Qui veut être Président à la place du Président ?

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 2001

Qui veut être Président à la place du Président ?

La fonction de Speaker (président) de la Chambre des Représentants est d’une grande importance dans le processus politique et législatif du pouvoir à Washington. C’est le deuxième successeur en ligne du président après le vice-président, en cas de vacance du pouvoir suprême pour une raison ou l’autre (décès, incapacité, etc.). Son poids au Congrès dans la tactique politicienne, dans la nomination des postes d’influence à la Chambre, etc., est de la plus extrême importance. Les républicains, majoritaires depuis 2010 à la Chambre (comme au Sénat depuis 2012), avaient confié la fonction de Speaker à John Boehner, un parlementaire particulièrement expert de la “ligne du parti”, donc la courroie de transmission idéale du Système. Mais son autorité a toujours été, dès l’origine en 2010, contestée par une minorité radicale du parti républicain, de plus en plus bruyante et déterminée. Finalement, fin septembre Boehner a jeté l’éponge, constatant qu’il ne parvenait plus à assurer la cohésion de la majorité républicaine, et rendant effective cette démission (ainsi que celle de Représentant de l’État de l’Ohio) à la fin d’octobre pour permettre à sa succession de se mettre en place. C’est normalement le chef de la majorité républicaine Kevin McCarthy qui devait prendre cette succession, mais il vient d’annoncer brusquement qu’il y renonçait, hier, au cours d’une réunion dramatique prévue pour entériner officiellement sa nomination. Un autre parlementaire républicain immédiatement sollicité, Paul Ryan, a repoussé l’offre.

Il s’agit d’une situation sans précédent, – une de plus dans ce vaste monde crisique, – qui, selon les démocrates évidemment particulièrement acerbes et ironiques, témoigne du chaos régnant au sein du parti républicain ; par ailleurs, ce chaos s’exprime fort bien par la position de domination incontestée qu’exerce Donald Trump, qui est très loin de la direction républicaine et est complètement hors du circuit politique, dans la course à la désignation républicaine pour les présidentielles. Un républicain de l’Illinois, Adam Kinzinger, a remarqué : “Nous sommes en terra incognita ... Nous sommes quotidiennement en train de faire l’histoire, et pas de la meilleure façon...”

Boehner a annoncé qu’il resterait au-delà de fin octobre si la situation n’était pas débloquée, la vacance de la fonction de Speaker étant impensable ; mais bien entendu, son autorité sera quasiment nulle, vu les circonstances, et tout juste pourrait-il “expédier les affaires courantes” les moins importantes, et assurer les actes formels et symboliques de sa fonction. Le Washington Times du 9 octobre 2015 détaille cette situation complètement extraordinaire qui constitue un témoignage de plus du chaos de l’impuissance et de la paralysie du pouvoir washingtonien.

« Majority Leader Kevin McCarthy abruptly ended his bid Thursday to be the next House speaker, shocking GOP colleagues who walked into a noon meeting expecting to coronate him as their pick, and instead walked out amid chaos, leaving the party rudderless as it stumbles toward a series of major policy showdowns. Current Speaker John A. Boehner, who'd planned to step down October 29, said he'll stay until a successor is approved, and some of his colleagues hinted that with no clear favorite in sight, the Ohio Republican might remain for months yet. But as a lame duck, it's not clear how Mr. Boehner and his team will be able to move forward with major negotiations over the budget, the debt limit and a new Pacific trade deal that will require approval from Capitol Hill. “This is new territory,” said Rep. Adam Kinzinger, Illinois Republican. “We make history every day — not in a good way.”

» Mr. McCarthy announced his decision to back out of the race at a meeting of the House GOP. Just hours before, he'd addressed a smaller group of Republicans and had seemed committed to the race, participants said. That made his withdrawal all the more stunning, and speculation over the reasons ran from recent gaffes to potential skeletons in his background to simple math: While he had the support of a majority of House Republicans, he did not have enough backing to get the 218 votes he would have needed when the full House — including Democrats — was slated to vote on October 29.

» Mr. McCarthy told colleagues he was damaged by his stumble last week, when he appeared to ascribe political motives to the House's select committee probing the 2012 terrorist attack in Benghazi. “If I can't unite everybody, it's better to find somebody else,” the California Republican told reporters afterward. He retains the majority leader's spot, though GOP aides were wondering if he would be able to keep it. Some lawmakers immediately turned to Rep. Paul Ryan, the GOP's 2012 vice presidential nominee who masterminded this year's push for free trade negotiating powers, as the only possible choice for speaker now. But Mr. Ryan rejected that, saying he doesn't want the job.

» After Mr. McCarthy's withdrawal, Mr. Boehner canceled Thursday's vote, giving the GOP time to regroup and for other candidates to emerge. Some Republicans are trying to recruit a caretaker speaker who could serve for now, with the understanding that a more permanent person would be chosen either next year or in early 2017, after the next presidential election.

» Senate Minority Leader Harry Reid, who is one of those involved in the negotiations, said the McCarthy move showed "the utter chaos of the Republican Party" — but said the GOP needs to get its act together quickly if it is to handle a debate over raising the government's debt limit. “Responsible Republican leaders should bring a clean debt ceiling increase to the floors of the House and Senate immediately and let it pass with a bipartisan coalition, as it certainly would,” the Nevada Democrat said. “Republican chaos is likely to get worse before it gets better, but the economic livelihood of the American people should not be threatened as a result of Republicans' inability to govern.” »

La désintégration du pouvoir washingtonien n’en finit pas de poursuivre la spirale de sa chute. On ne peut s’en tenir à la seule “crise” du parti républicain, dont les effets sont multiples, notamment dans l’absence de toute ligne cohérente de politique étrangère sinon la maximalisme extrémiste (neocons, etc.) dont les effets sur les démocrates et une Maison-Blanche complètement paralysée par le caractère du Président sont dévastateurs. La “crise” du parti  républicain n’est donc qu’une “fraction de crise”, de la crise générale du pouvoir washingtonien. Mais ici, dans le cas évoqué, elle atteint le cœur même des institutions en touchant une pièce essentielle du fonctionnement du législatif avec la puissance du Speaker de la Chambre constituant un des pivots du législatif. Le site WSWS.org notait cette impression à propos de l’épisode :

« One of the principal parties of the ruling class, the Republican Party, has been thrown into chaos following the withdrawal of Kevin McCarthy, the current House majority leader, from the contest to become the new House speaker. According to media reports, representatives who had gathered to select the speaker of the house—the second person in the line of presidential succession—were in “total shock,” with some audibly weeping as the gathering broke up. »

Ce qui est impressionnant dans cette “fraction de crise“, et ce pourquoi elle retient notre attention, c’est son caractère de totale incontrôlabilité, selon deux observations : d’une part la brutalité et la soudaineté de la décision de McCarthy d’abandonner la fonction de Speaker qui lui revenait évidemment, d’autre part le refus de Ryan de cette fonction ; voilà donc le constat de l’extrême difficulté de trouver un homme qui s’intéresse à une fonction qui est normalement si convoitée par tout parlementaire normalement constitué.

Tout se passe comme si les hommes politiques au cœur des mécaniques essentielles du pouvoir/du Système étaient désormais épuisés, ou terrorisés, à l’idée de devoir prendre en charge les fonction de direction qui sont tout simplement essentielles pour faire fonctionner l’institution du pouvoir washingtonien, laquelle requiert une coordination minutieuse, un contrôle complet de l’extrême complexité des processus, – un pouvoir qui ne hait rien tant que le chaos de sa situation et la peur des responsabilités de ses membres, – tout ce qu’elle a aujourd’hui. Dans ce cas, si les républicains sont en vedette, c’est simplement parce que leur parti est plus que jamais l’aile du “parti unique” dominatrice du processus général ; cela, dans la mesure où il tient la représentation parlementaire de l’électorat qui fonde ce qui est considéré comme les “valeurs” américanistes habituelles, et dans la mesure où ce parti reste un berceau important d’activisme de fractions importantes de cet électorat. Du coup, effectivement, le parti républicain régurgite les remous, les contradictions, les contestations d’un électorat qui subit de plein fouet des crises économique, culturelle et identitaire.

L’actuelle impasse à la Chambre devrait tout de même finir par trouver une solution institutionnelle tant cette situation ternit l’image du Congrès, mais cette issue sera nécessairement boiteuse. Les parlementaires ont conscience de la terrible crise de confiance du public US vis-à-vis de la direction washingtonienne, et particulièrement du Congrès, qui ne fait qu’amplifier chaque jour une situation structurelle catastrophique, – ou, si l’on veut une situation “structurelle complètement déstructurée” du pouvoir washingtonien. Mais leurs divisions, leur absence de cohésion civique, voire culturelle, sous les pressions du Système qui frappe de plus en plus leurs électorats, rendent les compromis de plus en plus difficiles à atteindre.

Par conséquent et quoi qu’il en soit de son issue, cette crise comme toutes ses compagnes du domaine, aura nécessairement des conséquences, ou des effets d’accélération sur les tendances en cours, notamment les élections présidentielles dont les primaires commencent dans deux mois. Un aspect remarquable de cette situation, aujourd’hui avec la “crise du Speaker”, est qu’elle nous rapproche un peu plus de l’unthinkable, qui est la désignation de Donald Trump, nécessairement s’instituant comme étendard de l’antiparlementarisme, comme candidat républicain à la présidence... “Ah Ah ! Said the Clown...”

 

Mis en ligne le 09 octobre 2015 à 17H26