RapSit-USA2020 : Dostoïevski et l’American Dream

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RapSit-USA2020 : Dostoïevski et l’American Dream

Les USA continuent à sombrer à une hyper-vitesse respectable dans une sorte de folie où subversion et inversion règnent en maîtresses de la couleur des temps. Ce n’est pas pour autant que la subversion et l’inversion triomphent dans le sens négatif d’une déconstruction entropique, car leurs effets ont largement passé leur ‘Principe de Peter’ et développent des conséquences inattendues et de plus en plus souvent paradoxales, qui détruisent le Système plus qu’ils ne le renforcent. Nous voulons suggérer que certaines situations ainsi engendrées, de plus en plus souvent, suscitent le ridicule, l’absurde, le surréalisme, qui, en tout état de cause, ne vont pas dans le sens qu’on attendrait de la subversion et de l’inversion.

• Le cas du ridicule est atteint lorsqu’on apprend que le maire de New York City Bill de Blasio, qui a fait peindre un Black Live Matters en lettres immenses sur la chaussée devant la Trump Tower, affecte trois équipes de neuf officiers de police, – pendant que les crimes augmentent explosent partout dans la ville, – pour se relayer dans la protection de cette incontestable œuvre d’‘Art Contemporain’ (A.C.) que certains vandales auraient cherché à dégrader par une autre couleur que le jaune. Répondant à certaines remarques sur l’étrangeté d’affecter la police à la protection d’une œuvre d’A.C. à la gloire d’un mouvement qui réclame la suppression de la police, Blasio a répondu gravement, comme si le poids du ton pouvait cacher la stupidité infantile du propos  :

« The Black Lives Matter movement is more than words, and it can’t be undone. » (« Le mouvement Black Lives Matter est plus que des mots, et il ne peut être défait »).

• L’officier de police Jakhary Jackson, de Portland, dans l’Oregon, où l’émeute règne, remarque qu’il y a plus de Noirs dans la police que chez les manifestants de Black Lives Matter (blancs dans leur large majorité). Jackson rapporte, anecdote charmante, qu’il a été interpellé comme d’autres officiers de police noirs dans des termes racistes par des manifestants (blancs, évidemment) de BLM : « Vous avez des manifestants blancs qui hurlent à l’intention d’officiers de police noirs “eh, tu as le plus gros nez épaté que j’ai jamais vu !” »

Il y a, de plus en plus frappant, évident, hurlant, un vent de folie et de déraison dans les comportements des émeutiers de la Grande-Emeute2020. Cette extraordinaire immaturité destructrice, soutenue et applaudie par nombre d’autorités, par une part importante de la classe politique, par une directionsSystème vautrée dans la soumission, etc., suscite de plus en plus la fureur des commentateurs indépendants, non-assujettis à la zombification-extrémiste propre aux hordes de la presseSystème. D’où ce commentaire effectivement furieux du journaliste expérimenté venu de UPI, Martin Sieff, sur Strategic-Culture.org, sous le titre :

« Comment les adultes infantiles américains qui n’ont jamais grandi sont devenus les démons de Dostoïevski »...

L’important pour notre propos, dans cet extrait, est effectivement que Sieff en vient à citer Dostoïevski.

« ... La première est l’obsession maniaque des Américains de faire la leçon aux autres nations du monde, puis d’intervenir de manière impudente et sans fin pour renverser des gouvernements et refaire des sociétés entières. Au cours du dernier demi-siècle, ces interminables mésaventures dans ce qu’on appelle le ‘nation building’ (en réalité son contraire, destruction des nations) ont échoué de façon catastrophique partout où elles ont été tentées.

» La seconde est la désintégration imminente des États-Unis eux-mêmes, mis en pièces par un étrange fédéralisme du XVIIIe siècle qui, en vérité, est obsolète depuis la création de la locomotive à vapeur il y a près de deux siècles.

» Et comme si cela ne suffisait pas, nous voyons maintenant la société américaine être déchiquetée en deux factions antagonistes, les ultra-libéraux et les conservateurs caricaturaux, qui se haïssent les uns les autres et refusent de même chercher un terrain d'entente.

» Mais plus fondamentale encore que ces facteurs de désintégration évidents, il existe une force destructrice unique et plus profonde. Il s’agit de l’infantilisation de plus de 200 millions d’Américains soi-disant adultes. Saint Paul écrit dans sa Deuxième Lettre aux Thessaloniciens que Dieu leur a envoyé une illusion pour qu’ils croient à un mensonge. Mais aujourd'hui bien plus encore, les illusions et donc les mensonges avec elles ont proliféré au-delà de tout décompte possible. [...]

» C’est un état d’illusion infiniment plus dangereux que celui qui touche les brutes et les garçonnets faiblards rêvant de devenir des super-héros machos. Dostoïevski a reconnu et décrit les créatures horribles et arrogantes d’une destruction nihiliste sans limite qui ne manqueront pas de surgir d’une telle société dans son chef-d’œuvre le plus obsédant et le plus terrifiant, ‘Les Possédés’ (ou ‘Les Démons’). [...]

» Combien de temps encore un tel état de choses, un tel déséquilibre dans l’ordre du monde, peut-il durer ?

» Plus très longtemps... »

Effectivement, Dostoïevski, que nous avons déjà rencontré lorsque nous avons largement détaillé le “modèle dostoïevskien”, notamment dans ce texte du 11 octobre 2019. Ce qui nous est donné aujourd’hui aux USA, c’est de voir en action l’“homme nouveau”, l’homme postmoderne, changé et libéré jusqu’à l’extrême zombification du paradoxe grotesque identifié comme liberté, du mécanisme pavlovien baptisé révolution, tout cela dans l’atmosphère bouffonne de la tragédie-bouffe que nous vivons.

Concernant l’“homme nouveau“ de Dostoïevski, nous écrivions dans le texte référencé :

 « Marghescu [dans son livre ‘Homunculus’ sur une ‘Critique dostoïevskienne de l’anthropologie’] oppose ainsi, dans l’univers dostoïevskien, l’‘homme normal’, également désigné plus précisément comme ‘homme traditionnel’, et ‘l’homme nouveau’, qui est le moderne et qui pourrait être ‘l’homme moderne’, – Raskolnikov nous étant présenté comme l’archétype de l’être qui, changeant d’‘être’, passe de l’un à l’autre. On comprend ainsi que, loin d’être un progrès dans le sens de la valeur qualitative, cette évolution, qui passe sous les fourches caudines de cette inversion diabolique du progrès qu’est ‘le Progrès selon le moderne’, représente une complète catastrophe ontologique présentant aujourd’hui les comptes décisifs qu’il importe de régler, dans le cadre absolument contraignant comme un Temps de la Grande Crise de l’Effondrement du Système.

» L’‘homme nouveau’ “voit s’achever l’aventure commencée à la Renaissance puisqu’il a épuisé ses projets dans l’action et qu’il n’en a pas d’autres. […] Au moment même où Zarathoustra, – et les naïfs, – se croient encore aux aurores et appellent un ‘homme nouveau’, Stavroguine et Raskolnikov savent que la nuit tombe et que ‘l’homme nouveau’ a vécu…” »

Cette situation a des assises et des origines proches extrêmement spécifiques, dans l’époque ouverte et caractérisée par 9/11. Ce n’est pas pour rien que GW Bush se posa également, en 2005, comme un de ces ‘héros invertis’ que Dostoïevski avait si parfaitement débusqués ; ‘homme nouveau’, mêlant le grotesque comme les BLM dans les rues des cités américaines, à l’hystérie quasiment théologique dont l’estimable président GW Bush donne ici, dans un texte consacré à cette généalogie de l’actuelle folie américaniste, un exemple surprenant et très souvent oublié.

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RapSit-USA2005 : Le feu dans les esprits

Aux sources de leur folie finale

Nous vivons dans un régime que nous désignerions, notamment du fait de l’activisme communicationnel, de régime d’une “démocratie survoltée”. Le concept de démocratie et tous ceux qui lui sont liés (dont “antiracisme”, “violences policières” actuellement) ne cessent d’être affirmés et réaffirmés, et l’objet de vastes mouvements de foules, de contestations et de désordres. Ce concept sert constamment d’arme dialectique, d’attaque ou de défense c’est selon ; il est offert comme première et quasi-unique référence de régime politique. Il y a à cet égard un véritable effet de “terrorisation démocratique”.

Toutes les opérations de déstabilisation sont aujourd’hui conduites au nom de la démocratie, avec tous les excès qu’on imagine, et même, et de plus en plus souvent, avec essentiellement des effets radicaux de désintégration de la réalité entraînant un emprisonnement à une narrative, c’est-à-dire l’obligation de suivre la logique d’une affirmation fausse, – ce que nous avons désigné depuis la crise ukrainienne, qui est un tournant dans ce domaine, comme le “déterminisme narrativiste”, – avec comme seul remède à notre sens, devant cette subjectivisation accélérée de la réalité du monde, le concept de “vérité-de-situation”. L’on comprend que cette évolution représente aujourd’hui le facteur dynamique le plus important, et de très loin, dans l’évolution de la politique, qui introduit :
à la fois un effet paralysant sur les autres facteurs (disons, la politique active, ou activement contrôlée par les directions) ;
à la fois un effet de déstabilisation extraordinairement puissant autant pour la perception de l’évolution du monde (pseudo-évolution devenant évolution de ce fait) que pour la situation des psychologies collectives et individuelles.

Ainsi ce facteur à la fois de la “démocratie-survoltée” et de la “terrorisation-démocratique” introduit-il derrière des apparences d’une sorte de désordre-chaos paralysé, des changements absolument bouleversants dans les esprits (perception faussaire du monde, situation pathologique de la psychologie). Bien qu’affectant ce que nous nommons en général “le bloc-BAO”, cet ensemble dit “des démocraties occidentales  & libérales”, cette dynamique vient directement des USA et elle est directement américaniste ; nous dirions même qu’elle est originellement américaniste au travers de doctrines diverses qui se sont succédées depuis la doctrine de la “Destinée Manifeste” inventée en 1845-1847 pour justifier la guerre de pure annexion contre le Mexique. Aujourd’hui, c’est bien entendu aux USA, – ceci confirmant cela, – que la situation psychologique (psychopolitique, comme l’ère du même nom) est la plus grave (“D.C.-la-folle” et le reste).

GW Dostoïevski, POTUS

Il est intéressant de rappeler que cette dynamique (la “démocratie-survoltée”/“terrorisation-démocratique”) est non seulement née aux USA du fait d’un événement qu’est l’attaque 9/11, mais qu’elle a été théorisée d’une façon quasiment hystérique, et avec des accents exacerbés sans aucun doute théologiques, par un autre événement. Ceci est moins connu et moins souvent rappelé : il s’agit du discours de sa seconde investiture de GW Bush, du 20 janvier 2005, après sa réélection, que nous serions inclinés à baptiser “discours-Dostoïevski”... Nous donnons ci-dessous de larges extraits du commentaire stupéfié que publia le lendemain, le 21 janvier 2005, Justin Raimondo, sous le titre : « W and Dostoevsky – George W. Bush is a man possessed », – où le mot essential est bien entendu “possessed”, d’ailleurs renvoyant au titre du livre de Dostoïevski dont il est questions ici, Les Possédés (ou variation de la traduction: Les Démons).

 « Au milieu de son discours d'investiture, lorsque le président  proclama son “but ultime de mettre fin à la tyrannie dans notre monde”, je me suis demandé si Bush ou ses rédacteurs de discours savaient à quel point cette rhétorique ultra-révolutionnaire semblerait complètement étrangère aux conservateurs de la vieille école, – et j’eus rapidement ma réponse :

» “Parce que nous avons agi dans la grande tradition libératrice de cette nation, des dizaines de millions de personnes ont gagné leur liberté. Et comme l'espoir fait naître l'espoir, des millions d'autres la gagneront à leur tour. Par nos efforts, nous avons ainsi allumé un feu, un feu dans l'esprit des hommes. Il réchauffe ceux qui font confiance à son pouvoir ; il brûle ceux qui combattent le progrès qu’il apporte. Et un jour, cet incendie indompté de la liberté atteindra les coins les plus obscurantistes de notre monde.”

» Un feu, un incendie dans l'esprit, – sûrement, pensai-je, les rédacteurs de discours de Bush ne peuvent pas avoir inséré cette phrase sans en connaître l'origine littéraire. Il est tiré du roman de Dostoïevski ‘Les Possédés’, dont l’intrigue qui se déroule dans la Russie prérévolutionnaire décrit les intrigues du mouvement révolutionnaire émergent. L’un des personnages principaux s’inspire du célèbre anarchiste nihiliste Sergei Nechaev, dont le but est de faire une révolution au pouvoir si destructif que la société bourgeoise sera complètement détruite. La stratégie suivie est de susciter une violente répression de toute dissidence, – laquelle déclenchera à son tour une explosion de violence révolutionnaire. C'est dans ce but que le nihiliste Peter Verkhovenski acquiert la confiance de Lembke, un gouverneur provincial, le convainquant de la nécessité d'écraser les travailleurs rebelles qui distribuent des tracts révolutionnaires et s’insurgent généralement contre le gouvernement. Le résultat est le déchaînement d’une colère meurtrière, une éruption volcanique de violence nihiliste qui embrase la capitale provinciale dans un grand incendie...  [...]

» Les nihilistes révolutionnaires du roman de Dostoïevski et les nihilistes réels de la Russie prérévolutionnaire desquels les personnages romanesques s’inspirent se croyaient les agents du progrès, destinés par l'Histoire à balayer l'ancien monde dans les flammes purificatrices d'un grand soulèvement qui serait le prélude à un nouveau monde. Un sentiment messianique similaire d'être du bon côté de l'histoire imprègne la dialectique de Bush :

» “L'histoire est faite de flux et de reflux de la justice, mais l’histoire a aussi une direction visible fixée par la liberté et par le Créateur de la Liberté.”

» Les révolutionnaires marxistes et anarchistes de l'époque de Dostoïevski pensaient distinguer la “le sens de l’histoire”, bien qu'ils ne lui attribuassent pas d’inspirateur. L'innovation des Bushistes est de donner à son style révolutionnaire un thème théologique, substituant Dieu à l'Histoire, – mais finalement, c’est du détail. L’idée centrale est la même : il faut un bouleversement révolutionnaire mondial pour redresser le monde, et certains hommes sont oints par l'histoire pour en être les messagers et les émancipateurs.

» Hegel et ses disciples voyaient l'Esprit de l'Histoire en Napoléon, ce caporal de l’armée française devenu le libérateur de l'Europe du XIXe siècle ; aujourd’hui les philosophes du changement de régime prétendent voir un nouveau Napoléon en George W. Bush lorsqu'il se lance dans une campagne pour “libérer” le Moyen-Orient.

» C'est probablement le discours le plus inquiétant et même le plus effrayant jamais prononcé par un président américain. L’image d'un incendie qui brûle le monde et la promesse incendiaire d’aider les “réformateurs démocratiques” contre les “régimes hors-la-loi” dans le monde entier évoquent un autre “idéalisme” meurtrier, qui a fait du XXe siècle l'âge du massacre. Comme il le martelait encore et encore, – “L’expansion de la liberté dans le monde entier, “La promotion de ces idéaux est la mission qui a créé notre nation”, “Si vous défendez votre liberté, nous serons avec vous”, – Bush ressemblait plus à Trotski s'adressant à l'Armée rouge qu'à un président américain s'adressant à son peuple. Le ton militant, ouvertement idéologique, avait un air absolument bolchevique :

» “La promotion de ces idéaux est la mission qui a créé notre nation. C’est l'accomplissement sans faille du legs de nos Pères Fondateurs.  C’est maintenant la nécessité urgente de la sécurité de notre nation et l'appel de notre temps. C'est donc la politique des États-Unis de chercher et de soutenir la croissance des mouvements et des institutions démocratiques dans chaque nation et chaque culture, dans le but ultime de mettre fin à la tyrannie dans notre monde...”

» “L'Amérique ne prétendra jamais que les dissidents emprisonnés préfèrent leurs chaînes, que les femmes accueillent avec reconnaissance l’humiliation et la servitude, ou que tout être humain aspire à vivre à la merci des brutes”.

» ... Vous n’avez rien d'autre à perdre que vos chaînes. [...]

» Bien entendu, l'internationalisme militant de Bush est enrobé d’appels au “bon sens” et à l'intérêt national : “Les événements et le bon sens nous mènent à une conclusion” parce que “les intérêts vitaux de l'Amérique et nos croyances les plus profondes ne font plus qu'un.” Voyez-vous, c’est ce “jour de feu” [l’attaque du 11-septembre] qui nous a lancés dans notre quête messianique, et nous imprègne maintenant d'une “mission” sacrée de “répandre la liberté” dans tous les “recoins obscurantistes du monde”.

» Ce que cela signifie, en langage clair et simple et en pratique, c'est une politique étrangère de guerre perpétuelle :

» “Nous clarifierons sans cesse le choix devant chaque souverain et chaque nation, le choix moral entre l'oppression, qui est toujours mauvaise, et la liberté, qui est éternellement juste.”

» Traduction : Nous continuerons à lancer des guerres d'agression contre quiconque se mettra en travers de notre chemin. Si vous pensez que l'Irak est une grosse affaire, vous n'avez encore rien vu...

» Malgré tous les discours sur la “liberté”, – Bush a utilisé le mot “freedom” 27 fois, et le mot “liberty” 15 fois, – ce président et ses partisans fanatiques ont été les pires ennemis des libertés civiles sur le front intérieur. Bush a lancé l'attaque la plus grave contre les droits garantis par la Constitution depuis que le président John Adams a imposé les Alien and Sedition Acts de 1798. Et si Bush est un homme exécrable à cet égard, ses disciples sont pires encore.[...]

» Ce président croit que Dieu lui a personnellement confié une grande tâche : cela a été clair dès le début. Mais nous ignorions s’il allait abandonner la folle route tracée en Irak et modifier son ordination divine selon des lignes plus modestes.

» Hélas, la maladie des présidents de second mandat, – l’hybris, –  l'orgueil - a infecté l’esprit de ce président et de ses conseillers au cours des quatre premières années. La fièvre ne montre aucun signe d'apaisement : elle s'aggrave au contraire. George W. Bush est un homme possédé – et que Dieu nous aide tous si nous n'arrivons pas à le maîtriser. »

Vieux Monde, donne-moi tes pauvres !

Prenons l’affaire sous un angle différent, un peu plus historique mais toujours aussi pompeux (d’où l’actualité d’un Pompeo)... La Statue de la Liberté fut le don (en 1886) d’une France avisée et fraîchement républicaine, laïcarde et vertueuse à souhait, qui croyait, elle aussi, entrer dans la démocratie voulue par Dieu comme Dieu avait voulu la guillotine, et qui annonçait ainsi fort bien notre France présente... Son créateur (de la Statue), Auguste Bertholdi, résumait ainsi son œuvre :

« Je lutterai pour la liberté, j'en appellerai aux peuples libres. Je tâcherai de glorifier la république là-bas, en attendant que je la retrouve un jour chez nous. »

Sur la base de l’immense statue postée sur l’inévitable Liberty Island, sur une plaque du plus beau bronze est inscrit le poème The New Colossus écrit pour cette circonstance quasiment divine, de la plume d’une ardente militante de la démocratie américaniste et révolutionnaire, et évidemment féministe, la New-Yorkaise Emma Lazarus :

« Garde, Vieux Monde, tes fastes d'un autre âge, crie-t-elle

Donne-moi tes pauvres, tes exténués,

Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres,

Le rebut de tes rivages surpeuplés,

Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête m'apporte

J'élève ma lumière et j'éclaire la porte d'or ! »

Avec GW, c’est le contraire pourrait-on dire ; ou bien, à l’inverse, on dirait que la boucle est bouclée, comme une vraie (r)évolution... L’Amérique va désormais débusquer où qu’ils se trouvent “les pauvres, les exténués, les déshérités, le rebut”, pour “mettre le feu dans leurs esprits” et les libérer sur leurs territoires mêmes avec toutes les bombes qu’il faut, pour faire du vaste monde une immense Amérique, avec son millier de bases comme autant de monastères de la Nouvelle Révélation. Écrire tout cela avec à peine de l’ironie, c’est bien entendu implicitement sinon explicitement affirmer que “l’Amérique”, les USA, constituent une gigantesque narrative composée entre l’American Dream et l’hollywoodisme, et que le poème de Lazarus (ainsi que les discours énamourés des républicains français de la fin du XIXème siècle) ont autant de valeur ontologique que le discours de GW Bush décrivant l’attaque et le massacre/désintégration de l’Irak comme une œuvre de libération, – et ce n’est qu’un début, « Si vous pensez que l'Irak est une grosse affaire, vous n'avez encore rien vu... »

Bien entendu, le discours-Dostoïevski de Bush sacralise aussi bien les “révolutions de couleur” depuis 2000 (Serbie) que les invasions et agressions type Irak-Libye-Syrie (Bush et Obama), que l’unilatéralisme complètement indifférent aux lois internationales de Trump ; et également le déchaînement antiTrump et la Grande-Emeute2020 depuis le 25 mai 2020 aux USA (l’émotion, l’affectivisme n’ont que faire de la contradiction). De ce point de vue, les trois présidents Bush-Obama-Trump (bien préparés par Clinton) se valent. Le discours-Dostoïevski uniformise toutes les politiques étrangères depuis le 11-septembre, ce qu’on nomme aussi bien la politiqueSystème que la politique-neocons ; et l’influence de ces derniers (les neocons) n’est qu’un relais, un habillage idéologique de circonstance d’une tendance profonde dont on peut aisément trouver l’origine dans la Révolution Américain et, pour nous, dans le “déchaînement de la Matière”.

(Cette Révolution américaine [en fait, américaniste] est l’un des trois fondements du “déchaînement de la Matière” avec la Révolution Française et la “révolution du choix de la thermodynamique” [introduction de la machine à vapeur en 1784 en Angleterre], également choisie comme date de naissance également du début de l’ère de l’anthropocène dans l’histoire géologique du monde.)

C’est Hannah Arendt qui rappelait que le sens premier du mot “révolution” est une élipse, le retour au point de départ. Le symbole sied parfaitement à tout cela, que ce soit du discours-Dostoïevski à la Grande-Émeute2020, que ce soit de l’“investissement” du Moyen-Orient aux rues de Minneapolis, de New York City et du reste, que ce soit des migrants de la Statue de la Liberté aux “plus de 200 millions d’abrutis” de Martin Sieff.

Tragédie immense sans aucun doute, mais tragédie-bouffe encore plus colossale.

 

Mis en ligne le 18 juillet 2020 à 09H35