Quelques lignes de Tocqueville et vous vous sentirez mieux…

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Effectuant un achat très récemment dans une bouquinerie d’occasion, d’un livre pourtant encore récent (La menace américaine, de Theodore Roszak, Le Cherche Midi, 2004), la citation en exergue nous a arrêtés. (Aucune dépréciation du livre lui-même dans ce choix, puisque celui-ci non encore lu.)

Nous vous la livrons, dans sa profondeur, sa langue superbe, ces quelques lignes qui en disent un million de fois plus que les tonnes d’ouvrages cochonnés sur l’Amérique qu’accumulent nos auteurs-fast-food, grossiers, repiqueurs les uns des autres et vice-versa (surtout les insupportables experts-intellectuels parisiens parlant de l’Amérique). Lisez et faites comme nous, méditez, — ô combien il va loin Tocqueville, et comment il nous dit tout de notre crise et de l’américanisme déchaîné:

« Tous les peuples libres se montrent glorieux d’eux-mêmes ; mais l’orgueil national ne se manifeste pas chez tous de la même manière.

» Les Américains, dans leurs rapports avec les étrangers, paraissent impatients de la moindre censure et insatiables de louanges. Le plus mince éloge leur agrée, et le plus grand suffit rarement à les satisfaire ; ils vous harcèlent à tout moment pour obtenir de vous d’être loués ; et, si vous résistez à leurs instances, ils se louent eux-mêmes. On dirait que, doutant de leur propre mérite, ils veulent à chaque instant en avoir le tableau sous leurs yeux. Leur vanité n’est pas seulement avide, elle est inquiète et envieuse. Elle n’accorde rien en demandant sans cesse. Elle est quêteuse et querelleuse à la fois. […] On ne saurait imaginer de patriotisme plus incommode et plus bavard. Il fatigue ceux mêmes qui l’honorent. »

Cette citation, bien entendu extraite du De la démocratie en Amérique (1835), éclaire peut-être ce mystère qui nous a toujours confondus: que les Américains (pardon, les américanistes) tiennent cet ouvrage magistral comme un monument élevé à la gloire de l’Amérique (pardon, du système de l’américanisme). Car, plus que tout, ce que nous dit Tocqueville, c’est que leur vanité (leur hubris, pour faire chic) les aveugle au point qu’ils sont incapables de distinguer là où, dans l’analyse la plus profonde, se niche la critique la plus fondamentale, — et, par conséquent, eux-mêmes incapables du moindre esprit critique de leur propre comportement. Tocqueville avait tout entendu, tout retenu, et nous l’avait superbement restitué, près d’un siècle trois-quarts avant que nous en subissions les effets dévastateurs.


Mis en ligne le 22 juillet 2005 à 09H55