RapSit-USA2022 : Le “pot d’adieu” de Pelosi ?

Brèves de crise

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 5015

RapSit-USA2022 : Le “pot d’adieu” de Pelosi ?

Au début de cette aventure à la fois rocambolesque, maladroite et improbable, nous avions décidé de ne lui accorder qu’une attention minimale. Notre philosophie à cet égard reste parfois datée des Anciens Temps, ceux où l’on pensait qu’il y avait une certaine réflexion, un sens de la mesure, bref un contrôle des choses dans les actes affectant les relations entre les puissances les plus antagonistes et les plus dangereuses, de la part de leurs dirigeants dans tous les cas, et du bloc-BAO pour ce qui nous concerne. Ainsi avions-nous tendance à ne pas considérer avec trop de sérieux et d’esprit de drame le voyage supposée à Taïwan de la Speakrine de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, 82 ans, etc. Il faut ajouter que nous avions souvent pris Dame Pelosi en flagrant délit-délire d’irresponsabilité dans ses déclarations et ses décisions, mais avec un certain art de dissimuler ses faux-pas, et les mettant sous le tapis une fois la gaffe constatée.

... Aussi  la présentation de la chose, le 23 juillet 2022, était-elle assez leste et sans trop s’attarder et se perdre dans le sérieux et le dramatique :

« Mais est-ce bien vrai, qu’il y ait eu germe dans l’esprit encore vif de Dame Pelosi ? Qu’en dit Pelosi ? Et qu’en dit Biden, qui dit n’être pas au courant mais ayant entendu dire que les militaires n’étaient pas favorable au projet ?... Quel projet d’ailleurs ? De quoi parle-t-on ? Allo ? Allo ? Portent-ils des masques à Taiwan ? Le pauvre Dave De Camp, successeur du regretté Justin Raimondo dans l’excellent ‘Antiwar.com’, essaie de détricoter l’affaire.

» “La Speaker de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi (D-CA), a déclaré jeudi que le président Biden ne lui avait pas parlé directement d'un voyage à Taïwan et a refusé de confirmer si elle allait faire ce voyage.

» “Les médias ont indiqué en début de semaine que Mme Pelosi se rendrait à Taïwan en août, ce qui a suscité de vives mises en garde de Pékin contre ce projet de voyage. Lorsqu'on lui a demandé s'il pensait que ce voyage était une bonne idée, le président Biden a répondu : “Les militaires pensent que ce n'est pas une bonne idée pour le moment”.

» “Pelosi a déclaré aux journalistes qu'elle n'avait rien entendu de la part du président. “Vous me dites et je l'ai entendu de manière anecdotique”, a-t-elle dit. “Mais je ne l'ai pas entendu de la part du président”. Pelosi a suggéré que peut-être les militaires craignaient que la Chine abatte son avion, mais il n'y a aucune raison de croire que Pékin envisagerait d’aller aussi loin. Pelosi a refusé de confirmer si elle faisait le voyage, citant des préoccupations de sécurité, et a dit qu'elle ne discute jamais de ses plans de voyage. “Si même j’allais à Londres, vous ne m’entendriez pas le dire, parce que c’est une question de sécurité”, a-t-elle déclaré.” »

Bien... Dans l’atmosphère électrique et chaotique qui marque aujourd’hui les relations internationales, il était évidemment bien imprudent (de notre part) de penser que cette affaire, qui présentait tous les aspects de ce que Michel Audiard nommait « un piège à cons », se terminât par une habile manœuvre de passe-passe. Reste à savoir à l’avantage de qui fonctionne le piège, si on en connaît la victime.

Il est assez probable que Pelosi, qui a déjà montré qu’elle était aussi entêtée et inconséquente qu’elle est respectable du fait de son grand âge, ait décidé dans son for intérieur que l’on n’ordonne pas, depuis Pékin, l’agenda du troisième personnage de l’exécutif des États-Unis (et aussi du second/premier personnage du Congrès). Par conséquent, l’affaire prend de l’ampleur, comme l’explique le journaliste Bradley Blankenship, qui travaille pour divers médias internationaux dont Xinhua News Agency.

« Pelosi avait déjà prévu un voyage à Taïwan en avril de cette année, mais avait dû l'annuler après avoir été contrôlée positive COVID-19. Il était prévu qu’elle effectue son voyage à un autre moment, ce qui a ouvert la voie à ce dernier développement.

» Pelosi est le troisième plus haut fonctionnaire du gouvernement américain. [...] Une visite officielle de la présidente de la Chambre des Représentants dans la région de Taïwan serait perçue comme une approbation de très haut niveau par les États-Unis du soi-disant gouvernement de Taïwan.

» C'est pourquoi la Chine a promis des “mesures résolues et énergiques” en réponse à cette évolution, si elle devait avoir lieu. Le ministère chinois des affaires étrangères a déclaré que la délégation de Mme Pelosi “aurait un impact négatif important sur les fondements politiques des relations sino-américaines et enverrait un signal gravement erroné aux forces séparatistes indépendantistes de Taïwan”.

» “Si les États-Unis s'obstinent à suivre la mauvaise voie, la Chine prendra certainement des mesures résolues et énergiques pour défendre fermement sa souveraineté nationale et son intégrité territoriale”, a déclaré Zhao Lijian, porte-parole du ministère, lors d'une conférence de presse. “Les États-Unis doivent être pleinement responsables de toutes les conséquences qui en découlent”. »

Des possibilités d’intervention militaire sont envisagées par les Chinois, d’une façon très opérationnelle selon certaines sources, comme ‘Global Times’, qui envisage que des avions de combat chinois pourraient “escorter” l’avion de Pelosi si celle-ci effectuait son déplacement. Cette possibilité conduit à divers scénarios extrêmement originaux et dangereux, selon des sources indépendantes à Washington.

« On peut imaginer que les Chinois estimeraient ainsi montrer que Taïwan fait partie de la Chine, en escortant l’avion jusqu’à l’atterrissage comme si rien ne les en empêchait, et violant l’espace aérien taïwanais. Que faire contre cela ? Faire escorter l’avion de Pelosi par des avions de combat US, ou envoyer des avions taïwanais à sa rencontre ? Donc, avouer que les Chinois font la loi puisqu’on ne peut plus se balader dans son propre espace aérien sans protection ? Dans tous les cas, c’est risquer un incident majeur dans un environnement extrêmement délicat, lequel est principalement l’avion de Pelosi avec la Speaker à bord ! »

Comme on voit, on ne manque pas d’imagination. Certains articles d’une presse d’habitude assez belliciste se montrent critiques vis-à-vis de Pelosi, comme celui de ‘Foreign Policy’, qui se demande « à quoi pense Nancy Pelosi avec  ce voyage ? », qui écrit que la chose comporte énormément de risques pour des avantages mineurs, si pas d’avantage du tout. Les conservateurs et les républicains renchérissent au nom d’une nécessaire dureté à l’encontre de la Chine, tandis que le Maison-Blanche reste dans une prudente expectative, comme si Biden n’avait pas exactement compris de quoi il s’agit.

« Nancy Pelosi s'est faite piéger dans coin du terrain de jeu, avec son prochain voyage à Taïwan.

» Si elle annule le voyage selon les objections de Pékin, elle aura “donné à la Chine une sorte de victoire”, comme le déclare le chef de la minorité du Sénat, Mitch McConnell.

» Bien que Biden ait déclaré il y a quelques jours que le Pentagone ne pensait pas qu'un voyage de Mme Pelosi à Taïwan était “une bonne idée” pour le moment, la Maison Blanche est restée muette lorsqu'elle a été pressée sur la question lors d’un briefing lundi :

» “L’administration fournit régulièrement aux membres du Congrès des informations et un contexte pour des voyages potentiels, y compris des considérations géopolitiques et de sécurité”, a déclaré Karine Jean-Pierre, porte-parole de la Maison Blanche, sans répondre directement aux plans éventuels de Pelosi. “Les membres du Congrès prendront leurs propres décisions”.

» Ironiquement, comme nous l'avons noté précédemment, Pelosi semble recevoir le soutien le plus vocal des faucons républicains de la Chine, le dernier en date étant le sénateur du Nebraska Ben Sasse. “La présidente Pelosi devrait se rendre à Taïwan et le président Biden devrait faire comprendre très clairement au président Xi qu’il n’y a pas la moindre chose que le Parti communiste chinois puisse faire à ce sujet”, a-t-il déclaré, en pesant sur le voyage. “Il y en a assez, de notre faiblesse et de notre autodestruction”. »

Bref, tout cela comme à ressembler à l’art de transformer une goutte d’eau tombée par mégarde en un flaque grossissant à chaque instant avant de devenir un énorme trou d’eau dans une grotte profonde et sinistre, où l’obscurité ne permet plus de distinguer ce qu’on peut encore faire pour éviter une baignade glaciale... D’ailleurs, nul ne sait précisément si Pelosi sait bien nager, et si quelqu’un le lui demandait, elle répondrait fort à propos que « vous ne m’entendriez pas le dire, parce que c’est une question de sécurité ».

Ce voyage, décidée pour des raisons imprécises comme celles de céder aux pressions du lobby taïwanais et à l’aile antichinoise de l’‘Antiwar Party’, semblait avoir été oublié, selon les militaires dans tous les cas, à l’occasion du cas-Covid de Pelosi qui pouvait aussi bien apparaître comme une élégante et diplomatique façon de renvoyer le botter en touche aux calendes grecques, et tout cela, justement, semble-t-il, à l’insistance des susdits militaires.

... Car si le Pentagone ne dit pas trop haut ce qu’il en pense, il n’en pense vraiment pas moins. Il juge la chronologie très inappropriée alors qu’il a l’essentiel de ses processus de renforcement et d’influence tournés vers l’Ukraine et contre la Russie, sans d’ailleurs être complètement satisfait de cette aventure-là. Faire brutalement intervenir la possibilité d’une crise majeure dans sa possible brutalité, dans la zone Asie-Pacifique autour de Taïwan, et l’événement aussitôt et complètement noyé dans un éventuel affectivisme dément et complètement incontrôlable, et la chose aussitôt et non moins complètement transformée en brulot électoral à trois mois des élections mid-term, – eh bien diantre ! Tout cela apparaît comme une situation complètement à contretemps.

Il y a aussi les partisans de la stratégie du hara-kiri... Ils vous disent : “Pelosi à 62 ans, elle sait bien que son règne se termine, d’autant que les démocrates seront battus en novembre et perdront la fonction de Speaker... Peut-être bien qu’elle veut terminer sur un coup d’éclat, quelque chose qui l’inscrira dans l’histoire des Etats-Unis”.

En quelque sorte, un “pot d’adieu”, dans une Amérique qui swingue autour de sa Manifest Destiny...

 

Mis en ligne le 27 juillet 2022 à 18H20