Qui tient qui à Washington ? Question inutile, question dépassée...

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Qui tient qui à Washington ? Question inutile, question dépassée...

Les trois dernières semaines ont vu une avalanche de semi-“révélations”, de déclarations, de mises en évidence qui contribuent à jeter une lumière encore plus crue sur la toute-puissance de la CIA et de son directeur John Brennan, à Washington, dans l’équation du pouvoir. En même temps a été démontrée la complète impunité de l’artefact Brennan-CIA, jusqu’à des interrogations sérieuses sur le fait de savoir “qui commande à Washington ?”. (On parle aussi bien des révélations sur la surveillance constante effectuée par la CIA au Congrès, particulièrement sur les membres des commissions, que des rapports sur les tortures demandés à la CIA par le Congrès et dont le destin est incertain, que du comportement d’Obama exonérant la CIA de tout reproche sérieux et déclarant, sur un ton extraordinairement nonchalant et détaché, ce qu’on pourrait traduire selon l’esprit régnant “nous avons torturé quelques mecs” [«“We tortured some folks,” Obama declared almost casually...», remarque WSWS.org le 2 août 2014].)

Aujourd’hui, les membres du Congrès les plus en vue pour leurs positions favorables à ce qu’on nomme le National Security State (NSS) dans sa branche de l’Intelligence Community (IC), jusqu’à être considérés comme à la fois serviteurs, complices et co-manipulateurs du modèle courant et permanent de ce NSS, sont traités comme des suspects, voire presque menacés d’une certaine façon dans leur intégrité. Nancy Pelosi, chef de la minorité démocrate à la Chambre, a confié qu’elle se sentait souvent dans la plus complète insécurité vis-à-vis de l’action de surveillance de la CIA à son encontre. Le cas le plus remarquable est celui de Dianne Feinstein, la sénatrice démocrate qui dirige la commission sénatoriale du renseignement et est donc parfaitement désignée comme “l’homme de la CIA” (sic) au Congrès, impeccable défenderesse des privilèges de l’IC, de la NSA à la CIA. Dans un texte très documenté et qui reprend avec brio toute cette chaîne d’événements, l’impeccable commentateur Tom Engelhardt remarque (le 3 août 2014 sur son site TomDispatch) combien Feinstein est “tenue” par la CIA, malgré certaines initiatives dont un admirable discours de dénonciation de cet “État profond” (voir le 12 mars 2014), – Feinstein “tenue” jusqu’à être menacée, comme Pelosi le ressent pour elle-même, dans son intégrité même, par des voies de pression, de chantage, pire peut-être...

«Let’s keep in mind as well that committee head Feinstein was previously known as one of the most loyal and powerful supporters of the national security state and the CIA. Until recently, she has, in fact, essentially been the senator from the national security state. She and her colleagues, themselves shocked by what they had learned, understandably wanted their report declassified and released to the American people with all due speed. It naturally had to be vetted to ensure that it contained no names of active agents and the like. But two and a half years later, after endless reviews and a process of vetting by the CIA and the White House that gives the word “glacial” a bad name, it has yet to be released (though there are regular reports that this will – or will not – happen soon). [...]

»... In addition, according to Feinstein, CIA Director John Brennan met with her, lied to her, and essentially tried to intimidate her by telling her “that the CIA had searched a ‘walled-off committee network drive containing the committee’s own internal work product and communications’ and that he was going to ‘order further forensic evidence of the committee network to learn more about activities of the committee’s oversight staff.’” In other words, the overseen were spying upon and now out to get the overseers. And more than that, based on a single incident in which one of its greatest supporters in Congress stepped over the line, the Agency was specifically out to get the senator from the national security state. There was a clear message here: oversight or not, don’t tread on us.»

Et puis, il y a le cas Obama. Le brillant, gracieux et talentueux président des États-Unis, désormais considéré unanimement comme le plus mauvais président qu’aient eu les USA, y compris par ses “frères de couleur”, n’a cessé d’apparaître de plus en plus comme lié à l’IC de l’“État profond”, c’est-à-dire tenu par lui (l'Intelligence Communauty), et vigoureusement, et l’on sait par quoi. On a déjà eu quelques occurrences pas piquées des vers (voir le 14 juillet 2014). Sa défense est constante et “loyale”, de toutes les turpitudes, de toutes les illégalités des activités les plus déstructurantes de l’IC, – du côté sombre de l’IC, l’envers de celui qui fait son travail en refusant de cautionner la version exaltée et hystérique aussitôt hurlée par les dirigeants-Système après la destruction de MH17, – car tout est ambigu et à double face, type-Janus, dans toutes les situations politiques aujourd’hui... BHO apparaît donc comme le président le plus dépendant, le plus “tenu”, le plus complètement prisonnier de l’IC, – que Engelhardt nomme “le Quatrième Pouvoir”, confisquant à cet effet l’expression jusqu’alors réservée à la presse, devenu cette presse-Système, cette bouillie pour les chats incapable de sortir de l’étroit sentier tracé par les consignes du Système («The fact is that, for the Fourth Branch, this remains the age of impunity... [...] In the context of the Senate’s torture report, the question at hand remains: Who rules Washington?»)

Des organes de presse aussi prudents avec le pouvoir et avec les forces de l’IC, autant que du CMI (Complexe Militaro-Industriel), que The Atlantic ou Defense One n’hésitent pas à publier des contributions de journalistes qui posent directement la question de savoir si Brennan-CIA ne tiennent pas réellement BHO, “par les valoches” comme l'on dit à Wall Street, d’une façon quasiment ouverte. (... Wall Street où, c’est bien connu, l’on tient également Obama et les autres, par le même moyen si élégant.) C’est le cas de Conor Friedersdorf, de The Atlantic, qui publie dans Defense One un article, le 4 août 2014, sous le titre révélateur et qui ne prend pas de gants de «Does John Brennan Know Too Much to Be Fired?»(“John Brenan en sait-il trop pour être viré ?”), – car l’on sait bien qu’avec toutes ces affirmations, ces mensonges prouvés, ces actes illégaux, etc., Brennan devrait avoir été “viré” depuis belle lurette... La remarque de Friedersdorf est prudente mais pas moins significative : «I am not suggesting that Brennan is blackmailing Obama, or even that he would necessarily retaliate if fired. Still, if Obama is like most people in positions of power, he fires no subordinate without first asking himself, “Could this person damage me?” If Obama is a normal person, rather than an unusually principled person, the answer factors into his decision...»

Inutile de suggérer que vous ne suggérez pas que Brenner fait chanter Obama, Friedersdorf, parce que l’on sait bien que vous affirmez cela, bien au-delà de suggérer... Et alors ? Tout est impunité à Washington, aujourd’hui, y compris, comme fait stricto sensu Friedersdorf, l’impunité d’attaquer l’impunité dont jouissent Brennan-CIA (...Du moment que cette attaque est assez habile pour ne pas éclater en une accusation furieuse qui déclencherait un ouragan médiatique par un de ces phénomènes inattendus, – car qui sait comme naît un ouragan médiatique, comment telle information incroyable et scandaleuse ne produit aucun effet alors que telle autre en produit un, et colossal. A ce moment, certes, on en reviendrait au cas bien connu du risque d’élimination physique, mais franchement il est moins présent, ce cas, qu’on ne pourrait craindre par rapport à l’avalanche révélations, évaluations, etc. L’âge de l’impunité, c’est aussi, en un sens, l’âge du “je-n’en-à-rien-à-battre”, c’est-à-dire les révélations passent et les pseudo-structures de l’impunité restent.)

Que nous dit-on, finalement  ? Que Brennan est le Jay Edgar Hoover de son temps, de sa période, dans tous les cas selon le déferlement médiatique washingtonien en cours et dans le cadre des dénonciations-Système qui vont avec, tout cela caractérisant la séquence et touchant la CIA depuis quelques mois. Mais il y a un an, ce n’était ni Brennan ni la CIA qui étaient la vedette de la chose (on n’ose dire “sur la sellette” quand on voit l’absence totale d’effets sur les positions et les puissances) ; c’étaient le général Alexander et la NSA. Le 14 juin 2013, Alexander, baptisé empereur intouchable de la United Stasi of State (USA) était comparé à Hoover. Nous citions James Bamford, incontestable spécialiste de la NSA  : «Inside the government, the general is regarded with a mixture of respect and fear, not unlike J. Edgar Hoover, another security figure whose tenure spanned multiple presidencies. “We jokingly referred to him as Emperor Alexander—with good cause, because whatever Keith wants, Keith gets,” says one former senior CIA official who agreed to speak on condition of anonymity. “We would sit back literally in awe of what he was able to get from Congress, from the White House, and at the expense of everybody else.”»

Là-dessus, prenant en compte cette évaluation pour sérieuse et significative, ce qui était le cas, nous ajoutions ce commentaire. (L’on notera qu’il pourrait être repris pour Brennan et la CIA, respectivement à la place d’Alexander et de la NSA, – et qu’il pourrait être repris pour telle ou telle force éventuelle et son représentant, – le FBI, la DIA du Pentagone, le Joint Chief of Staff, etc.)... «Alexander est présenté comme une sorte de J. Edgar Hoover de l’ère informatique, mais la comparaison est très approximative. D’une part, il n’a pas la durée de Hoover, qui régna sur le FBI de 1924 à sa mort, au début des années 1970, alors que Alexander part à la retraite l’année prochaine. Par contre, Alexander, tout en disposant des outils en théorie implacable de surveillance intérieure, dispose d’une puissance extérieure (la cyberguerre) que ne possédait pas Hoover. D’autre part, sa personnalité semble beaucoup moins politique, ce qui en fait justement beaucoup plus un exécutant du Système au service d’une puissance considérable, aisément remplaçable par un clone parmi les généraux disponibles, – alors que Hoover assurait un pouvoir personnel et personnalisé sur la durée. Alexander est peut-être politiquement moins puissant que Hoover, mais il assure parfaitement la sécurisation des voies et moyens de développement de la puissance absolument déchaînée du Système, avec l’utilisation des technologies de surveillance et d’agression de l’informatique. Il est complètement une créature du Système, au service du Système, et quasiment interchangeable, et cette situation le différencie de Hoover.»

On voit bien où nous voulons en venir. Le pouvoir est tellement dissout à Washington, tellement éclaté en une multitude de centres de pouvoir sans coordination entre eux, sans coopération réelle et plutôt concurrents mortels les uns des autres, les puissances dont tous ces pouvoirs éclatés disposent sont si considérables, la compromission politicienne et la corruption psychologique des dirigeants politiques qui sont retenus par ces pouvoirs sont si permanentes et structurelles, que rien de structuré et d’assuré n’émerge de tout cela. Il n’existe pas de puissance dominante, ou bien il n’existe plus une telle puissance... (Mais même J. Edgar Hoover, en son temps, était concurrencé par la CIA, contre laquelle il ne pouvait rien, et donc d’autant limité dans son pouvoir occulte, – voir le 22 novembre 2013.) Ainsi en revient-on, chaque fois renforcé dans notre conviction par les signes de plus en plus pressants de la situation que nous décrivons, chaque jour constatant que cette situation ne cesse de se renforcer et de s’aggraver...

• Personne ne domine personne à Washington et tout le monde tient tout le monde, tandis que la dictature impérative du système de la communication, – une vraie dictature opérationnelle, celle-là, – oblige tous les acteurs à se soumettre périodiquement à ses diktat de convenance et de manipulation de son action. Le résultat est donc, chaque jour davantage, chaque jour plus marqués, à la fois l’impuissance, la paralysie et le désordre, dans un ordre croissant...

• “Personne ne domine personne à Washington” certes, mais le Système domine tout le monde, avec ses divers diktat, ses obligations, ses impératifs. C’est dire que nous jugeons que ces événements conduisent à considérer d'autant plus, et chaque jour davantage, la thèse et l'interprétation du Système autonome, avec toute sa dynamique, tous ses élans, toutes ses contradictions... Et la conséquence de cette domination totalitaire, compte-tenu de la production de plus en plus échevelée du Système (dynamique de la surpuissance), est une tension chaque jour grandissante, des actes de politique, notamment extérieure (en Ukraine, par exemple, om la CIA est omniprésente), incohérents et qui imposent des crises toujours plus insolubles et dangereuses, et par conséquent contre-productives au plus haut degré ; mais aussi de ces actes de politique intérieure comme ceux auxquels nous assistons, qui montrent ces appendices du Système de plus en plus impudents et imprudents avec les règles nécessaires et les bonnes manières de fonctionnement du Système lui-même, l’apparence de la légalité, de la hiérarchie, de la démocratie (sic), etc. L’effet général de ces conséquences est que “la production de plus en plus échevelée du Système (dynamique de la surpuissance)” produit naturellement, et avec de plus en plus de force, son complément de l’autodestruction.


Mis en ligne le 6 août 2014 à 08H42