Slalom géant

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Slalom géant


2 février 2003 — La rencontre Bush-Blair qui devait être un sommet churchilien (ou rooseveltien, c’est selon), s’est mal passée. D’abord parce que la “guerre”-bidon d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de 1939, Saddam n’a rien de commun avec Hitler, et pas plus Blair avec Churchill, ni GW avec Roosevelt (quelle plaisanterie). Ensuite, parce que Blair, qui n’est pas sot, n’est fondamentalement pas d’accord avec GW, qui, lui, est ce qu’il est ; l’un veut éviter à tout prix l’option de “la guerre à tout prix” qui le couperait de l’Europe (Blair sait bien ce que valent les huit qui ont signé la lettre, pour les choses sérieuses) ; l’autre veut la guerre à tout prix, c’est-à-dire quel qu’en soit le prix ; l’un considère d’abord le prix de la guerre, l’autre considère que la guerre est sans prix. D’où les échos de presse sur le climat de la rencontre, laborieusement favorables du côté de la presse UK, franchement défavorables du côtés de la presse US.

Les deux hommes sont face à deux imbroglios, — chacun le sien, après tout. GW, c’est simple : il lui faut sa guerre ; d’abord, il y a tout un aspect personnel et, désormais, il y a une question de survie politique. S’il ne va pas en guerre, il est menacé d’un éclat de rire globalisé qui ferait sombrer l’image de la puissance US dans le ridicule, et d’une défaite aux présidentielles de 2004. Là-dessus, GW veut bien l’aval de l’ONU si c’est du cousu-main et très rapide, parce que la guerre, littéralement, presse (avant le 15-20 mars au plus tard, nouvelles limites indépassables, après il faut trop chaud, etc) ; or, il y a les insupportables Français et tout le reste, et la perspective des batailles à mener et des concessions qu’il faudra faire donne des boutons à 95% de l’administration. Alors, pourquoi pas la guerre sans l’ONU, ce qui serait d’une pierre deux coups puisque tout le monde à Washington dit pis que pendre de cette ONU.

C’est là que Tony Blair panique. Lisez la partie du texte de the Independent, d’aujourd’hui, qui conte par le menu la position intenable at home du PM britannique. Qu’on imagine sa position si, demain, le US Central Command lance la guerre sans résolution de l’ONU, avec les forces britanniques, quoique dise Tony Blair, parce que ces forces sont intégrées dans le dispositif US et que le Pentagone ne fait pas de détails. Imagine-t-on cette situation ? Une majorité UK, dans le public et dans les cadres politiques, contre la guerre, et l’armée britannique engagée quasi-automatiquement. C’est une situation où le Royaume-Uni pourrait se trouver engagé dans la crise politique intérieure la plus grave depuis des lustres, à notre sens bien plus grave que celle de Suez, qui atteindrait en intensité la crise que fut l’abdication d’Edouard VII en 1936 (la guerre de 39-45 n’est pas comptée parce que, justement, et c‘est assez significatif, elle ne fut jamais une crise intérieure tant fut grande la résolution et l’unité britanniques)


«  On the same day, Tony Blair was being subjected to an undignified interrogation at one of Labour's National Executive Committee's infrequent meetings. These meetings used to be spent humiliating the Labour leader but, under Mr Blair, a reformed NEC has been so well behaved that its existence has been virtually forgotten. Last week, trade union representatives on the committee broke with tradition by subjecting Mr Blair to a series of sharp questions about Iraq. They appeared to be in the mood to vote for a proposal put forward by Mark Seddon, editor of the left-wing newspaper Tribune, which suggested that if the US went to war without direct UN backing, Britain should refuse to fight alongside them.

» Fortunately for Mr Blair, the political argument was adroitly diverted into a question of procedure. In the end, true to some of the stranger Labour traditions, they voted not to vote.

» Although this might have extricated Mr Blair from one potential embarrassment, any idea that he could escape anti-war sentiment in the Labour Party was dispelled when he faced the Commons on Wednesday, enduring more barracking from MPs behind him than from the Opposition. »


D’où ceci : Blair doit décrocher une résolution de l’ONU, vite fait et cousu-main pour les Américains. Après-demain, au Touquet, Blair s’attaque à l’essentiel : les Français, car ce sont eux qui sont la clé de tout à l’ONU. Curieux, non, pour un pays ringard, dépassé, qui fait partie de la « old Europe », moqué et villipendé partout ? Le destin, c’est-à-dire la réalité, est farceur.


« The medium-term future is not hard to predict. Within the next two months, the US will go to war with Iraq, with British troops fighting alongside them. Before the shooting starts, Mr Blair will concentrate intense diplomatic effort on achieving a second UN resolution, which he seems very sure he will get.

» But there is a nightmare possibility for Mr Blair: that the French will not budge, and the US will go to war without UN backing. That would precipitate a domestic crisis which would split the Labour Party and possibly bring down the Prime Minister. »


En bref, — nous voyons la politique du “grand écart” chère à Tony Blair dans toute son amplitude et son envergure, c’est-à-dire jusqu’aux positions de rupture, avec les coutures qui craquent déjà. Voilà Blair obligé de réconcilier deux positions désormais extrêmes et, semble-t-il, inconciliables quasiment par substance. Une hypothèse (vraiment, une parmi d’autres tant rien n’est assuré) : si Blair parvenait à convaincre les Français, il devrait y mettre le prix politique fort, c’est-à-dire un engagement européen sans faille sur les questions de défense, de sécurité et industrielles, un engagement verrouillé, fondamental, une de ces choses qui le brouilleraient à jamais avec ... les Américains, évidemment.


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