Sébastopol et le goût salée des “mers chaudes”

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A côté de la Géorgie, qui serait un baril de poudre, l’Ukraine paraît être une poudrière considérable et bourrée de poudre, qui n’attend qu’une mèche bienveillante. L’arrivée à Sébastopol du croiseur lance-missiles russe Moskva a été une occasion de plus de mesurer cette situation ukrainienne. Le navire fait partie de la Flotte de la Mer Noire, qui a son port d’attache à Sébastopol, ville russe de Crimée rattachée à l’Ukraine par Krouchtchev, qui fait aujourd’hui partie de l’Ukraine dont le président est très hostile à la Russie, qui est peuplée en grande majorité de Russes. L’Ukraine veut que la base navale de Sébastopol soit restituée à l’Ukraine en 2017, au terme du traité de 20 ans signé par les deux pays. Le retour du Moskva était le premier d’un navire de guerre russe ayant patrouillé le long des côtes de Géorgie pendant la crise, alors que le président Ioutchenko avait d’abord annoncé que l’accès à la base serait interdit à tout navire russe ayant effectué cette mission; mais le ministre ukrainien de la défense a entre temps rapporté l’ordre présidentiel (le gouvernement de Ioulia Tymochenko, au départ très anti-russe, a fortement évolué vers une attitude beaucoup plus arrangeante, à l’image de la Premier ministre; laquelle Tymochenko a été récemment accusée de “trahison” par Ioutchenko pour sa position vis-à-vis des Russes).

Le Moskva a été accueilli par une foule rassemblée sur les quais et scandant «Russie ! Russie !». C’est ce que nous décrit un article de l’International Herald Tribune du 25 août, en nous rappelant que le lendemain du retour du Moskva, le président Ioutchenko présidait une parade militaire à Kiev, une des rares parades militaires en Ukraine depuis l’indépendance, justement, comme ça se trouve, pour célébrer l’indépendance de l’Ukraine vieille de 17 ans.

«Russia's guided missile cruiser Moskva appeared suddenly on the horizon, dark and imposing like a fortress in the twilight, and steamed on Saturday into this Black Sea port, where its sailors were given a hero's welcome. “Russia! Russia!” chanted hundreds of supporters from the embankment, as fireworks burst.

»The ship, more than 600 feet long and bristling with guns and missile launchers, was one of several from the Black Sea Fleet that patrolled the coast of Georgia during the conflict between it and Russia. The fleet — which the Russians say sank a Georgian gunboat that fired on them — is based here in Sevastopol, a city populated mainly by ethnic Russians.

»The next day, in the Ukrainian capital, Kiev, President Viktor Yushchenko presided over the first military parade in years — with a massive display of tanks, armored personnel carriers and missile launchers — to celebrate his country's 17th year of independence from the Soviet Union. Russia's willingness to send troops into Georgia, another former Soviet republic, to settle their territorial dispute this month has made Ukraine jittery, and the pro-Western Yushchenko used the celebration to again push for inclusion in the North Atlantic Treaty Organization.

»“We must speed up our work to achieve membership of the European system of security and raise the defense capabilities of the country,” Yushchenko said in a televised speech to thousands gathered in the city's main Independence Square. “Only these steps will guarantee our security and the integrity of our borders.”

»The dueling celebrations, one rejoicing in Russia's military might and the other overshadowed by it, underscore the tensions between Russia and Ukraine, where leaders had hoped the days of Russian dominance were long over. They also highlight Sevastopol's status as something of a fault line between the two countries.»

Il s’agit de fixer, le temps de l’un ou l’autre événement, le champ de possibles affrontements futurs. La dimension navale de la crise est importante. La Russie tient à l’accès à cette “mer chaude” qu’est la Mer Noire, objectif fondamental de son histoire. L’enjeu naval est important dans le cas géorgien également, avec le port de Poti aussi bien que la présence navale russe durant la crise. Il commence également à y avoir une activité navale occidentale, notamment avec l’un ou l’autre navire de l’U.S. Navy en mission humanitaire vers la Géorgie. La dimension navale dans la région donne une puissante signification stratégique à la crise

Le cas de Sébastopol, dans le contexte de la tension avec l’Ukraine, est le plus important, à la fois du point de vue opérationnel, du point de vue politique et du point de vue symbolique, en même temps qu’il résume plus qu’aucun autre la complication extraordinaire des situations régionales héritées de l’URSS. Il est difficile de trouver un casus belli plus significatif, avec toutes les implications possibles, dans un pays (l’Ukraine) lui-même soumis aux mêmes tensions antagonistes. Il est assuré qu’aller poser là-dessus la question de la candidature de l’Ukraine à l’OTAN représente, considéré du point de vue de la seule force des réalités, un acte extraordinaire de provocation et d’irresponsabilité dont on se demande comment il a pu progresser sur l’“agenda” occidental sans autre forme de procès ni d’analyse stratégique. (Mais non, l'on sait très bien comment ces choses se font, ou plutôt ne se font pas. “Business as usual”.)

L’on doit tout de même se rassurer puisque, à partir de la semaine prochaine, un poids lourd versé dans la finesse diplomatique entrera en jeu, comme nous l'annonce aujourd’hui le Houston Chronicle. C’est en effet Dick Cheney en personne qui est dépêché d’urgence à partir du 2 septembre, notamment en Ukraine et en Géorgie, pour ouvrir la porte à des solutions audacieuses à cette crise malheureuse («The White House announced today that Cheney will head abroad on Sept. 2 for stops in three former Soviet Republics — Azerbaijan, Georgia and Ukraine — plus Italy. “The president felt it was important to have the vice president consult with allies in the region on our common security interests,” White House spokesman Tony Fratto said today.»)


Mis en ligne le 25 août 2008 à 19H47