Question de principes

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Question de principes


31 août 2002 — Les Français, somme toute, ne sont pas en mauvaise forme. Quelque source, sans doute proche du ministère des affaires étrangères, confie à Elaine Sciolino, du New York Times et de l'IHT (le 29 août), un soulagement, voire une satisfaction à peine secrète qui semblent être ceux de ses pairs : « French officials also seem to be relieved, even bemused, that it is now the Germans who have taken the lead in taking on the Bush administration for its Iraq policy. » Oui, il y a de l'ironie dans la situation actuelle, à laquelle de Gaulle, du haut de sa vieille retraite, ne devrait pas être insensible.

Le texte de Sciolino est intéressant. Il paraît donc le 29 août, avec le titre sans ambiguïté de : «  France shifting stance on Iraq — In gesture to U.S., Paris will mute criticism on war plans. » Et l'on nous explique qu'au Quai d'Orsay, comme à l'Elysée, on a mis au point une tactique bien dans la tradition française qui, depuis Richelieu et Vergennes, et même au-delà, s'est toujours piquée de finesse et de réalisme. Les deux premiers paragraphes du texte de Sciolino disent tout à ce propos :


« In an important tactical shift, the French government has decided to stop criticizing the United States for its war planning against Iraq, according to senior French officials.

» It is not that the new government of President Jacques Chirac has suddenly embraced the American position that a military campaign to oust President Saddam Hussein of Iraq from power is justifiable and perhaps necessary. Rather, both Chirac and his foreign minister, Dominique de Villepin, have come to the conclusion that it is wiser for France to stress areas of agreement with the United States in order to help moderate American policy and to keep open its options in case the United States decides to wage war unilaterally, the officials said. »


Il y a beaucoup à dire sur ces remarques, et d'abord qu'elles présentent une évolution dans un contexte bien incertain, sinon complètement fabriquée pour la cause. Lorsque Sciolino nous parle d'un « important tactical shift » en nous précisant que le gouvernement français « decided to stop criticizing the United States for its war planning against Iraq », on en reste un peu coi car il ne nous semble pas que le gouvernement français, — par exemple, quand on le compare au collègue Schröder (toute l'ironie est là) — se soit montré particulièrement agressif ces dernières semaines dans sa critique des préparatifs de guerre de GW.

Bien. Ces commentaires de Sciolino, décidément bonne petite auxiliaire, sont faits en marge de l'annuelle “conférence des ambassadeurs”, où, pendant 3 jours, le corps diplomatique français au sens le plus large se rencontre, discute, autour de son ministre puis autour de son président, pour réajuster la ligne générale de la diplomatie française. Et voilà que, le jour où Sciolino fait paraître son article, le président Chirac vient devant ses ambassadeurs au sens large faire son discours traditionnel, — et cela donne ceci (commentaires de la presse étrangère, britannique dans ce cas, intéressée au premier chef) :

• La BBC, le 29 août, sur son site : « France speaks out against US war plan. » Avec ce commentaire sans ambguité : « French President Jacques Chirac has become the latest Western leader to speak out against an American attack on Iraq. He condemned US threats to attack Iraq unilaterally, saying that a United Nations mandate should be sought for military action. » L'impression qu'on recueille de ce texte ne laisse aucun doute. On la retrouve par ailleurs.

• Dans The Independent du 30 août, même son de cloche, même interprétation, même commentaire («  The French President, Jacques Chirac, issued his strongest criticism yet of American plans to attack Iraq yesterday, warning that any ''unilateral and pre-emptive'' action would run counter to international law. ») Dans les deux cas, c'est-à-dire pour le discours de Chirac, il faut ajouter que ce discours n'apporte rien de fondamentalement nouveau à la position française. On sait que les Français n'aiment pas, évidemment, la doctrine de l'attaque préventive ; qu'ils jugent que toute attaque ne peut être envisagée sans l'accord de l'ONU ; et ainsi de suite ... Tout cela avait été déjà dit à plusieurs reprises, notamment lors de la rencontre Schröder-Chirac de juin.

Que se passe-t-il ? D'un côté, on nous annonce que la France va adoucir tactiquement une attitude de forte critique des États-Unis, que, par ailleurs, on n'a guère vue se manifester ces dernières semaines. De l'autre, on nous présente un Chirac condamnant fermement les États-Unis alors qu'il ne fait que répéter, en gros, ce qu'il a déjà dit.

Essayons d'analyser cette situation en notant que la France seule n'est pas en cause, évidemment, et qu'elle “agit”, dans ce cas, au travers d'yeux et d'esprits, notamment anglo-saxons, qui sont engagés dans la même galère et, à notre avis, beaucoup moins à l'aise que la France. Voici plusieurs points :

• Depuis le début de la crise (9/11, puis l'Irak aujourd'hui), la France n'a pas de politique particulière sinon celle de ses principes. Ceux-ci sont réaffirmés de facto. La France n'a pas besoin de dire qu'elle est contre l'attaque de l'Irak, cela va de soi et, éventuellement, on le dit et on le répète pour elle. Cette absence de politique est-elle voulue ou non ? (Une telle absence de politique, si elle était sciemment conduite, pourrait apparaître comme la plus fine des tactiques.) Elle n'est pas voulue, du moins de cette façon délibérée et calculatrice qui pourrait paraître machiavélique. La France politicienne, intellectuelle et médiatique, c'est-à-dire complètement nombriliste, a eu ces derniers mois beaucoup à s'occuper d'elle-même, entre les affaires électorales et les “affaires” tout court, pour trop calculer en matière de politique étrangère.

• Mais la France a des principes, un legs de fer donné par de Gaulle, qui se nomment “souveraineté nationale” et “indépendance nationale”. Par conséquent, on interprète sa politique ou sa non-politique pour elle, à la lumière de ces principes. Quand un “officiel” confie à une journaliste US que la France va “adoucir” sa politique vis-à-vis des USA, la journaliste écrit de telle façon qu'on croit que la France a eu, jusqu'ici et conformément à ses principes, une politique “dure” vis-à-vis des USA qui font pression sur les souverainetés et les indépendances nationales. Quand Chirac fait un discours qui réaffirme la position de la France, la presse britannique en conclut que la France montre les dents d'une façon certes remarquable mais conformément à ses principes. Tout ça n'existe que parce que la France est aujourd'hui, dans le monde occidental (et, sans doute, ailleurs également), le seul pays à avoir des principes clairs, intelligibles, évidents, pour définir sa position en tant que nation et, par conséquent, pour définir les évidences de sa politique même là où il n'y a pas de politique.

Au reste, l'Amérique et la folie irakienne de GW méritent-elle autre chose ? Certains peuvent envisager telle ou telle tactique, pour modérer GW ou l'accompagner. Cela occupe les planificateurs mais il ne faut pas trop en attendre quelque effet important que ce soit et, surtout, il ne faut pas trop s'y compromettre (voir l'état politique de Tony de Blair, qui a cru qu'il pourrait avoir une politique dans ce sens). Face à l'Amérique et à l'Irak, il n'y a rien à faire aujourd'hui que tenir le plus et le mieux possible, comme un bateau doit tenir dans une tempête, face au grain, et s'adapter aux circonstances en protégeant ses principes.

La seule politique à laquelle la France doit songer, aujourd'hui, et avec vigueur, c'est à une politique européenne. Nous ne sommes pas loin de ce qui pourrait être une opportunité exceptionnelle. Les Allemands ont été obligés de se “mouiller” comme jamais, à cause des circonstances électorales, et, désormais, Schröder et Stoibel font assaut d'hostilité à l'hégémonie américaine. Les Britanniques sont en dans une situation de plus en plus difficile et vont devoir, à un moment ou l'autre, lâcher du lest du côté de l'Europe pour tenter de regagner le terrain perdu de ce côté par une année d'alignement inconditionnel sur Washington. C'est le moment pour la France, qui reste la référence de la souveraineté et de l'indépendance, de se mettre en position comme référence d'une politique européenne de sécurité indépendante, et d'exiger des engagements de ses partenaires allemand et britannique.

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