“Toc toc, y a quelqu’un là-dedans ?”

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 1954

“Toc toc, y a quelqu’un là-dedans ?”

Décidément, oui, le Premier ministre italien Matteo Renzi est sur une très mauvaise pente, et qui est, si l’on peut dire en langage-Système, de plus en plus pentue. S’interroger sur le cerveau de certains de ses collègues européens et y toquer pour savoir s’“il y a quelqu’un là-dedans” lorsqu’on devrait en arriver à discuter et à réfléchir (késako?) à propos de la Russie, voilà qui mesure son inquiétude... D’autant que, pas de réponse en général, “y’a personne”. Il y a des gens, comme ça, et figurez-vous qu’il commence à y en avoir de plus en plus, qui, sortis tout droit du Système, se laisse aller sur la grande glisse et se mette à parler dur, dru et fort, au point qu’on les croirait finalement, rien moins qu’antiSystème après tout.

Renzi, donc ... Il parlait à l’université Humboldt de Berlin, actuellement pépinière de professeurs droitistes, antirusses et amateurs du IVème Reich (voir le 11 juin 2015), et un conflit à mesure avec les étudiants (WSWS.org couvre avec une constance louable ce conflit, dont on trouve de nombreux textes sur son site, y compris en français). Ce que Renzi a dit n’a pas dû ravir le professeur Herfrield Münkler, incontestée vedette de la tendance IVème Reich signalée plus haut, puisque cette tendance a extrêmement et vertueusement besoin d’une Russie épouvantablement agressive pour s’affirmer. On sait le Premier ministre italien assez peu partisan du maximalisme des divers Anglo-Saxons et Nordiques de l’OTAN, mais il devient en même temps explorateur de thèses très intéressantes, dont certaines à tendances pathologiques.

Dans Sputnik--français, on a un rapide compte-rendu de l’intervention (conférence) de Renzi plus quelques précisions sur les positions italiennes à propos des sanctions, le 1er juillet 2015 ... «“La Russie doit respecter la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, mais considérer l'Europe comme un contrepoids à la Russie est une erreur politique et un crime culturel [“un errore politico e un crimine culturale”]. La Russie est notre plus grand voisin, et elle devrait bien sûr respecter les règles en Ukraine, mais elle doit aussi redevenir notre partenaire naturel dans la lutte contre le terrorisme”, a indiqué le premier ministre italien. “Voir dans l'Europe un contrepoids clé à la Russie signifie ne connaître ni la Russie ni l'Europe qui ne s'est pas formée en tant qu'union dirigée contre quelqu'un”, a ajouté Matteo Renzi. Selon lui, l'UE ne doit pas se penser qu'en termes d'avantages économiques. “L'Europe doit avoir une âme”, a conclu le président du conseil italien.

»Les autorités officielles et les milieux d'affaires russes et italiens sont disposés à élargir leur coopération bilatérale sans attendre la levée des sanctions, a annoncé le porte-parole du Kremlin, Dimitri Pechkov. Il a notamment rappelé que la conférence de presse conjointe tenue par le président Vladimir Poutine et le premier ministre Matteo Renzi lors de la visite du chef de l'Etat russe à l'Expo de Milan le 11 juin 2015, avait été suivie d'un “dialogue élargi” entre les représentants des gouvernements et des milieux d'affaires des deux pays. Les participants à cette réunion ont évoqué les paramètres concrets de la coopération économique bilatérale. “Ils ont exprimé leur désir de poursuivre et d'élargir cette coopération dans les domaines où les technologies actuelles permettent de le faire, et ce sans attendre la levée des sanctions”, a conclu Dimitri Pechkov.»

Mais les passages les plus intéressants de la conférence Runzi, selon notre propos dans ce Bloc-Notes, on les trouve dans Sputnik.News (anglais, le même 1er juillet 2015). Par exemple, celui-ci où il parle d’histoire et même, pour un peu, d’Histoire avec un grand H : «The tendency in parts of Europe to define the relationship between Europe and Russia as one of opposition is a falsification of history, said Italian Prime Minister Matteo Renzi on Wednesday, and the tendency to think of Europe as anti-Russia is a mistake. “It is a mistake to think of Europe as ‘anti-Russian,’” said Renzi, reported by RIA Novosti in Berlin. “It is impossible to imagine that the European idea is built on an anti-Russian model. That is a false history.”»

D’autre part celui-ci, ce passage où il répondait à une question, Renzi, et il se lâcha un peu dans le genre leste mais diablement instructif : « Speaking to an audience at Berlin's Humboldt University, Renzi explained his choice of title for the speech, which he called ‘Europe: Back to the Future.’ “At one point in the 1985 science fiction film, said Renzi, one of the main characters knocked on someone’s head and said, ‘Hello? Hello? Anybody home? Huh? Think, McFly! Think!’ ... Also now you can knock on some European leaders’ heads and ask if anybody's home,” said Renzi.» (Ce qui mérite une traduction pour bien s’entendre : “... Renzi expliqua le choix du titre de sa conférence ‘Europe : Retour vers le futur’. ‘A un moment dans le film de science-fiction de 1985, un des personnages toque sur le crane d’un autre et il dit ‘Toc, Toc ! Y a quelqu’un là-dedans ? Pense, McFly ! Pense !’... Voilà, aujourd’hui vous pouvez toquer sur le crane de certains dirigeants européens et leur demander s’‘il y a quelqu’un là-dedans ?”’)... (Mais se “lâchait”-il vraiment, Renzi, avec le titre du film cité pour intituler sa conférence, assez incompréhensible sans explication, justement qui semblerait avoir été choisi pour susciter une question de demande d'explication, y compris par un compère dûment mandaté à-l'italienne, et donc la réponse qu’il a donnée ? Cet homme est-il un antiSystème ou un provocateur-presque-né ? Ou bien, simplement, il en a vraiment marre de toquer sur des crânes souvent aussi dégarnis en-dehors qu’inhabités en-dedans, – et toutes ces remarques signifiant finalement la même chose...)

Ainsi trouvons-nous exposée d’une part la position de l’Europe vis-à-vis de la Russie, avec d’une part l’accent mis sur l’énorme erreur stratégique en train de se faire, et surtout le “crime culturel” (l’expression est forte, indiquant une vision civilisationnelle) en train d’être commis ; d’autre part nous avons une interrogation et une vision à partir d’une appréciation polémique et sans mâcher ses mots, à la fois des connaissances historiques des acteurs européens de la crise, et, plus encore pour les plus remarquables, des simples activités intellectuelles, d’analyse et de jugement, d’un “certain nombre de dirigeants” européens dans cette crise d’Ukraine/de crise des rapports avec la Russie. Renzi ne prend pas de gants. Personne ne lui reprochera rien car quand quelqu’un approche à ce point d’une telle vérité de situation, la réponses des personnes impliquées est le silence, le silence, rien que le silence ; et rien ne sera fait contre lui, aucun ostracisme, car le “y a-t-il quelqu’un là-dedans?” qui entend la question de Renzi n’a qu’une idée, oublier, oublier, rien qu’oublier, comme si rien ne s’était passé et comme si Renzi n’avait rien dit. Au reste, peut-être n’en sauront-ils rien, les divers McFly de nos instances européennes, parce qu’ils n’auront pas pris la peine de lire les propos de Renzi, et puis d’ailleurs ils n’auraient sans doute pas vraiment compris...

Mais il faut préciser le propos de Renzi, à notre sens, d’ailleurs en poursuivons la référence Retour vers le futur. Lorsque Renzi met en cause “des connaissances historiques des acteurs européens de la crise, et et, plus encore pour les plus remarquables, des activités intellectuelles, d’analyse et de jugement, d’‘un certain nombre de dirigeant’ dans cette crise d’Ukraine/de crise des rapports avec la Russie”, il ne met pas nécessairement en doute leur inculture totale en matière historique et leur incapacité à analyser et à jugement. (Pour l’inculture “totale”, c’est seulement à nuancer, car il nous semble bien que leur “culture” à cet égard doit être souvent assez proche des bas-fonds de la chose.) Il observe une sorte de refus, de volonté sans doute inconsciente ou plus sûrement plutôt mi-consciente/mi-inconsciente, d’analyser et de juger d’une façon lucide et honnête la situation, – c’est-à-dire, bref, l’analyser et la juger. En quelque sorte, ils sont intellectuellement prisonniers sans le savoir, qui par lâcheté, qui par paresse, qui par terrorisation, — ah oui et certes, c’est certainement ce dernier cas qui écrase tous les autres. Terrorisés par qui, par quoi ? “Par les Américains, ah ah”, répondrait-on bien souvent ; pour nous, c’est une réponse dilatoire, tout juste technique, marginale, etc., dans tous les cas de fort peu d’intérêt par son usure et son rabâchage, et surtout sa complète incomplétude sinon sa contradiction avec les faits... Ils sont terrorisés par la narrative et son implacable déterminisme-narrativiste, c’est-à-dire par le Système.

Il est par exemple bien connu pour qui à quelque accès à quelque canal d’information original, que, sur la fin de son mandat, le secrétaire général de l’OTAN Rasmussen était intellectuellement prisonnier (du type “servitude volontaire” de La Boétie, en un peu plus conscient) de sa porte-parole, la Roumaine Oana Lungescu nommée à ce poste par des arrangements divers de canaux de communication non moins divers et certainement pas ni au nom de ses capacités professionnelles (?) ou par un ordre direct de Sa-Majesté Obama, 44ème POTUS. Elle est arrivée là un peu par hasard, et parce que c’est bon chic bon genre d’avoir une telle fonction en vue dans le domaine sacrée de la communication occupée par une personne d’un des héroïques nouveaux membres de l’OTAN, – et comme il y a la Russie, hein... Et voilà qu'il se trouve que Lungescu est simplement une extraordinaire “ayatollah” exceptionnellement antirusse, qu’elle ne cesse d’agir (c’est-à-dire communiquer) dans ce sens, parfois bien avant que des instructions précises lui aient été données et parfois sans même consulter ses autorités. Et que fait-on dans ce cas qui relève de l'insubordination caractérisée ? Explication, sous forme anecdotique et imparable ... Sur la fin de son mandat, Oana regnante, une phrase souvent employée par Rasmussen auprès de ses conseillers à propos d’une position qu’il voulait lui-même publiquement exprimer (sans doute, c'est-à-dire certainement moins rabiquement antirusse que le courant-Oana) était liquidée sur cette simple question à la réponse entendue : “Mais que va dire Oana ?”. Certes, on ne pouvait ni fâcher, ni contredire Oana, courrier de transmission de la la narrative et grande prêtresse du déterminisme-narrativiste. Il semble bien improbable que le nouveau secrétaire générale puisse changer grand’chose, si l’idée lui en venait, à cet excellent système. Ainsi l’OTAN suit-elle la politique de la chère Oana et la narrative est parfaitement satisfaite. En fait, on irait jusqu’à avancer l’hypothèse qu’entre Rasmussen et son successeur norvégien, il n’y a pas eu de changement de Secrétaire Général puisque Oana assure ès-qualité, – on vous l'assure...

C’est à notre sens de cette façon qu’il faut entendre les déclarations de Renzi, qui semble avoir, derrière les habituelles combinazione italiennes et la pénétration historique de l’influence américaniste en Italie, conservé une certaine exubérance (dans tous les cas dans l’esprit) de type méditerranée, cet espèce de goût d’une certaine ironie, d’un certain faux-désordre, d’emphase esquissée mais bien contrôlée. A cet égard, Berlusconi, qui avait la même politique pour des motifs équivalents ajoutés à d’autres peut-être moins avouables, – que nous importe, diable, dans ce monde qui a fait de la corruption vénale et psychologique sa Déesse, – Berlusconi est une sorte de “modèle” d’une politique russe et européenne à-l’italienne, type-ClubMed pas si bête (certains s’en inspirent, l’Autriche, la Hongrie). Les autres, les frigorifiques Nordiques et les indescriptiblement géniaux Anglo-Saxons et leurs progéniture de l’“extérieur proche” de la Russie se sont réfugiés dans le royaume des robots-anathèmes inclinés devant le dieu regime-change. (Dans ce catalogue, pour ne pas oublier l’exception évidente, il y a aussi la France nécessairement exceptionnelle, qui a réussi à mettre au point dans le chaudron d’Astérix une version révolutionnaire de la médiocrité et de la démocratie, c’est-dire non seulement la médiocratie, mais la médiocratie médiocre, comme les poudres qui donnent “le linge plus banc que blanc”, – la politique de la France exceptionnelle, “la politique plus médiocre que médiocre”. Ainsi sa politique plutôt modérée vis-à-vis de la Russie, plutôt ligne-Renzi, arrive-t-elle tout de même à figurer comme une “politique plus médiocre que médiocre”. Cela, c’est exceptionnel.)


Mis en ligne le 2 juillet 2015 à 08H21