Syrie, Iran : le renseignement US a sa propre politique

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Les exemples ne cessent de s’empiler de la disparité systématique entre les actes des directions politiques, et leurs analyses qui sont présentées en général après le déclenchement de ces actes, et les analyses des services de renseignement afférentes aux crises où ces directions politiques posent leurs actes. (Par “actes des directions politiques”, nous entendons bien évidemment des démarches de communication pour l’essentiel, – déclarations, pressions, influence, etc. Il s’agit bien entendu du comportement courant de ces directions, plus dialectique et virtualiste que véritablement opérationnel, y compris pour ce qui concerne les problèmes soi disant géopolitiques les plus aigus, – comme l’attaque-surprise contre l’Iran débattue publiquement depuis sept ans, à un mois près…)

Ce qui suscite ici ce propos, c’est l’annonce par des “officiels US de haut niveau” que les analyses du renseignement US présentent une situation syrienne notablement différente que celle qui est véhiculée par la direction politique washingtonienne. Selon ces analyses, le gouvernement d’Assad est fermement en place, il devrait survivre à la rébellion actuelle, qui ne représenterait pas la majorité de la population syrienne.

Selon Russia Today, du 10 mars 2012 : «[US] Intelligence officers noted that the disorganized Syrian opposition is providing little challenge to the regime and that the political leaders of the Syrian National Council do not work as a team and often fight among themselves.

»Meanwhile, government forces are very well equipped, US intelligence experts assert. They describe Syria as a formidable military power, with some 330,000 soldiers on active duty, surveillance drones and a dense network of air-defense installations that would make it difficult to establish a no-fly zone. “That leadership is going to fight very hard,” said one of them. […] While the statement did not speak directly about the timeline of the conflict, it made an impression that the conflict may last several more months if not longer…»

Antiwar.com du 10 mars 2012, qui rapporte les mêmes informations, observe également la contradiction avec la politique officielle du gouvernement US (et des autres pays du bloc BAO).

«The admission is significant because U.S. officials have for months referred to the unrest as a popular uprising and publicly called for the end of Assad’s rule, which they claimed was imminent anyhow. President Obama said on Tuesday, ”ultimately, this dictator will fall.” The Obama administration has made it a matter of policy to aid the Syrian opposition in their quest to overthrow Assad. But that policy will be much more difficult to justify if even U.S. policymakers admit that the opposition fighters represent a small minority of Syrians in a violent civil war.»

On observera qu’une situation assez similaire existe dans la crise iranienne. Récemment a été diffusée la National Intelligence Estimate (NIE 2010), qui regroupe et synthétise les analyses des principales agences de renseignement US. Le 25 février 2012, Antiwar.com rendait compte des conclusions de cette NIE, qui confirmait, celles, fameuses, de l’année 2007 (NIE 2007). Le renseignement US confirmait son analyse selon laquelle l’Iran n’a pas développé d’arme nucléaire et n’a pas encore pris sa décision définitive sur le cas. Là aussi, il s’agit d’une contradiction assez nette des tendances courantes du discours politique, répétées à satiété.

Il y a assez d’éléments pour qu’on observe qu’il s’agit d’une situation générale, effectivement inaugurée par la diffusion de la NIE 2007, que nous qualifiions alors (le 7 décembre 2007) de “coup d’État postmoderne”. La bureaucratie des analystes du renseignement, contournant le pouvoir politique (la NIE 2007 avait été rendue publique malgré l’obstructionnisme du vice-président Cheney), exposait sa propre position publiquement et se dégageait ainsi de toute responsabilité vis-à-vis d’éventuelles décisions bellicistes de la direction politique. De fait, la NIE 2007 contribua peut-être décisivement à anéantir tous les efforts des maximalistes pour lancer une attaque contre l’Iran jusqu’à la fin du mandat Bush et au-delà. La nouvelle NIE (NIE 2010), bloquée pendant plusieurs mois par le pouvoir politique, a suivi la même voie et réaffirme la position de la “communauté du renseignement” vis-à-vis de la situation iranienne.

Le cas syrien relève de la même politique autonome de cette “communauté du renseignement” qui, dans ce cas également, place le pouvoir politique, Congrès inclus, et les divers organes de communication en général de tendance maximaliste, devant leurs responsabilités. (Les militaires suivent à peu près la même tendance d’affirmer leur position autonome d’hostilité à un conflit, que ce soit dans le cas syrien ou dans le cas iranien.) Il est difficile, par ailleurs, de définir la position de l’administration dans ces affaires courantes de menaces de conflit, tant la position du président Obama est louvoyante, entre ses discours bellicistes et ses véritables positions (notamment face aux Israéliens, dans l’affaire iranienne).

Il faut observer que le renseignement US, après plus de 5 années où il s’est trouvé sous la coupe des manœuvres de Cheney, Rumsfeld et les diverses manigances neocon, entre 2002 et 2007, et conduit à couvrir des opérations qu’il jugeait injustifiées, a mis en place, avec le “coup d’État postmoderne” de la NIE 2007, une position d’autonomie vis-à-vis du pouvoir politique dont il ne s’est plus départi. Cette position témoigne en général de l’affaiblissement du pouvoir aux USA, avec la prépondérance grandissante des divers centres qui le composent, dont, dans ce cas, celui du renseignement. Le fait est très important, dans la mesure où ces évaluations du renseignement, si elles ne sont jamais décisives, tiennent un rôle non négligeable de frein des initiatives politiques, en général penchant vers des politiques maximalistes, qui sont ainsi contredites par le renseignement. La dernière intervention, concernant la Syrie, va ajouter un facteur important dans ce conflit, en rendant plus difficile la poursuite imperturbable, tant de la politique de communication que de la politique tout court, qui recommandent une intervention contre la régime Assad.


Mis en ligne le 12 mars 2012 à 11H27