Tournants et tourments de la crise

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Tournants et tourments de la crise

• Le virage à 180° (à peu près) de Biden sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN a fourni matière à réflexion confuse sans pour autant nous éclairer décisivement. • La visite de Blinken en Chine, idem. • La “diplomatie” US continue à aller dans tous les sens et les pauvres commentateurs sont obligés de suivre, au risque de perdre leur équilibre. • Helmer fait parler Poutine sur des F-16 éventuellement en Ukraine et Korybko croit que le président russe est optimiste pour un règlement négocié. • Nous sommes dans une structure crisique de la déstructuration.

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La visite de Blinken à Pékin, – la première depuis 2019 d’un officiel US du plus haut niveau à Pékin, – était expressément voulue par la partie US, pour des raisons stratégiques de communication. En effet, le but principal de Blinken, souligné par une proposition du secrétaire US à la défense Austin d’une rencontre de son homologue chinois à Singapour, était la restauration des liens de communication entre militaires chinois et US, – suspendus à cause de la visite de Pelosi à Taïwan. Échec cuisant, – restauration des liens refusée par Xi et rencontre avec Austin refusée par le ministre chinois.

La rhétorique chinoise comme la rhétorique russe vis-à-vis des USA est extrêmement dure. Aucune place à l’illusion, les numéros de “charme” hollywoodiens de Washington n’intéressent plus personne. Cet extrait du commentateur russe Timour Fomenko, sur RT.com, est exemplaire à cet égard... Il vient de nous parler de quelques concessions mineures, extrêmement mineures faites ces derniers mois par les USA vis-à-vis de la Chine, – et il nous donne la mesure autant que la durée probable de cette amabilité retrouvée de Washington pour la Chine, – peanuts, bref :

« Cela va-t-il durer ? Ne pariez pas là-dessus. Les États-Unis ne pratiquent pas la réconciliation. Ils font des sursis temporaires, de la détente, de la patience stratégique, mais ils ne cèdent jamais sur leurs objectifs stratégiques fondamentaux, jamais. Les États-Unis considèrent toujours la Chine comme leur principal concurrent géopolitique, un rival à contenir et à soumettre, et aucune rhétorique chaleureuse ni aucun appel à une "relation constructive" n'y changeront jamais rien. Même si la stratégie américaine est un échec, les États-Unis continueront à s'appuyer sur cet échec pendant longtemps. Il suffit de demander aux Afghans combien de temps il a fallu pour que les Américains abandonnent et rentrent chez eux.

» Par conséquent, si les États-Unis se réconcilient aujourd'hui, ils ne redeviendront hostiles que lorsque le moment sera venu. Bien sûr, ce n'est pas si loin, car à la fin de cette année, le cycle électoral américain reprendra, et à quoi se résumera cette élection ? Il s'agira de savoir qui peut crier le plus fort sur la Chine, qui peut être le plus faucon ou le moins mou. Malgré la volonté de Joe Biden d'être dur avec Pékin, pensez-vous que les candidats républicains vont lui donner une tape dans le dos et lui dire "bravo" ? Certainement pas. Ils vont le tourner en dérision pour avoir "apaisé" Pékin et "trahi" l'Amérique.

» Cela signifie donc que tout engagement soi-disant constructif résultant de cette réunion ne durera pas. De nouvelles sanctions seront prises, car la saison stupide de l'hystérie, de la paranoïa et de la frénésie américaines est à nouveau lancée et les politiciens jouent pour la galerie. Le ministre chinois des affaires étrangères, Qin Gang, a appelé à une relation constructive, mais pour les États-Unis, une relation constructive consiste simplement à construire davantage de bases autour de la Chine et à s'assurer que rien de stupide ne se produise, comme une guerre accidentelle à propos de Taïwan, alors que Washington est encore en train de contenir Pékin. »

Pouvez-vous téléphoner à Moscou ?

Mais il ne faut pas s’en tenir à Pékin-Washington, et élargir le champ à un autre point chaud de la GrandeCrise. Certains jugent en effet que Blinken n’est pas allé à Pékin simplement pour peinturlurer une réconciliation-bidon à laquelle personne ne croit ; et les Chinois ne l’ont pas reçu seulement pour cela... Martyanov a son idée, qu’il emprunte d’une façon inhabituelle à l’un de ses lecteurs, “ARW”, – tout cela nous conduisant à des lendemains qui tonneront :

« ...Je suis d'accord avec l'observation d'ARW selon laquelle Blinken est en Chine pour plus qu'une simple discussion sur les relations entre les États-Unis et la Chine. Comme l'observe ARW avec perspicacité, “les États-Unis ne peuvent pas être vus en train de décrocher le téléphone et d'appeler la Russie” :

» “À mon avis... : on ne peut pas voir les États-Unis décrocher le téléphone et appeler la Russie. Ils sont donc en Chine pour tenter de les amener à négocier la position américaine avec la Russie, à savoir un accord de paix qui divise l'Ukraine, mais avec des garanties de sécurité de l'OTAN pour la partie occidentale... Je pense également que toutes les révélations publiques sur la solution coréenne, pas d’entrée accélérée dans l’OTAN, etc., sont des tentatives occidentales de négocier avec la Russie, mais en le faisant publiquement. Je ne pense pas non plus que la Chine aurait accepté une médiation si la Russie n'avait pas montré sa volonté d’en parler”.

» Je pense qu'il a tout à fait raison sur ce point et que la recherche d'une porte de sortie dans l'administration Biden a commencé il y a un certain temps déjà. Mais comme je l'ai dit dès que Poutine a montré le projet d'accord avec l’Ukraine du printemps 2022, Poutine ne fait jamais rien gratuitement. La réunion des dirigeants des pays africains avec la Russie est une grande affaire et un événement très médiatisé, et ces révélations ont vu le jour pour une raison très spécifique. Les choses risquent de devenir très très chaudes et très très vite. »

On reste donc un instant sur le cas ukrainien qui, avant la visite de Blinken en Chine, a été secoué par le “tournant” de Biden annonçant, quatre jours après avoir reçu Stoltenberg pour le soutenir dans l’inttention contraire, qu’il abandonnait finalement l’idée d’une adhésion accélérée.

Une route en lacets

On a fait grand cas de cette déclaration de Biden, de ce “tournant”, alors qu’il nous semble qu’entre narrative et simulacres, la “politique” des USA et la ligne montrée par Biden est une route en lacets faite d’une succession de tournants dépassant souvent les 90 degrés, voire flirtant avec les cent quatre-vingts...

Cela nous conduit à nous intéresser à un article de Eric Zuesse, justement sur le “tournant” de Biden, et avant les effets et commentaires de la visite chinoise de Blinken. Les explications de l’excellent historien américain sont tout de même assez brumeuses, ce qui ne nous gêne pas du tout. Cette brume-là est un caractère essentiel de la vision qu’il faut avoir sur la “politique” américaniste du temps de Joe Robinette Biden, parce que la brume est l’essence même du ‘Project Biden’.

D’abord, Zuesse acquiesce sur le fait qu’effectivement l’Amérique entend désormais s’engager un peu moins en Ukraine, – ou disons de se “désengager” un peu plus d’un “engagement” qui n’a jamais vraiment eu lieu officiellement et selon toutes les bonnes sources “autorisées”.

« Conformément aux recommandations de ses planificateurs de guerre, l'Amérique, qui a déjà sérieusement épuisé ses réserves de munitions pour permettre à l'Ukraine de vaincre la Russie sur les champs de bataille ukrainiens, devra au contraire reconstituer ses réserves spécialement conçues pour la guerre contre la Chine, ce qui prendra plusieurs années, si tant est qu'elle puisse le faire. Mais NE PAS le faire mettrait fin à l'objectif de l'État profond américain, depuis qu'il a pris le pouvoir le 25 juillet 1945, de faire du gouvernement américain le premier empire global du monde et de prendre le contrôle de la planète entière. C'est ce qu'exigent les milliardaires américains.

» Stoltenberg, en revanche, représente non seulement l'aristocratie américaine, mais aussi les aristocraties vassales des autres pays membres de l'OTAN, qui ne veulent rien savoir d'une guerre contre la Chine. Ils ont toujours aspiré à conquérir la Russie, pour leur “Lebensraum” (comme l'appelait Hitler).

» Par conséquent, l'OTAN est peut-être en train de se désagréger.

» La guerre en Ukraine devra être suspendue, que Stoltenberg le veuille ou non.

» La réaction des aristocraties européennes n'est pas encore claire. Mais elles devront (comme toujours depuis le 25 juillet 1945) s'y conformer. »

Pourtant, d’une façon tout aussi soudaine Zuesse donne un coup de frein à sa thèse en expliquant que les présidentielles exigent de ne rien dévoiler des plans contre la Chine et d’autre part de garder un certain “engagement” en Ukraine. Comme on le voit, l’argument est ici le contraire de celui de Fomenko, qui estime que ces présidentielles seront l’occasion d’une hystérie antichinoise et d’un appel à la guerre contre la Chine.

Que pouvons-nous dire, quelle prospective privilégions-nous ? Ne rien dire et ne rien privilégier, telle est notre devise, parce que l’Amérique est un ‘Titanic’ complètement fol, qui tourne comme une toupie en lançant à chaque coup de barre des imprécations guerrières contre celui qui se trouve à portée de voix.

Bien... Ainsi Zuesse nous explique-t-il, – et pourquoi le suivrait-on moins qu’un Fomenko, ou qu’un Martyanov ? – qu’il s’agit de ne rien dire des plans d’attaque contre la Chine précédés d’une mobilisation industrielle des USA digne du 7 décembre 1941 avant le 5 novembre 2024, – et faire en sorte que la tuerie ukrainienne suive aimablement son cours...

« Ainsi, le nouveau plan de l'État profond américain (qui comprend les propriétaires majoritaires des sociétés internationales basées aux États-Unis) est que le gouvernement américain réduise considérablement les 47 % de dépenses discrétionnaires américaines qui sont actuellement non militaires, et qu'il place l'économie américaine aussi rapidement que possible sur un pied de guerre à part entière, comme cela s'est produit lorsque les Japonais ont envahi Pearl Harbor le 7 décembre 1941.

» Aider l'Ukraine aujourd'hui contre la Russie est censé être comme aider la Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale contre l'Allemagne. Bien que les planificateurs de guerre américains conseillent de ne pas mettre l'accent sur l'Ukraine afin de le mettre davantage sur la Chine, Joe Biden ne serait pas en mesure de se faire réélire si le plan de guerre contre la Chine devenait clair pour le public avant le jour de l'élection, le 5 novembre 2024. Par conséquent, la guerre en Ukraine doit être conservée en suspens au moins jusqu'à cette date, – si cela est possible. »

Enfin, qu’émergera-t-il de tout cela, de ce tourbillon crisique, de ce ‘Titanic’ devenu fou ? Zuesse ne se départit pas de sa logique et rejoint ainsi ce que nous constatons chaque jour davantage :

« À mon avis, le résultat le plus probable de tout cela sera que l'Amérique deviendra bientôt le troisième pays le plus puissant du monde et que l'ensemble du plan antérieur à Truman (c'est-à-dire FDR) pour ce que deviendra l'ordre mondial après la Seconde Guerre mondiale sera enfin mis sur la table, pour une considération internationale sérieuse - ce que Truman et Eisenhower avaient empêché de se produire. Si cela se produit, l'ONU, le FMI, la Banque mondiale et tous les autres organismes seront fondamentalement révisés. »

Les F-16 de John Helmer

On va terminer tout de même parce qu’il ne faut pas abuser des bonnes choses, – et la description de la politique extérieure des États-Unis est aujourd’hui la meilleure chose intellectuelle qui soit. On va pourtant s’attacher à un point précis, concret et prouvé, qui est une déclaration de Poutine à Saint-Petersbourg le 16 juin, et le commentaire qu’en fait avant-hier le journaliste américano-moscovite John Helmer, sur son site excellemment nommé ‘Dance with the Bears’.

John Helmer, on le sait, est un homme original, à la vie farcie de rencontres improbables et de sources inextricables. Ses commentaires sur les affaires de la GrandeCrise vues de Moscou sont toujours originaux et nous offrent des points de vue inattendus. Ici, il nous parle des commentaires de Poutine sur l’envoi possible de F-16 de l’Occident-poussif en Ukraine.

L’intérêt est que Helmer développe diverses possibilités à partir de l’évocation de Poutine, concernant de F-16 qui interviendraient dans l’espace aérien ukrainien mais ne seraient pas venus du sol ukrainien, concernant les moyens d’appui et de soutien, concernant l’attitude de pays de l’OTAN impliqués dans ces affaires par rapport à d’autres pays de l’OTAN en fonction du fameux Article-5 (Helmer nous le rappelle).

« Vendredi, le président Vladimir Poutine a rejeté les prétentions de l'OTAN, avertissant que si un F-16 menaçait d'attaquer une cible russe, il serait “brûlé” [disons “détruit”], de même que la base aérienne de lancement et les aéronefs de soutien, – ravitailleurs en carburant, contre-mesures électroniques, commandement et contrôle, et leurres - quel que soit le drapeau de l'État membre de l'OTAN qu'ils arborent et le territoire sur lequel ils sont basés.

» “Les F-16 brûleront également, cela ne fait aucun doute”, a déclaré Poutine à Saint-Pétersbourg le 16 juin. “Mais s'ils sont situés sur des bases aériennes en dehors de l'Ukraine et qu'ils sont utilisés dans des opérations de combat, nous devrons examiner comment et où frapper ces moyens qui sont utilisés dans des opérations de combat contre nous.” Il s'agit là d'un grave danger pour la poursuite de l'implication de l'OTAN dans ce conflit armé.  Lorsque le président et commandant en chef annonce “nous devrons examiner comment frapper”, il signifie que l'état-major général a déjà rassemblé les renseignements opérationnels et préparé des plans d'attaque à trois minutes du lancement, c'est-à-dire contre des cibles en Pologne, en Roumanie, en Moldavie et peut-être plus à l'ouest, au-delà des frontières tchèques et allemandes.

» Pour reprendre l'expression du président “les moyens utilisés dans les opérations de combat contre nous”, Poutine a également l'intention d'identifier des cibles aériennes, habitées ou non, au-dessus de la mer Noire, de la mer Baltique et de la mer de Barents.

» Jamais auparavant l'article 5 de la clause restrictive de défense collective de l'OTAN n'avait été aussi explicitement mis en lumière par le Kremlin. En pratique, en décrivant l'accord des membres de l'OTAN selon lequel “une attaque armée contre l'un ou plusieurs d'entre eux en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque contre tous”, la formulation de l'OTAN ne fait que demander à chacun des membres de l'OTAN de prendre “immédiatement, individuellement et de concert avec les autres parties, les mesures qu'il jugera nécessaires”.

» Ce qui se passe, c'est qu'en visant le Kremlin avec leur démonstration de puissance aérienne de l'OTAN, les commandants américains et allemands, dans leurs bunkers de Ramstein, ont poussé Poutine à les appeler à bluffer. Il s’adresse désormais directement aux Polonais, aux Roumains et aux Allemands, en leur suggérant de “juger” si une guerre avec la Russie est “nécessaire”. »

Faut-il décider de l’emploi des F-16 selon John Helmer, selon la proximité des présidentielles de 2024 aux USA ? Faut-il examiner l’Article-5 à la lumière de cette étrange escapade, alors qu’il est acquis qu’il faudra sur-préparer les USA à une attaque de la Chine au lendemain du 5 novembre 2024, – comme déjà prévu par le DeepState, les milliardaires, Lockheed Martin et Black Live Matters ? Et si Robert Kennedy Junior et Tulsi Gabbard organisent l’évasion de Trump pour établir un gouvernement rebelle au Texas, avec le soutien du président mexicain Lopez-Obrador ?

... En fonction de tout cela et de bien d’autres choses, il est fortement suggéré par Andrei Korybko que « Poutine suggère fortement qu’une solution négociée à la guerre-proxy est encore possible ». Si cela se faisait, nous aurions la confirmation que nous sommes en train de former des structures de ce qui se révèle être une situation de crise produisant la déstructuration totale du système de l’américanisme, et du Système en général. Cela n’implique absolument pas les prémisses du développement d’un ordre nouveau mais au contraire la solidification et l’accélération du désordre de la déstructuration.

 

Mis en ligne le 20 juin 2023 à 17H00