l’enquête sur le meurtre de son frère, est de retour dans l’actualité avec la démarche de son fils Robert Kennedy Jr., exprimant des doutes sur la version officielle de la culpabilité entière de Sirham Sirham.

» Si quelqu’un pense qu’il y a une limite que les ennemis de Trump ne franchiront pas, qu’il se détrompe. »

“Le Roi est nu”

Assassiner Trump ? (Ou bien, variantes : un coup d’État, une destitution forcée, etc.,— on connaît tout cela, on a déjà plusieurs fois évoqué ces possibilités et la période entre son élection et son installation à la Maison-Blanche a été fournie, sinon fleurie à cet égard.) Pourquoi pas ? doivent se dire les défenseurs acharnés du Système. Au reste, la question vaut également pour les antiSystème, mais pour eux dans le mode passif, en envisageant l’événement que d’autres provoqueraient : Pourquoi pas ? 

L’hypothèse évoquée par Jatras selon laquelle une telle action pourrait être mise “au crédit” de Poutine, une fois de plus, constitue à notre sens une voie fantasmagorique sans guère de chance d’être suivie. Au contraire, il s’agirait d’un acte qui intégrerait brusquement toutes les crises affectant le système de l’américanisme et le Système lui-même en un événement cathartique auquel pas une seule narrative ne résisterait. C’est pourquoi le “Pourquoi pas ?” peut également, et même exclusivement au bout du compte selon l’équation surpuissance-autodestruction, être considéré comme fondamentalement antiSystème. L’acte constituerait un bon moyen d’accélérer l’effondrement en plongeant les USA dans un désordre sans précédent, dans une deuxième Guerre Civile qui réduirait la première à l’état de brouillon mal fini et déclencherait la phase finale accélérée de l’effondrement du Système.

Étrange situation, – toujours du point de vue du Système... Ne pas assassiner Trump, ne pas l’éliminer d’une façon ou l’autre, le laisser poursuivre sans plus d’entraves qu’il n’en a maintenant ? Ce serait la chevauchée du désordre qui ne ferait que s’amplifier en accélérant la course à l’effondrement... L’éliminer, c’est le risque quasiment assuré d’être réalisé d’un désordre catastrophique aux USA, puis dans le reste, comme une trainée de poudre, autre façon de faire la course à l’effondrement... Il faut en convenir, le choix entre la peste et le choléra n’a jamais été facile, pas plus que la navigation entre Charybde et Silla.

Il était assez comique d’entendre au débat télévisé déjà cité l’une ou l’autre voix dire que Trump faisait cette “politique“ brutale et folle (Iran, G7, sommet avec Kim, etc.) pour les élections mid-term, — car la politique qu’il fait, notamment le protectionnisme et la réconciliation avec la Corée du Nord est populaire, – et qu’après les avoir remportées sans doute adoucirait-il sa politique, selon le raisonnement classique des politiciens-peinards qui ont conduit le bloc-BAO depuis près de deux siècles. Comme si Trump était un homme qui pensait une politique à si long terme (quatre mois, pensez !) ; comme si Trump était un homme qui avait une véritable politique, à long ou à court terme ; comme si Trump dépendait d’une victoire républicaine aux élections mid-term ; comme si Trump pouvait concevoir qu’il fût de quelque intérêt que ce soit d’“adoucir” quelque chose, lui dont le caractère est du type même du paroxysme permanent e l'hypomaniaque...

Tous les commentateurs-Système vivent dans un passé inventé, celui d'avant-Trump où, selon la formule de l’un d’entre eux, “on faisait une politique convenable” ; on attaquait l’Irak, la Serbie, l’Afghanistan, l’Irak à nouveau, la Libye, la Syrie, on badigeonnait des révolutions fabriquées de couleurs diverses, on renversait les gouvernements-élus, on exerçait des pressions terroristes et ainsi de suite, en y mettant les formes de l’illégalité et selon des narrative dites la bouche pleine de ces mots qui enchantent et enivrent, – démocratie, droits de l’homme, “nos valeurs”, la civilisation, le Progrès, la postmosernité, la diversité.

Trump, c’est une question de vocabulaire...Dans l’époque de la communication, l’absence de certains mots et des narrativequi vont avec est un risque terrible. Il y a toujours le gamin de la fable pour s’écrier : “Le roi est nu”. Le Système est frileux, il risque bien de contacter, si ce n’est déjà fait, une de ces maladies dont on ne se relève pas.

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