Reste la guerre ?

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Reste la guerre ?


20 juillet 2002 — Encore une de ces "pires semaines qu'on ait vues" depuis longtemps. Wall Street ne cesse de chuter, rejoignant les abysses de décembre 1998 (lorsqu'un président aux abois déclenchait une attaque contre l'Irak, — cela ne nous inspire-t-il pas ?) ou de 1973-74 (lorsque la crise pétrolière s'ajoutait à la crise du Watergate). Les experts ont beau tordre leur jugement, rien n'y fait. Un commentateur de Prudential Securities, Bryan Piskorowski, confie au Washington Times du 20 juillet : « There is just no good news out there right now, and people are not willing to get involved in the market going into the weekend. » Il termine, avec une ironie amère : « You've got a buyer's strike going on. »

Autre gourou cité pour nous expliquer la crise, Art Hogan, qui est chief market strategies chez Jefferies & Co. Il constate que les investisseurs ne sont pas loin d'être hystériques. Il enfonce une vaste porte ouverte en attribuant la chute de la bourse « to a lack of buyers and too many sellers ». Enfin, il a ce constat qui nous en dit long sur la crise psychologique qui frappe Wall Street et les marchés financiers aujourd'hui : « The technicians began to scream "the sky is falling". [...] In history, there has never been such a disconnect between the economy and the market. No one seems to be paying attention to the fact that the U.S. economy is doing extremely well.

Alors, les craintes prennent une autre tournure. Alors que Wall Street se débat dans l'hystérie du court terme, ce court terme est d'une durée si entêtante que le pessimisme commence à envahir la perspective du long terme. Washington a tiré toutes ses munitions ; GW le 9 juillet, qui a été pitoyable et qui, venu en pompier avec mission d'éteindre l'incendie de Wall Street, s'est retrouvé accusé par la presse d'être un des incendiaires aux pratiques frauduleuses ; Alan Greenspan cette semaine, dont on attendait monts et merveilles et qui s'est avéré aussi médiocre que les autres. Il ne reste plus que le pessimisme, comme nous l'explique David Ignatius, aujourd'hui également, dans le Herald Tribune. L'Amérique va-t-elle devenir un second Japon ?

« After the "long boom" of the 1990s, what's the chance that we are now facing the prospect of a long slump in this decade - a Japan-like malaise that may last years before investors recover their fractured confidence? Unfortunately, some of Wall Street's most seasoned players fear we may have entered just such a period of prolonged decline. And because their confidence about the future is crucial in priming the pump, their prophecies tend to be self-fulfilling.

» "In my opinion, the market is headed lower and will not start any serious recovery for some time," cautions James Harmon, former chairman of the investment bank Schroder Wertheim Co. and former head of the U.S. Export-Import Bank. "This market will not boomerang," Harmon said during a telephone interview, "and the earnings of most of the large public companies probably will not keep pace with the growth of GDP over the next few years. »

Cette appréciation du pessimisme du court terme passant au long terme, le court terme laissé à l'hystérie de la baisse relancée chaque jour, se retrouve dans tous les commentaires. Eric Pfanner, dans l'IHT d'aujourd'hui également, nous parle d' « an infectious gloom », comme d'une maladie de la psychologie (ce qui est après tout le cas : il s'agit bien d'une sorte de mélancolie chronique, que rien ne semble devoir redresser). Effectivement, Wall Steet fonctionne dans quelque chose d'autre que dans la réalité : « Until Friday, however, it had appeared that the markets were operating in a parallel universe to the "real" economy, with analysts remaining upbeat over prospects for U.S. growth even as share prices tumbled. »

On peut juger ce comportement puéril, déplacé, cette absence de rapport avec la réalité de l'économie. Mais qui les a fait roi ? Comment fonctionne l'économie américaine depuis une décennie, et même bien plus ? La célébration qui en a été faite, jusqu'à l'ivresse, dans les années 1997-2000, concernait, après tout, une "bulle" spéculative sans rapport avec la réalité. Le fait est qu'en cinquante ans, l'économie américaine, et l'économie du reste avec elle, est passée d'une économie de puissance à une économie de confiance, de la puissance de la réalité diverse de l'économie à l'influence sans précédent d'un formidable montage du virtualisme. Comment s'étonner si c'est dans ce seul domaine de la confiance, de l'influence, etc, que se nouent aujourd'hui les crises ? Si l'intrigue et les paroles sont différentes, le livret des années 1991-2002 ressemble comme un plagiat à celui des années 1920. (N'insistons pas sur la fin de l'aventure pour cette période.)

La différence est qu'aujourd'hui, paraît-il, on a des moyens extrêmement puissants de détourner l'attention, de secouer la psychologie, avec une "guerre" en cours pour donner un bon argument. Clinton savait y faire, bien qu'il n'ait pas eu la même "guerre" sur les bras. GW, lui, nous la fait un peu plus grossièrement et il use bien vite ses cartouches, d'alerte apocalyptique en alerte apocalyptique.

Tout cela nous fait penser qu'effectivement, comme on nous l'annonce de tous les côtés, on pourrait bien accélérer le rythme pour lancer une attaque contre Saddam. Non pas parce que Saddam fourbit ses armes nucléaires mais parce que le Dow Jones continue à dégringoler. Nous en sommes à ce degré d'obscurantisme du bon sens où l'on envisagerait une guerre pour détourner l'attention de la Bourse, alors qu'auparavant on hésitait devant une guerre de crainte de son effet sur la bourse.

... Et voilà que même cette perspective ne semble plus séduire les éditorialistes. Dans sa rubrique du jour au titre comme il faut, « The road to Perdition », dans le New York Times du 20 juillet, Frank Rich nous confie qu'il ne croit même plus qu'une guerre suffira pour détourner l'attention de la chute de Wall Street, cette attention qui nourrit le pessimisme, qui nourrit à son tour la chute et ainsi de suite.

« Wagging the dog no longer cuts it. If the Bush administration wants to distract Americans from watching their 401(k)'s go down the toilet, it will have to unleash the whole kennel.

» Maybe only unilateral annihilation of the entire axis of evil will do. Though the fate of John Walker Lindh was once a national obsession, its resolution couldn't knock Wall Street from the top of the evening news this week. Neither could the president's White House lawn rollout of his homeland security master plan. When John Ashcroft, in full quiver, told Congress that the country was dotted with Al Qaeda sleeper cells "waiting to strike again," he commanded less media attention than Ted Williams's corpse. »