Quoi qu’il en soit, une victoire

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Quoi qu’il en soit, une victoire

26 juin 2024 (18H40) – Il me semble inutile, par rapport à la méthodologie de ‘dedefensa.org’ de se tenir hors des flux immédiats des nouvelles et des réflexions sur les avancées d’une situation extraordinaire et hors de contrôle d’une façon courante, de développer justement nouvelles et réflexions sur le développement exceptionnel du cas Julian Assange. Nombre de commentaires et de développements dans la presse dissidente nous disent tout ce qu’il faut savoir, – un considérable enthousiasme bien compréhensible, nuancé de méfiance et du constat qu’Assange restera un homme sous surveillance et très limité dans ses possibilités professionnelles et politiques (voir et écouter par exemple Mercouris et Brian Berletic), avec la menace d’une nouvelle inculpation et demande d’extradition... On pourrait y voir une sorte d’assignation à résidence (pendant 25 ans) dans son pays d’origine, l’Australie.

Quoi qu’il en soit, l’image est celle d’un Assange marchant, montant dans un avion, libre, sans être fliqué ni menotté. Quoi qu’il en soit, comme le dit l’ancien analyste de la CIA et ‘lanceur d’alerte’ John Kiriakou, dans l’émission ‘The Final Countdown’, de ‘Sputnik-News’, avec les animateurs Ted Rall et Angie Wong, – et l’on garde aussi bien l’affirmation de l’élément de la surprise que celui de la victoire :

« ... cette évolution surprenante, – ‘C’est une victoire’ ».

Kiriakou a connu lui-même une évolution similaire à celle d’Assange. Après avoir fuité et révélé l’existence du programme des bases secrètes de torture de la CIA, il a accepté un compromis avec une légère peine de prison que le département de la Justice a été conduit à proposer sous la pression de l’opinion publique et au très-grand dam de la CIA.

« Les pressions de la CIA sur Biden pour écarter tout compromis avantageux étaient considérables... Mais le parti démocrate voulait une telle décision pour tenter de ramener une partie de sa base progressiste [dans le camp de Biden pour l’élection de novembre]...

» L’une des choses sur lesquelles Julian était catégorique était qu’il n’accepterait pas une accusation d’espionnage et, en fin de compte, il ne l’a pas acceptée. Il a plaidé coupable de complot [pour révéler des informations classifiées] et a été condamné à une peine de prison correspondant au temps qu’il y a déjà passé.

» C’est donc une victoire. »

Encore quelques mots de Kiriakou pour nous restituer le climat politique actuel aux USA et les comportement des uns et des autres concernant cette affaire, par rapport à leurs idéologies respectives. On sera peut-être étonné, – moi pas, – de découvrir quel camp se réjouit de la victoire de la liberté de la presse et de la liberté tout court, et quel camp “suit les consignes du parti”...

« L'une des choses qui m'a fasciné aujourd'hui est de voir la réaction des gens de tous les horizons idéologiques. Le soutien le plus fort à cet accord est venu de la droite républicaine. Les déclarations très favorables de Rand Paul, du député Thomas Massie, de Tucker Carlson... Parmi les démocrates, c’était ‘la ligne du parti’ [appuyant sur la responsabilité d’Assange].

» Une chose m’a intéressé, c’est la réaction des neocons, – jusqu’ici, une de Mike Pence, sans doute l’un des hommes politiques les plus insignifiants en Amérique aujourd’hui... Pence a écrit sur tweeterX, attirant beaucoup de réactions très critiques, qu’Assange avait mis en danger la sécurité des militaires américains en temps de guerre.

» Citez-en un – littéralement, sérieusement – nommez un seul soldat dont la vie a été mise en danger à cause de WikiLeaks ou des révélations de Julian Assange. Il n’y en a pas ! Ce que Julian Assange a révélé est une série de crimes de guerre systématiques commis par l’armée américaine. »

Pompeo l’humanitaire

Lorsqu’on entend Kiriakou parler des “pressions considérables” de la CIA sur la momie présidentielle, il faut accepter cette description comme bien plus que symbolique. En fait, il semble que le malheureux Assange soit devenu, pour la CIA, le symbole et la source unique de tous les avatars qui ont frappé l’Agence depuis que son existence, – et celle de ‘Wikileaks’ par conséquent, – furent connues.

Le texte reprenant l’intervention de Kiriakou renvoie à un texte du 27 septembre 2021 du ‘Guardian’, décrivant l’attitude des chefs de la CIA, son directeur Mike Pompeo en tête, lorsque l’énorme programme ‘Vault7’ de piratage informatique de la CIA fut ‘fuité’ par ‘Wikileaks.

Il est tout à fait savoureux que ce soit le ‘Guardian’ qui nous donne toutes ces informations. Le grand quotidien anglais était un chaud partisan de la dissidence du temps de l’entrée en scène d’Assange et de ‘Wikileaks’ (autour de 2010), et jusqu’à l’affaire Snowden et un petit peu au-delà ; puis il commença à virer de bord jusqu’à ces 180° qu’ignore la ministre allemande des affaires étrangères, pour devenir l’élève le plus sage et le plus appliqué de la presseSystème, progressiste, wokeniste et tout le toutim.

Ce fut donc un déchaînement quand la CIA s’aperçut qu’elle était considérablement cocue. Tout cela ne pouvait être que l’œuvre du plus grand criminel depuis Judas et ses 30 deniers, – et qui continuait à diriger son immense entreprise de trahison depuis son refuge de l’ambassade d’Équateur ; d’où la juste colère de Pompeo et Cie, cherchant avec une ferveur religieuse un bon moyen d’éliminer l’hérétique Assange.

« Les discussions sur l’enlèvement ou le meurtre d’Assange ont eu lieu en 2017, a rapporté Yahoo News, alors que le militant australien en fuite entrait dans sa cinquième année de refuge à l’ambassade d’Équateur. Le directeur de la CIA de l’époque, Mike Pompeo, et ses hauts responsables étaient furieux de la publication par WikiLeaks de ‘Vault7’, un ensemble d’outils de piratage de la CIA, violation que l’agence considère comme la plus grande perte de données de son histoire.

» Pompeo et les dirigeants de la CIA “étaient complètement détachés de la réalité parce qu’ils étaient complètement secoués par la fuite sur Vault7”, a déclaré Yahoo citant un ancien responsable de la sécurité nationale de Trump. ”Ils voulaient du sang”.

» Certains hauts responsables de la CIA et de l’administration Trump sont allés jusqu’à demander des “croquis” ou des “options” concernant la façon d’éliminer Assange. “Il ne semblait y avoir aucune limite”, aurait déclaré un ancien haut responsable de la lutte contre le terrorisme. »

L’article du ‘Guardian’ ajoute, timidement sinon flegmatiquement, une importante précision : « La CIA a refusé de commenter. » L’affaire fut par contre vivement commentée par les divers groupes de pression qui se sont formés autour du nom et du sort de Julien Assange. Ainsi de son avocat aux USA, Barry Pollack, qui fit ces remarques résumant assez bien, du point de vue des démocrates qui ont insisté pour qu’une solution “humaine” soit trouvée, les pensées que les électeurs peuvent avoir lorsqu’il sera temps de réélire les débris divers qui subsistent de Joe Biden :

« En tant que citoyen américain, je trouve absolument scandaleux que notre gouvernement envisage d'enlever ou d'assassiner quelqu'un sans aucune procédure judiciaire simplement parce qu'il a publié des informations véridiques.

» Mon espoir et mon attente sont que les tribunaux britanniques prendront en compte ces informations et renforceront encore davantage leur décision de ne pas extrader vers les États-Unis ».

Le légalisme des tueurs

Cette affaire Assange est étrange, outre d’être révélatrice des comportements infâmes de ce fameux “modèle américain” qu’on ne cesse de nous vanter au milieu des ruines diverses et des corruptions qui vont avec. Justement, ce caractère étrange se trouve finalement dans le souci de légalisme que les tueurs montrent avant d’exécuter leurs cibles (sauf quand il s’agit d’une colère de Pompeo qui a perdu son cher ‘Vault7’, – mais sans effet opérationnel). Ce souci du légalisme a mis en évidence publique le long martyr qu’a subi Assange, passant d’un serviteur (la Suède) à l’autre (la Grande-Bretagne), avant de se retrouver dans une geôle qui a gagné le surnom de “Guantanamo anglais”, avant de passer devant des juges dont certains finissent par trouver que l’état de santé d’Assange se détériore et que la parole américaniste de le bien traiter s’il venait à être extradé est bien douteuse.

Aux USA, règne le même état d’esprit qui rejoint l’espèce de complexe du légalisme qui habite l’anglosaxonisme. De même qu’on se serait apprêté à juger Assange aux USA avec toutes les manies et les courbettes qui habitent les tribunaux et les droits des accusés dans ce modèle de légalité, pour savoir si on le condamne à 345 ans ou 479 ans de prison, avant de le confier à des automates sadiques ou de le laisser se suicider façon-Epstein, de même a-t-on ainsi contribué à élever le traitement d’Assange au rang d’un martyr qui élevait sa cause au même niveau que sa vertu lui réservait.

Effectivement, l’‘Empire’ est impitoyable et absolument barbare, avec une pathologie narcissique qui le pousse vers une chute qui ressemble à un suicide. Il est aussi singulièrement stupide dans la façon dont il se laisse guider par ses obsessions, par le désir secret que le simulacre dont il s’est paré soit finalement la Vérité toute nue comme les productions hollywoodiennes constitueraient une présentation absolument objective des vertus de l’américanisme..

Julian Assange est un héros et il est quasiment certain que, – comme le déplorait Mercouris, – « sa carrière est finie » tant il sera l’objet de surveillances diverses et nombreuses, mais aussi, d’une certaine façon paradoxale, des “surveillances diverses et nombreuses” qui assureront sa protection... Même Pompeo déguisé en porte-flingue d’occasion aura du mal à le dégommer comme il aurait voulu le faire en 2017.

Finalement, cette sorte de “contre-exil”, d’assignation à résidence dans le pays où il est né, contribuent à entretenir le mythe qu’il est devenu, ce symbole de la barbarie yankee ; et tout cela, après tout et si l’on a du goût pour les raccourcis, aux frais de la mise en lumière de la barbarie en question, qu’on a de plus en plus de mal à déguiser en princesse des mille-et-une nuits...

Ils sont tellement bêtes qu’un jour Hollywood, qui s’oublie si facilement, fera un blockbuster à la gloire d’un héros nommé Assange parce qu’on aura calculé que cela peut rapporter plusieurs palettes de $milliards.