Remarques sur la doctrine de Monroe et sa russophilie

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Remarques sur la doctrine de Monroe et sa russophilie

La doctrine de Monroe (1823) est souvent citée, jamais lue. Demandez aux journalistes-système s’ils la connaissent. Ils savent que Trump c’est Hitler, que Poutine c’est Hitler et qu’il faut se convertir à l’islam comme la machine Albright qui décima les enfants irakiens.

On ne lit donc jamais la doctrine de Monroe. Et c’est dommage. Car elle ne promeut pas l’impérialisme américain. Elle veut empêcher l’impérialisme européen dans un continent récemment décolonisé ; et surtout, elle est russophile cette doctrine. Voyez comme elle débute :

« Sur la proposition du Gouvernement impérial de Russie, transmise par le ministre de l'Empereur ici accrédité, les pleins pouvoirs et des instructions ont été envoyés au ministre des États-Unis à Saint-Pétersbourg, pour régler à l'amiable les droits respectifs et les intérêts respectifs des deux nations sur la côte nord-ouest de notre continent. »

A l’époque l’Alaska est encore russe (elle sera vendue par le tzar Alexandre II). Il y a même des implantations russes sur la côte ouest américaine (la Californie entre dans l’Union vingt ans plus tard) dont le légendaire Fort Ross (fort russe), présent dans pas mal de westerns épiques ou maritimes (sur le sujet voyez Le Monde lui appartient de Raoul Walsh).

Les imbéciles seront surpris. Le texte de la doctrine Monroe insiste nûment sur l’amitié russo-américaine :

« Une proposition analogue a été faite par Sa Majesté impériale au Gouvernement de Grande-Bretagne qui y a accédé. Le Gouvernement des États-Unis a voulu montrer, par ce procédé amical, combien il attache de prix à l'amitié de l'empereur de Russie, et combien il désire de rester en bonne intelligence avec son gouvernement. »

Voilà qui nous change des mauvaises manières façon Clinton-Nuland-Obama.

Ce texte légendaire possède une généreuse tonalité anti-impérialiste :

« Dans les discussions auxquelles a donné lieu cette négociation, et lors des arrangements qui l'ont terminée, on a jugé l'occasion favorable pour faire reconnaître comme un principe auquel sont liés les droits et intérêts des États-Unis, que les continents américains, d'après l'état de liberté et d'indépendance qu'ils ont acquis et dans lequel ils se sont maintenus, ne peuvent plus être considérés à l'avenir comme susceptibles d'être colonisés par aucune puissance européenne. »

Les pays décolonisés ne doivent plus être recolonisés.

On est tous d’accord.

Les Américains rappellent leur parenté familiale avec les européens (Trump la ressent et c’est pourquoi « on » le hait) :

 « Nous avons toujours suivi avec curiosité et intérêt les événements qui ont lieu dans cette partie du globe avec laquelle nous avons tant de relations, et à laquelle nous devons notre origine. Les citoyens des États-Unis sont animés des sentiments les plus amicaux pour la liberté et du bonheur de leurs frères de l'autre côté de l'Atlantique. »

Liberté et bonheur, cela résonne mieux que « sécurité nationale ».

Les vaches doivent être intelligemment gardées :

 « Nous ne nous sommes jamais mêlés dans les guerres des puissances européennes pour des affaires les concernant ; telle est notre politique. Ce n'est que lorsqu'on attaque, ou qu'on menace sérieusement nos droits, que nous nous regardons comme offensés ou que nous faisons des préparatifs pour notre défense. »

Les mêmes ici qui reprochent son mur à Trump contre le Mexique en veulent un contre la Russie. Pauvre Europe, change de chefs !

« Mais, quant aux gouvernements qui ont déclaré leur indépendance, qui l'ont maintenue, et dont nous avons reconnu l'indépendance, après sérieux examen, et sur des justes principes, nous ne pourrions voir l'intervention d'une puissance européenne quelconque dans le but de les opprimer ou de contrarier d'une manière quelconque leur destinée, que comme la manifestation d'une disposition inamicale à l'égard des États-Unis. »

La doctrine s’inquiète du droit d’intervention (déjà !): 

« Les derniers événements en Espagne et au Portugal montrent que l'Europe est encore troublée. La preuve la plus forte de ce fait important, c'est que les puissances alliées ont jugé convenable, d'après des principes qu'elles ont adoptés, d'intervenir par la force dans les troubles de l'Espagne. Jusqu'où peut s'étendre une telle intervention, d'après le même principe ? C'est là une question à laquelle sont intéressées toutes les puissances indépendantes dont les gouvernements diffèrent de ceux des puissances alliées, et aucun n'y est plus intéressé que les États-Unis. »

Enfin on ne veut pas de déstabilisation régionale en Amérique du sud :

 « Il est impossible que les puissances alliées étendent leur système politique à une partie de ce continent, sans mettre en danger notre paix et notre bonheur ; et aucune d'entre elles ne peut croire que nos frères [d'Amérique] du Sud, s'ils le pouvaient, l'adopteraient de leur propre gré. Il nous serait donc également impossible de rester spectateur indifférent de cette intervention, sous quelque forme qu'elle eût lieu. »

Le texte est raisonnable et élégant. Entre les lignes, certains y voient ce qui n’est pas écrit. Le futur donnera raison à sa teneur démocratique : la fin des monarchies et l’avènement des républiques en Europe. C’est une autre histoire. Quant à l’impérialisme US, il n’a clairement pas sa source ici. Voyez plutôt mon texte sur Cuba et sur les Philippines. Je rappelle aussi au passage que les Etats-Unis avaient proposé d’acheter Cuba à l’Espagne en 1854. La vente de cette île eût évité bien des malheurs.

La doctrine de Monroe promeut surtout une bonne entente russo-américaine, gage de la sécurité et de la liberté dans le monde.

On remarque qu’elle ne parle ni de fric ni de marchés, et qu’on est encore dans le monde des gentilshommes façon Tocqueville et Chateaubriand ; les banquiers et leurs voyous viendraient après.

 C’est le président Allende qui avant de mourir un certain 11 septembre… 1973 rappela la phrase du grand président Jefferson : les marchands n’ont pas de patrie.