T.C.-74 : Passion d’Europe

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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T.C.-74 : Passion d’Europe

27 mai 2019–  ...Avec ce titre, je veux dire que, pour le première fois sans doute dans son histoire dont elle aime bien nous faire croire qu’il s’agit depuis le Traité de Rome d’un chef d’œuvre de raison et de raisonnable perfection politique, l’Europe a réussi, – on dirait presque paradoxalement “enfin !”, – à susciter la passion jusque dans les urnes de ses élections de type-législatif. On sait depuis longtemps, par expérience renouvelée tous les cins ans, que ces élections étaient clairsemées, mâchonnées, marginalisées et hébétées par un sentiment de mornitude de la grandeur d’un continent. Cette fois tout au contraire, en l’an de Grâce 2019, elles swinguent !

A tout Seigneur, tout honneur ... Le plus important, sans aucun doute, s’est passé dans ce pays qui tente désespérément de quitter l’Europe tout en y restant enchaîné selon le vœu de ceux qui ne sont pas encore parvenu à “dissoudre le peuple” selon Brecht et les exigences du Parti. Au contraire, l’Europe, l’UE et ses élections, unis enfin dans un épisode à finalité d’autodestruction remarquable de brio, concrétisent la plus formidable révolution politique au Royaume-Uni depuis des siècles que cette puissance fonctionne en mode démocratique : l’Europe, pour UK, qu’on la quitte ou qu’on y reste, c’est le détonateur de la révolution ! Ce modèle de stabilité et de continuité qu’est ce pays qui fit l’admiration bien souvent furieuse de ses partenaires et de ses adversaires a volé en éclats hier, de cette façon concrète qu’assènent les chiffres lorsque la tension révolutionnaire est à ce point et lorsque la révolution en arrive à prospérer là, dans les urnes, où l’on pensait l’avoir enprisonnée à demeure : 28 sièges pour le parti du Brexit, 15 aux Libéraux-Démocrates, 10 aux travaillistes, 7 aux Vertes, 3 aux Conservateurs.

 Le Guardiande ce matin : « Un Farage triomphant, réélu au Parlement européen pour un siège dans le Sud-Est du pays, a déclaré que son parti avait obtenu un résultat historique. Le parti Brexit a gagné toutes les régions d'Angleterre, à l'exception de Londres et du Pays de Galles, et a obtenu près de 2 millions de voix de plus que ses plus proches rivaux, les Lib Dems.
» “Jamais auparavant, dans la politique britannique, un nouveau parti lancé il y a à peine six semaines s’est trouvé en tête avec une telle avance lors d'une élection nationale”, a déclaré M. Farage.
» “Il y a un message formidable dans ce résultat, un message formidable, – le Parti travailliste et le Parti conservateur pourraient tirer une grande leçon de cette soirée, – mais je pense qu’ils n’en sont pas capables.” »

Aujourd’hui, le Royaume-Uni est un champ de ruines, les ruines de l’ancien système qui ronronnait si bien, qui faisait le bonheur de l’ordre-UE... On peut tout aussi bien étendre l’image à l’Europe entière, avec plus ou moins de ruines selon les pays, mais qu’importe. La promesse de l’Europe était d’ordonner le continent en une unité harmonieuse et équilibrée, une construction civilisatrice censée apaiser toutes les passions. Le constat d’aujourd’hui, c’est que l’Europe, volens nolens, qu’on l’aime à la folie ou qu’on la haïsse littéralement, est cela par quoi et au nom de quoi, désormais, les passions s’attisent, les haines se déchaînent les unes contre les autres ; l’Europe est cela où les pays européens se déchirent et se divisent en des blocs irréconciliables, où les esprits et les psychologies s’enflamment en d’étranges guerres civiles qui diffusent et enflent dans des querelles grandes comme un continent. C’est, on l’avouera j’espère sans trop se forcer, une bien étrange situation si l’on veut bien avoir dans la mémoire, notre “devoir de mémoire” si l’on veut, les belles promesses d’antan, celles qui présidèrent à la naissance du beau bébé déjà sûr de lui, postmoderne et polyglotte.

Les gros bataillons d’europhiles en cure d’amaigrissement, dont nous ne sommes pas vraiment me semble-t-il, ici à dedefensa.orgne cessent de clamer l’impuissance de leurs adversaires, populistes & Cie ; d’abord parce qu’ils ne peuvent s’unir tant les divergences sont si nombreuses qui les tiennent séparés ; ensuite parce qu’ils seraient bien trop maigres en effectifs s’ils parvenaient à s’unir pour inquiéter la majorité bienpensante ; enfin parce qu’ils seraient évidemment sans programme ni “vision” si, par coup de Magic baguette ils devenaient assez nombreux pour imposer majoritairement leur volonté.

Tout cela n’est que vaine rhétorique qui, comme d’habitude pour la rhétorique-Système, commence par l’inversion : on retourne le problème qui se pose à vous pour expliquer que l’adversaire ne peut pas le résoudre. Pardon, mais il me semble, à moi, et quelles que soient leurs positions et soi-disant propositions, que les populistes ne sont pas là pour jouer le jeu (jouer ”leur” jeu) et entrer dans l’arène des possibilités et des comptabilités parlementaires. Ne le dites pas trop haut mais c’est bien de ceci dont il s’agit dans ces élections européennes et alentour, pour tout ce qui est UE et se réclame de l’UE, laquelle se prétend à elle seule et aucune autre à sa place, être l’Europe : ils sont là pour casser, et il est entendu qu’ils le feront fort démocratiquement, comme c’est l’usage aujourd’hui.

(Je dis cela sans vindicte ni satisfaction, ni même l’impression de faire une prospective un peu audacieuse ou de poser une hypothèse pas vraiment sophistiquée, encore moins dans le but d’impressionner tel ou tel lecteur. Je dis cela parce que c’est pour moi l’évidence, rien d’autre.)

C’est un jeu à somme désintégrée dans l’éclatement de ses règles dont plus personne ne veut. Il n’y a pas de “nouvel ordre” en jeu, puisqu’il n’est plus question de jeu, puisque nous sommes entrés dans l’inévitable phase de déstructuration par quoi il faut passer. Le mouvement qui s’est levé contre le Système, car c’est bien de cela qu’il s’agit, n’a pour but, pour l’instant, que la destruction de ce Système, c’est-à-dire tout ce qui peut accélérer la tendance que le dit-Système a commencé à développer depuis 9/11, cet étrange attelage surpuissance-déstructuration.

Tout le reste n’est que vaine rhétorique, ou, si vous voulez, les fameuses “viles turpitudes humaines qu'un peu de sable efface”.