Robert Gates, ci-devant isolationniste

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Le 25 février, Robert Gates faisait un discours à West Point, où sont formés les futurs officiers de l’U.S. Army. Un paragraphe de son discours a attiré grandement l’attention.

«But in my opinion, any future defense secretary who advises the president to again send a big American land army into Asia or into the Middle East or Africa should “have his head examined,” as General MacArthur so delicately put it.»

…Phrase qui fut immédiatement interprétée pour ce qu’elle était dans la bouche même de MacArthur : une affirmation d’isolationnisme, ou de néo-isolationnisme. Le premier moment de surprise passée, c’est en effet dans cette voie que se sont orientés les commentaires. En deux jours, le site Antiwar.com, site conservateur de tendance dite “paléo-conservatrice”, résolument néo-isiolationniste, a mis en ligne trois textes à ce propos.

• Le 3 mars 2011, un texte de Ray McGovern, ancien analyste de la CIA devenu chroniqueur extrêmement critique de la politique extérieure belliciste des USA. McGoverne ne nie pas une seconde qu’il s’agisse d’un changement considérable dans le chef du secrétaire à la défense, par rapport à la politique extérieure US, et à la politique que lui-même conduit. Mais, ayant travaillé plusieurs années avec Gates à la CIA et ne le portant pas dans son cœur, McGovern soupçonne dans sa démarche des motifs assez bas…

«I’ll acknowledge that Gates may have come to his newfound skepticism about these ground wars honestly, sincerely distraught by the continued loss of life as the bloody conflicts grind on with no real end in sight. Yet, I would venture to suggest that – more likely – the timing of Gates’s conversion can be pinned on two other factors, a typically windsock reaction to recent polling on Afghanistan and an attempt to burnish his future wise-man reputation:

» – U.S. public opinion has swung dramatically against the war in Afghanistan, with some polls showing that as many as 86 percent of Democrats and 61 percent of Republicans want a speedier U.S. pullout from the war.

» – Gates has announced he will retire in the coming months. By abandoning his post on the bridge of the sinking pro-war ship now, Gates will let the next secretary of defense take the blame when the U.S. does not “prevail” in Afghanistan. Gates can point to his echoing of MacArthur’s warning.»

…Ainsi, conclut McGovern, après avoir décrit la carrière d’un bureaucrate ambitieux et opportuniste, et en ayant à l’esprit son prochain départ du Pentagone, Gates pourra-t-il écrire dans le deuxième tome de ses mémoires “je vous l’avais bien dit”… «I can visualize a new chapter in Gates’s second memoir, “How I Issued MacArthur-Type Warnings All Along.”»

• Patrick J. Buchanan, lui, est plus net et plus pratique, dans son texte du 4 mars 2011 : Gates est devenu néo-isolationniste, devant l’évidence des choses catastrophiques.

«America would be nuts, Gates is saying, to fight a new land war like the two he inherited. It follows that the “neo-isolationists” who opposed invading Iraq and a “long war” in Afghanistan were right, in Gates’ eyes. Quite an admission from a defense secretary who presided over the surge in Iraq and the surge in Afghanistan.»

• Le même 4 mars 2011 , Justin Raimondo consacre sa chrtonique à cette intervention de Robert Gates, qu’il salue avec enthousiasme, – même s’il s’agit d’un enthousiasme à la mesure de ces temps assez bas. «Amid the intellectual and moral darkness that is Washington, DC, we take our rays of sunlight where we can find them. And this week, the clouds parted – albeit only momentarily – to let through a couple of illuminating comments from none other than Defense Secretary Robert Gates…»

Enchaînant sur la citation faite plus haut, elle-même avec citation de MacArthur, Raimondo notre que Gates se réfère à l’Afrique, comme une de ces zones où les USA feraient bien de ne pas s’engager.

»The reference to Africa – not a frequent or high visibility venue for American centurions, at least since the disaster at Mogadishu – could not have been mere coincidence. And at a congressional hearing the other day, Gates followed up:

»“Let’s just call a spade a spade. A no-fly zone begins with an attack on Libya. That’s the way you do a no-fly zone. And then you can fly planes around the country and not worry about our guys being shot down.”

»Pressed by one disappointed solon, Gates averred:

“Well, if it’s ordered, we can do it. But the reality is, there’s a lot of, frankly, loose talk about some of these military options.”»

Anectodotique mais nullement inintéressante querelle d’interprétation… Relevant l’expression “loose talk”, dont on a vu que les Britanniques la prennent pour eux quasi officiellement, Raimondo préfère, lui, la destiner à Hillary Clinton, qui a elle aussi parlé d’une No Fly Zone : «Clinton, in her role as overseer of US foreign policy, has been one of the biggest hawks in an administration that has essentially continued and even escalated America’s post-9/11 rampage, and she is clearly pushing for the US to take some kind of action in Libya. Gates’s “loose talk” reference was an implicit rebuke to her, and to John Kerry: that’s the good news…»

Reste ce que Gates a dit, et bien dit… In illo tempore, cette déclaration, et l’interprétation qui en est aussitôt donnée sans attirer le moindre démenti ni provoquer la moindre émotion, auraient provoqué une tempête à Washington. Ce n’est pas le cas, comme si, aujourd’hui à Washington, toutes les orientations pouvaient être énoncées sans soulever de réelles protestations ; comme si, aujourd’hui à Washington, la politique extérieure belliciste et paralysée à la fois, allait sa propre course sans que les dirigeants aient la moindre prise sur elle. C’est dire que nous n’attendrions pas vraiment de grandes modifications de politique avec la déclaration de Gates, ou plutôt malgré la déclaration de Gates. Nous ne sommes même pas assurés que, selon le déverloppement du texte de Raimondo, il y ait vraiment une fraction interventionniste dans l’administration Obama (Hillary Clinton verus Gates, par conséquent), – car, en effet, la politique extérieure qui va “sa propre course” est plutôt, aujourd’hui, sur l’aire d’une impulsion lancée il y a quelques années, sans apporter rien de nouveau. Cela ne signifie pas qu’il n’y aurait pas, sous peu, du nouveau, mais qu'il est simplement fondamentalement improbable que cela vienne des USA.

Nous préférons décidément en rester à l’approche que nous développons par ailleurs, dans notre F&C déjà mis en ligne ce 4 mars 2011, de l’espèce de formidable incertitude psychologique où se trouvent les directions politiques du bloc BAO (américaniste-occidentaliste), US dans ce cas, dans la mesure où la crise libyenne n’est qu’une partie d’une chaîne crisique totalement volatile et insaisissable, dont la direction britannique avoue platement qu’elle ignore où tout cela nous entraîne («…there were not lots of people who predicted those events. What happens next is also very uncertain»). Dans ce cas, le néo-idolationnisme de Gates, qui mérite fort bien certte étiquette, est celui d’un dirigeant qui admet effectivement qu’il est impossible de savoir où l’on va, ce que nous réservent ces remous et que, avec des forces armées exsangue et une situation budgétaire et financière catastrophique, il est préférable de laisser aller après avoir retiré ses billes si c’est possible… Plus personne ne contrôle plus rien, plus personne ne comprend plus rien, mais la confuse sensation est née que ces événements sont formidables et qu’on n’a nul moyen de les affronter. Lorsque lève l’ouragan, surtout ce “perfect storm”, il vaudrait mieux, conseille le secrétaire à la défense, rentrer au port pour trouver un abri.


Mius en ligne le 4 mars 2011 à 13H52

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