Tragédie identifiée : Wokrisis-Ukrisis

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Tragédie identifiée : Wokrisis-Ukrisis

2 avril 2023 (13H30) – Depuis de nombreux mois, je guette l’établissement d’une connexion directe (la connexion indirecte est évidente) entre Ukrisis dans son sens le plus strict,  réduite à l’Ukraine et à ses conséquences directes, et la crise “intérieur” américaine. Je pense bien l’avoir trouvée et, pour la clarté des choses, une plume amie proposera l’expression de ‘Wokrisis’ pour l’identifier, –

Note de PhG-Bis : « Avec le mélange d’une syllabe de ‘wokenisme’ venu de ‘Woke’ : wokenisme, et le même ‘krisis’ que dans Ukrisis, on obtient ‘wokrisis’... Woke-wokenisme, crise identitaire sans précédent, jusqu’à l’ultime caricature de l’absurde, qui touche tous les aspects de la culture des USA et tout ce qui en découle dans tous les domaines, jusqu’à des abysses de néantisation. Par conséquent, embrasse parfaitement la crise suprême et finale du système de l’américanisme.

» Lorsqu’il veut donner un exemple de cette universalité du woke aux USA, Mike Adams, vu hier, cite les mathématiques soumis à une critique radicale systématique parce que “raciste“ : “Si un élève estime que, pour lui, deux plus deux égale cinq, on est tenu d’accepter sa règle individuelle”. Exemple d’un domaine touché qui m’a rempli d’une ironique jubilation : “Pourquoi les USA ne parviennent-ils pas à réaliser des missiles hypersoniques et abandonnent des programmes ? Parce qu’ils ont des Woke-ingénieurs”. Et je suis sûr que ce n’est absolument pas faux, pas du tout une galéjade »

Wokrisis’, ou la sécession

Bien entendu, c’est l’observation fondamentale que la dédollarisation déclenchée par la crise ukrainienne Ukrisis et la déroute de l’influence US dans le monde touche les États-Unis au niveau institutionnel des États, et selon une dynamique qui les pousse à la sécession, – c’est cet état de chose qui me pousse à identifier ‘Wokrisis’.

Le phénomène extraordinaire qu’il faut acter, c’est que la dédollarisation qui s’attaque à l’hégémonie mondiale des USA, donc de l’extérieur des USA, revient en force, comme un boomerang (‘blowback’), vers l’intérieur des USA pour saccager la fragile structure de cette étrange et monstrueuse entité. La dollarisation du monde était le produit de l’hyperpuissance des USA ; la dédollarisation est son autodestruction.

« D’autres précisions placent la situation décrite par Adams dans le flux de la dédollarisation, liant ainsi les situations extérieure et intérieure des USA et éclairant la responsabilité de la politiqueSystème dans la fragilisation et sans doute la désintégration des USA. »

Maturité de la GrandeCrise

Devant cette perspective, les composants de l’Union n’ont qu’une alternative : la sécession. C’est l’exemple du Texas que nous propose Adams. D’une certaine façon, il s’agit d’une réaction complètement naturelle, et typiquement américaine, – “américaine” comme opposée à “américaniste” qui implique une force constante appliquée par le centre vers tous ses composants pour les forcer à tenir ensemble.

C’est la puissance du centre (Washington), mille fois montrée et démontrée, qui conduisit en 1865, non seulement à la capitulation du Sud mais surtout à la réunion de l’ensemble des composants pour les soumettre au diktat de la puissance de Washington, – et déjà de sa politique constituée en une politiqueSystème répondant à l’exigence de l’idéal de puissance. La sécession, et donc la désintégration des USA, est une réponse naturelle aux pressions insupportables d’autodestruction que fait peser la dédollarisation conduite jusqu’aux USA eux-mêmes.

On comprend qu’ainsi, la réunion de Wokrisis et d’Ukrisis conduit à la réalisation totale de la GrandeCrise, c’est-à-dire à sa maturité. Cette maturité ne peut être réalisée que si les USA en tant qu’“Amérique” dans notre perception symbolique, c’est-à-dire la matrice et la productrice de tous les grands phénomènes de la modernité, et surtout de la déconstructuration, entre elle-même dans la phase finale de sa crise en s’intégrant totalement dans le flux de la GrandeCrise qu’elle a directement suscitée du fait d’une politique extérieure elle-même totalement déconstructurante. (Cette politique que les théoriciens du paradoxe moderniste se plaisent à nommer “politique du chaos”, comme si les deux mots, – “politique” et “chaos”, – étaient compatibles alors qu’ils sont nécessairement antinomiques et additionnent leur puissance pour former une surpuissance qui accouche de l’autodestruction.)

Tout cela, bien entendu, se fait sous la force de la fascination d’un destin nécessairement tragique :

« Oui, les USA sont absolument fragiles, parce qu’ils n’ont jamais été adoubés par l’Histoire, qu’ils se sont construits contre elle, par le fer, le feu et le sang, puis par la spéculation, la corruption, la rapine et le virtualisme de la création fictionnelle. Le seul remède à cette fragilité, confusément mais fortement devinée, c’est l’expansion – non pas la conquête, mais l’expansion de l’américanisme, jusqu’à ce que tout devienne américanisme et qu’il s’avérerait alors que l’Histoire est vaincue. Ces dernières années ont montré, avec quelle vitesse vertigineuse, quelle ivresse de la défaite, du revers et de la catastrophe, que l’expansion politique et économique de l’américanisme est dans une impasse, que c’est même le contraire qui se passe. Ainsi s’impose soudain, comme une fascination pour son propre destin, la “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique”… Dito, la fragilité de la chose, soudain exposée dans toute sa béance, et contre laquelle plus rien de solide ne semble pouvoir être construit. »

Donc, fin de l’‘American Dream

Inexorablement, on voit donc que l’évolution de la situation crisique conduit vers l’éclatement des USA comme achèvement parfait de la GrandeCrise et de la destruction de la modernité. J’ai, nous à ‘dedefensa.org’ avons toujours pensé et dit qu’il s’agirait, – ce phénomène de la destruction des USA, – d’un choc psychologique immense et il faut plus que jamais en être persuadé. Il s’agit, nous en avons souvent parlé, de la destruction, – en même temps que le reste, – de l’‘American Dream’. Nous en avons souvent parlé, et souvent en détails, comme ce 18 juillet 2020, en marge des émeutes ‘Black Lives Matter

Nous avons toujours tenu la rupture inéluctable et nécessaire de ce rêve (l’‘American Dream’) comme un événement absolument fondamental, une véritable rupture de civilisation dans notre psychologie. Nous écrivions à ce propos le 14 octobre 2009, ces lignes dont je ne changerais pas un mot du sens, de la destinée, de la voie à suivre :

« L’un des fondements est psychologique, avec le phénomène de fascination – à nouveau ce mot – pour l’attraction exercée sur les esprits par le “modèle américaniste”, qui est en fait la représentation à la fois symbolique et onirique de la modernité. C’est cela qui est résumé sous l’expression populaire mais très substantivée de American Dream. Cette représentation donnée comme seule issue possible de notre civilisation (le facteur dit TINA, pour “There Is No Alternative”) infecte la plupart des élites en place; elle représente un verrou d’une puissance inouïe, qui complète d’une façon tragique la “fascination de l’américanisme pour sa propre destinée catastrophique” pour former une situation totalement bloquée empêchant de chercher une autre voie tout en dégringolant vers la catastrophe. La fin de l’American Dream, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation. »

Je note bien que nous parlons effectivement d’une « autre civilisation ». Ce sera bien plus que le passage de l’unipolarité à une multipolarité, même si ce passage est nécessaire. Ce sera même bien plus que la fin de l’hégémonie USA/Occident-collectif, même si cette fin est absolument nécessaire. Ce sera comme l’éveil d’un épouvantable cauchemar.